Question de Zoë Genot le 26 octobre 2010, réponse du ministre, commentaire de Maitre Dounia Alamat










Chambre des représentants – Commission de la Justice

Réunion du 26 octobre 2010 – Extrait du compte rendu intégral (CRIV 53 – COM 0014)


09 Question de Mme Zoé Genot au ministre de la Justice sur "l'arrêt de la cour d'appel et du Conseil d'État sur l'interdit professionnel pour un professeur de néerlandais en prison" (n° 196)

09.01 Zoé Genot (Ecolo-Groen!): Monsieur le président, monsieur le ministre, le 6 octobre 2009, je vous interrogeais sur l'interdit professionnel pour un professeur dispensant des cours de néerlandais à la prison de Saint-Gilles qui s'est vu refuser l'accès de toutes les prisons belges pour "raisons de sécurité", alors que le casier judiciaire de ce professeur et son certificat de bonne vie et mœurs sont vierges.

À l'époque, vous m'aviez dit qu'il "appartenait à l'administration pénitentiaire de déterminer les conditions d'accès aux prisons dans des cas concrets et de décider si une personne représente un risque pour l'ordre et la sécurité". Vous ajoutiez: "J'estime que la décision qui a été prise est correcte. Je n'ai donc pas à douter de cette décision."

Or, la cour d'appel a rendu un arrêt le 27 janvier dernier. Voici ce que dit en substance cet arrêt: "L'existence d'une compétence discrétionnaire dans le chef d'une autorité administrative n'exclut pas nécessairement celle d'un droit subjectif dans le chef des administrés, tel le droit d'obtenir le respect de l'obligation légale de motivation formelle de tout acte administratif à portée individuelle, du principe général de bonne administration ou encore du droit de ne pas être privé injustement des conditions indispensables à l'exercice de son travail." Cet arrêt dit encore: "Il n'est pas douteux que l'intimé (le ministre de la Justice) aurait dû, avant de retirer l'autorisation litigieuse, entendre préalablement l'appelant sur la décision qu'il projetait d'adopter, pour lui permettre d'exposer pourquoi la mesure envisagée ne saurait se justifier du point de vue de l'intérêt du service, dès lors que, manifestement, la décision est fondée, à tout le moins en partie, sur le comportement personnel de l'appelant et qu'elle risquait de priver l'appelant de son travail."

Suite à cet arrêt, l'employeur de ce professeur de néerlandais a sollicité le renouvellement de son autorisation d'entrée en prison. L'administration a, à nouveau, refusé l'accès aux prisons belges pour des "raisons de sécurité", sans autre précision et sans entendre le professeur.

Saisi par requête le 8 mars 2010, le premier auditeur du Conseil d'État a rendu un avis concluant à la recevabilité et au sérieux des arguments avancés par ce professeur. Le Conseil d'État a rendu son arrêt le 16 mars sanctionnant le caractère arbitraire de la décision de refus d'entrée en prison: "Le dossier administratif ne contient aucun élément permettant au requérant, ni au Conseil d'État de comprendre les motifs pour lesquels la demande d'autorisation d'entrée en prison lui a été refusée" et "Le rejet de la demande d'entrée en prison est une mesure grave, incontestablement prise en raison du comportement personnel du requérant, que l'administration, avant de prendre une telle décision, aurait donc dû entendre le requérant."

Dans un article paru dans le journal Le Soir du 31 mai 2010, on a pu prendre connaissance du rapport de la Sûreté de l'État. Je cite: "Le rapport dont nous avons eu connaissance est signé par le patron des services secrets, Alain Winants. Il énumère les activités militantes de Luk Vervaet dont celle en faveur de la Palestine ou de l'autodétermination du Sahara. Ce rapport confidentiel ne révèle aucune action délictueuse."

Monsieur le ministre, quelle est votre position après avoir pris connaissance de l'arrêt de la cour d'appel du 27 janvier et de l'arrêt du Conseil d'État du 16 mars qui, manifestement, ne vont pas dans la même direction que celle de la réponse que vous m'avez fournie?

L'obligation légale de motivation formelle auquel a droit tout travailleur n'a pas été respectée dans cette affaire. Quelles mesures comptez-vous prendre au sein de votre SPF pour rappeler à ses agents les obligations découlant de la loi sur la motivation formelle des actes administratifs?

Quelle méthodologie sera utilisée si une nouvelle demande d'autorisation de travailler en prison est déposée, ce qui semble être le cas?

Le Conseil d'État a jugé que le dossier administratif consulté ne contient pas les éléments relatifs à la gravité des faits qui auraient été commis par ce professeur et justifiant un refus d'accès aux prisons. Ne convient-il pas de respecter cette décision et d'octroyer une nouvelle autorisation d'entrée en prison afin que ce professeur de néerlandais puisse y exercer son métier et continuer à participer à la réinsertion sociale des détenus?

09.02 Stefaan De Clerck, ministre: Madame Genot, comme il s'agit d'un dossier individuel, je pourrais me retrancher derrière le règlement mais je vais essayer de vous donner une réponse. Il est exact que l'intéressé s'est adressé aux juridictions civiles et administratives au sujet de la décision de l'administration pénitentiaire de lui refuser l'accès à la prison. De manière générale, je précise que la question n'était pas tant celle de l'opportunité de refuser l'entrée à l'intéressé mais bien un problème d'interprétation et d'application de la loi sur la motivation des actes administratifs, comme vous l'avez dit.

En effet, le débat porte principalement sur la portée de l'obligation de motivation des actes administratifs et des exceptions prévues par la loi. Il y a eu une divergence d'interprétation. À aucun moment le Conseil d'État ou les juridictions civiles ne se sont prononcées sur le bien-fondé de la décision en elle-même. À la lecture du dossier, cette décision était d'ailleurs parfaitement justifiable et justifiée. Par ailleurs, au sujet de la motivation de la décision, l'administration pénitentiaire a agi selon une interprétation de bonne foi de la loi sur la motivation des actes administratifs.

Suite à une décision de justice, l'administration pénitentiaire a étudié la manière d'y répondre en fait et en droit et de motiver la décision selon l'interprétation légale du Conseil d'État. Cependant, vu que le contrat de l'intéressé s'était achevé dans l'intervalle, à savoir le 30 avril dernier, la demande est devenue sans objet.

L'organisation ADEPPI a effectivement introduit une nouvelle demande d'accès pour l'intéressé à l'occasion d'un éventuel nouveau contrat de travail, demande qui a été refusée. Il s'agit d'une nouvelle décision pour laquelle l'administration pénitentiaire dispose d'un pouvoir discrétionnaire total, sachant que sauf exception légale, une personne n'a pas le droit subjectif d'obtenir une autorisation d'entrer en prison. Les exceptions portent sur les parlementaires, qui ont toujours le droit d'entrer dans les prisons.

09.03 Zoé Genot (Ecolo-Groen!): Monsieur le ministre, je reste sur ma faim. Diverses juridictions ont déclaré que les refus de ce type devaient être motivés de manière plus complète. Or, manifestement, le refus qui est intervenu n'est pas plus motivé. J'ai l'impression qu'on ne respecte pas les décisions judiciaires selon lesquelles pour une décision de cette importance, la personne doit être entendue, la motivation doit être effective. Les tribunaux ne vous donnent pas raison. Il est donc étonnant qu'on fasse encore la même chose sans se conforter aux décisions judiciaires, surtout pour des actes aux conséquences aussi importantes, faisant en sorte qu'une personne ne peut exercer son métier depuis plus d'un an.

Commentaire de l'avocat Dounia Alamat sur les propos du ministre Stefaan De Clerck

Compte tenu de la réponse du Ministre, je souhaite porter à votre connaissance le fait que :

1. la décision de refus/retrait d'entrer en prison est loin d'être justifiable ou justifiée dès lors qu'elle est fondée sur un rapport de la Sûreté de l'Etat qui expose


"

« A côté de ses activités de professeur de néerlandais pour l’association ADEPPI, Luc VERVAET est connu de notre service [Sûreté de l’Etat] en tant que membre du CLEA – le Comité pour la Liberté d’Expression et d’Association. A ce titre, il a ainsi participé à de nombreuses actions de soutien aux membres du DHKP-C, ou contre l’occupation israélienne de la Palestine. En janvier 2009, il prend encore part à une manifestation contre l’extradition de Nizar TRABELSI, à qui il reconnaît avoir rendu visite en prison. Considéré comme organisateur et porte-parole de l’évènement, son rôle exact n’est pas bien défini. Si la présence de salafiste avait été constatée lors de cette manifestation, rien cependant ne prouvait alors un lien plus profond avec ces milieux.

Ce lien apparaît peut-être plus clairement lorsqu’on souligne que Luk VERVAET compte également parmi les fondateurs d’Egalité sans Guillemets (ESG), dont certains membres ont des affinités avec l’islamisme d’obédience salafiste. Parti créé à l’occasion des élections régionales de 2009, ESG a également dans ses rangs des proches du PTB.

Au centre de cette formation se trouve Nordine SAIDI, tête de liste aux dernières élections, co-fondateur du mouvement Citoyen Palestine et militant pour l’autodétermination du Sahara Occidental. SAIDI tient par ailleurs un discours assez ambigu sur certains attentats terroristes, qu’il refuse de condamner clairement. C’est vraisemblablement le cas des attentats suicide du 11 septembre 2001.

Une autre personnalité proche du mouvement est Diab ABOU JAHJAH, dont la Ligue Arabe Européenne (AEL) soutenait ESG à Bruxelles. Abou JAHJAH est également président de l’Union Internationale des Parlementaires pour la Palestine, dont la section belge est présidée par Luk VERVAET. L’objet social de cette association consiste à « promouvoir la réalisation des objectifs de l’ONG The International Union of Parliamentarians for Palestine mise sur pied lors de la conférence internationale en soutien à l’intifada palestinien de 2001, c’est-à-dire « la défense des droits du peuple palestinien, le droit au retour de tous les réfugiés palestiniens dans leur pays, l’établissement d’un seul état avec Jérusalem pour capitale ainsi que l’opposition au sionisme et aux guerres américaines ». Parmi les diverses actions menées par cette association, on remarque la pétition pour le retrait du Hamas de la liste européenne des organisations terroristes.

En dernière analyse, il semble que les activités de Luk VERVAET se limitent à des questions de droit de la défense et à une opposition – active mais non violente – aux lois antiterroristes. Dans ce cadre, la défense des supposées victimes de ces lois ont pu le conduire à franchir la frontière entre la défense légitime d’une justice équitable et le soutien à des idéologies justifiant de manière indirecte le terrorisme »

Il est dès lors manifeste que Monsieur VERVAET a été privé de son emploi en raison de ses activités militantes, ce qui est contraire à la liberté de penser, de s'exprimer et de s'associer, et non parce qu'il représenterait un "danger pour la sécurité au sein des établissements pénitentiaires".

2. La troisième demande de Monsieur VERVAET n'est devenue sans objet qu'en raison du refus de l'administration de réexaminer sa décision, malgré la suspension d'extrême urgence prononcée par le Conseil d'Etat.

Malheureusement, le Tribunal de première instance n'a pas estimé qu'il était de sa compétence d'intervenir, alors même que la Cour d'appel s'était déclarée compétente quelques mois plus tôt.

3. Le ministre déplace habilement le problème lorsqu'il rappelle que Monsieur VERVAET n'a pas de droit subjectif d'obtenir une autorisation d'entrer en prison.

Nous ne défendons pas cette thèse mais bien celle, reconnue par la Cour d'appel de Bruxelles en janvier 2010, selon laquelle une personne a le droit de ne pas se voir priver arbitrairement des conditions nécessaires à l'exercice de sa profession. Ce droit est reconnu par les Conventions internationales.

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