Abderrahmane Boujedli on « death row », le couloir de la mort à la prison Kenitra.


Par Luk Vervaet
Deuxième partie : death row

Abderrahmane Boujedli (photo) est né au Maroc le 5 mars 1970.
Avec ses parents, il s'installe en France dans les années 80. Un jeune sans histoires. Une scolarité normale. Devenu mécanicien, il travaille depuis l'âge de 18 ans. Et pour répondre aux stéréotypes  de nos jours : le jeune Abderrahmane n'a jamais eu de problèmes avec la délinquance, ni avec la justice ou la police.
Il a 24 ans quand sa vie va basculer pour toujours.
En été 1994, il part au Maroc pour y passer des vacances et revoir la famille restée au pays. Il y sera arrêté pour « atteinte à la Sûreté Nationale », accusé d'avoir participé à un transport d'armes de la France vers l'Algérie via le Maroc et de faire partie du « groupe de Fès ».
Ce qui suit est digne d'un scénario américain.

Death row

D'abord il y a la peine. À l’âge de 25 ans, il est condamné en 1995 à la réclusion criminelle à perpétuité pour « association de malfaiteurs ».
Ensuite, il y a l'incarcération en isolement et puis le couloir de la mort, le « death row », bien connu dans sa version américaine par tous les personnes engagées dans la défense des droits de l'homme du monde entier. Condamné à perpétuité, ayant commis aucun crime de sang, il est mis à l'isolement pendant 1 ans à la prison de Ain Kadouss à Fès. Il est ensuite transféré à la prison de Salé - à l'isolement pendant encore 1 ans. Après une grève de la faim pour dénoncer sa situation, il est transféré à la prison centrale de Kénitra. Avec les autres du « groupe de Fès », Kamel Benakcha (Franco-Algérien) et Abdeslam Garouaze (Marocain), il purge sa peine depuis près de 20 ans dans le quartier des condamnés à mort de la prison de Kénitra, bien qu'ils n'ont jamais été condamnés à mort.

Des conditions inhumaines.

Les conditions de détention dans l'ensemble de la prison de Kenitra sont très difficiles. Elles ne cessent de se détériorer au gré des changements de direction pénitentiaire. Mais ce n'est encore rien comparé aux conditions dans la quartier de la mort où on n'a droit à rien.
Sa famille essaie de visiter Abderrahmane régulièrement. Mais les difficultés sont nombreuses, et parfois insurmontables. Les visites, lorsqu'elles sont autorisées, sont limitées à une ou deux heures tout au plus. Et ce, après plusieurs heures passées à attendre, en hiver, sous le vent, la pluie ou le soleil en été... Ils interdisent la famille de lui fournir des denrées alimentaires basiques, comme des pommes de terre, haricots, lentilles ou navets… Lorsque l’on demande la raison de cette interdiction : la réponse est invariable : il s’agit de la décision du directeur.
En mai 2013, une commission de parlementaires est venue inspecter la prison de Kénitra. À cette occasion, Abderrahmane a rédigé un courrier (remis en main propre par sa mère à Khadija Rouissi, députée, vice-présidente de la Chambre marocaine des représentants, coordinatrice, du réseau des parlementaires marocains contre la peine de mort et ancienne conseillère au sein de l’Instance Équité et Réconciliation) mais aucune réponse ne lui a été apportée. Cette commission a remis un rapport accablant sur les conditions désastreuses de détention des prisonniers - manque d'hygiène, de soin, nourriture immangeable, traitement cruels, inhumains et dégradants...

La mort de son père et de sa mère

Le 4 juillet 2006, le père d'Abderrahmane meurt. Malgré les demandes répétées, il lui a été refusé de participer aux funérailles.
Huit ans plus tard, le 11 février 2014, la maman d'Abderrahmane meurt. C'est un coup terrible : c'était elle qui le faisait tenir en lui rendant visite dès qu'elle le pouvait. Abderrahmane, soutenu par l'association marocaine des droits de l'homme (Abdelilah Ben Abdeslem), fait une demande auprès de l'administration pénitentiaire afin de pouvoir être présent à l'enterrement au Maroc (demande faite le mercredi 12 février pour l'inhumation qui a lieu le lundi 17 février).
La famille part de la France au Maroc pour inhumer la maman. Ce sera sans Abderrahmane. Comme ce fut le cas pour son père, la réponse à sa demande de pouvoir être présent fut négative sans explication.

Des détenus politiques

Reconnu comme détenu politique par les organisations des droits de l'homme, Abderrahmane fait la demande, en septembre 2012, de rencontrer Juan Mendez, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, qui visite alors les prisons marocaines. Cela lui a été refusé.
Plusieurs courriers ont été envoyé au CNDH (Comité National des Droits de l’Homme), mais pas de réponse non plus.
À plusieurs reprises, le ministre de la Justice marocaine, M. Ramid, a été contacté, mais jamais de réponses non plus.

La volonté politique affichée du Maroc de poursuivre les réformes de ses institutions de défense des droits de l'Homme et des libertés, de réinsertion sociale pour qu'elles bénéficient aux victimes des atteintes aux droits de l'Homme et aux libertés doit être suivie de mesures immédiates.

Il est grand temps de briser le silence sur le sort de ces jeunes qui ont passé la moitié de leur vie dans les conditions de Guantanamo, de les sortir de la marginalisation et de leur situation de vulnérabilité et de les réintégrer comme membres actifs dans la société.



Prochain article : le rapport de la commission parlementaire sur la prison de Kenitra

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