Nouvelles prisons ? Ni plus justes, ni plus sûres !


Luk Vervaet

Intro (partie 1)

Neuf ans après la décision de construire la plus grande prison de Belgique à Haren et après autant d’années de résistances contre ce projet, le gouvernement a finalement réussi à forcer et obtenir un permis de construction le 24 décembre 2016 dernier. Sans avis de la Commission de concertation de Bruxelles, une commission qui doit rendre ses avis sur l'aménagement du territoire communal, et qui a ainsi mis les 299 objections contre la prison, introduites par des citoyens, à la poubelle. Dans cet article, j’aborde deux questions posées par la construction des nouvelles prisons et par Haren en particulier. D’abord, ces prisons modernes réalisent certes un face lift des façades des prisons vétustes, mais en quoi ces cages en or apportent-elles une réponse aux problèmes posés par l’incarcération ? Ensuite, quand il s’agit de Bruxelles, les discours sur cette nouvelle prison ne cachent-t-ils pas la véritable question : pourquoi enferme-t-on la pauvreté à Bruxelles au lieu de la résoudre ?

La résurrection d’Eduard Ducpétiaux (photo)

En avril 2008, face à une crise carcérale sans précédent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le gouvernement belge a voulu y remédier, non pas en mettant quelques petits pansements, mais de manière chirurgicale. Pour mettre fin à la surpopulation carcérale, aux conditions vétustes et inhumaines dans nos prisons, aux vagues d’évasions et aux sentiments d’indignation et d’insécurité qui les accompagnaient, le gouvernement décide d’accroître radicalement la capacité carcérale. Sept nouvelles prisons seront construites et autant d’autres seront rénovées et élargies. Depuis cette annonce, quel que soit le problème rencontré dans les prisons, la réponse des autorités a été univoque : « Patience. On en est conscient. Le ‘Masterplan 2008-2012-2016 pour une infrastructure pénitentiaire dans des conditions humaines’ arrive ». 

Les mots étaient forts. C’était comme si Eduard Ducpétiaux, le père fondateur du parc carcéral en Belgique et qui en fut son premier grand réformateur, avait resurgi de sa tombe. 
(photo : la prison de Saint-Gilles) 
Il y a près de deux cents ans, lui aussi avait fait son plan de construction de nouvelles prisons où « ..chaque prisonnier trouve toutes les aisances nécessaires à l’existence : ventilation, chauffage, éclairage, approvisionnement d’eau potable, mobilier complet...une ou plusieurs salles d’écoles… des préaux ou petits jardins séparés… des parloirs, cabinets de bains, un costume et un coucher propres convenables et en rapport avec les saisons… Une nourriture saine et suffisante une organisation de travail qui permet d’occuper continuellement chaque détenu en consultant ses forces… » etc. etc.[1]  Pour dire que la prison est une éternelle réforme, avec toujours les mêmes résultats.

Comme le montrent les dates derrière le Masterplan, les gouvernements successifs, tous partis confondus, du gouvernement Leterme I (2008) au gouvernement Michel (2014), avec le soutien ou dans l’indifférence des médias et de l’opinion publique, se sont tenus à la logique d'accroître la capacité carcérale, restant sourds aux résultats de nombreuses études et statistiques. Ces dernières montrent en effet que la construction de nouvelles prisons n’endigue pas la surpopulation carcérale. Ni ne réduit-elle la récidive. Ni ne répond-t-elle aux problèmes sociaux posés depuis des décennies dans les grandes villes et au sein des prisons. 

Le Masterplan était un aveu d’échec de la politique carcérale et de la prison du passé

A son lancement, le Masterplan nous décrivait la situation dantesque dans nos prisons à laquelle il voulait remédier : les drames causés par le stockage de milliers de détenus dans des conditions médiévales, inhumaines, et l’échec de la réinsertion des ex-détenus dans la société. Vous connaissez un autre secteur dans notre société qui oserait présenter un bilan d’échec total ? Un hôpital, une école, une maison de repos… dans un même état délabré, et ayant clairement maltraité ou donné des mauvais soins à leurs patients ou élèves ne seraient-ils pas fermés sur le champ ?  Contrairement à ce qu’on nous avait dit auparavant sur les bienfaits de la prison, la société ne se portait pas mieux et notre sécurité n’était qu’une illusion. 
Le constat de ce fiasco de la prison aurait pu nous amener à une mise en question de ce qui ne marche apparemment pas : la prison même, comme institution et forme principale de punition. Un moratoire sur la construction de nouvelles prisons aurait pu être décidé, tout en réalisant des travaux d’aménagement des prisons existantes pour améliorer le sort des détenus.  

Tout le contraire s’est produit.
Une propagande pour une nouvelle vie des prisons a déferlé, essayant de nous convaincre que si un autre monde n’est pas possible, au moins une prison moderne, humaine et écologiste l’est. A partir de maintenant, fini ce monde inhumain et misérable caché derrière les murs. La direction de nos établissements pénitentiaires se montrera dorénavant transparente. Elle organise des week-ends de test des nouvelles prisons pour les journalistes et les professeurs universitaires. Fini le tabou qui dit que la prison est le terrain sacré de la société : le secteur privé y fera son entrée en grande pompe. Les nouvelles prisons changent de nom. Même ‘établissement pénitentiaire’ au lieu de ‘prison’ est jugé trop brutal. Maintenant une prison s’appellera « Village pénitentiaire » (Haren), « Prison paysage » prenant la forme d’une fleur (Marche en Famenne), ou « La Porte » (Beveren), tous embellis par des architectes qui enlèvent les barreaux de leurs dessins pour ne voir que des arbres et des grands espaces colorés. Fini la malbouffe : en août 2015, les médias nous rapportent que la cuisine collective et les deux restaurants de la prison de Marche-en-Famenne, gérée par une société privée, Sodexho, décrochent un Smiley de l'Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire (AFSCA). Fini les cellules immondes : les images d’une cellule équipée, ordinateur sur table avec bel écran, petit frigo à côté, douche dans le coin, font le tour des médias, faisant rêver plus d’un. Dans les commentaires on pouvait lire : « C’est mieux qu’à la maison ! » « Logement gratuit, repas gratuit, on a la télé, du chauffage… Damn it ! Occasion ratée! ».

Le Masterplan a changé le décor de la pièce, mais pas son contenu

Faisons quelques constats, près d’une décennie après le lancement du Masterplan.

D’abord, la construction de 7 nouvelles prisons ces derniers vingt-cinq ans, trois avant et déjà quatre des sept prisons annoncées au lancement du Masterplan - (Bruges (1991), Andenne (1997), Ittre (2003), Hasselt (2005), Marche-en-Famenne (2013), Leuze-en-Hainaut (2014), Beveren (2014) – n’a pas fait barrage à l’inflation carcérale en marche depuis autant d’années.[2] Elle n’a pas « répondu à la surpopulation » : d’un côté elle n’arrive pas à rattraper l’explosion du nombre de détenus et de l’autre elle ne fait que créer la possibilité de plus d’enfermement . La Belgique disposait de 5450 cellules en 1980, elle en avait déjà 8133 en 2005, et elle en a 10.028 en 2015.

Deux. La construction des nouvelles prisons a-t-elle réalisé plus de droits pour les détenus ? Douze ans après l’adoption de la « loi de Principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus » (qui date du 12 janvier 2005, appelée la « loi Dupont » qui doit garantir les droits des détenus), n’est toujours pas en application. Il y a des parties qui sont entrées en vigueur. Mais il n’y a toujours pas d’arrêtés royaux d’application sur des parties entières concernant les plaintes des détenus, les conditions de vie en détention, les mesures d’ordre et de sécurité en prison. Ces sections entières ne sont tout simplement pas appliquées.[3] On pourrait y ajouter qu’elle n’a rien changé aux conditions de travail en prison non plus, c’est-à-dire qu’on y travaille toujours sans protection sociale et à des salaires d’esclaves. 

Trois. La construction des nouvelles prisons n’a en rien changé la situation décriée par les organisations d’aide, de soins et de formation des détenus, sur leur manque dramatique de moyens au niveau du personnel, desinfrastructures et des possibilités d’accès aux détenus.[4] Elle n’a pas changé les constats de l’Observatoire international des prisons (OIP), faits depuis 10 ans, dans son nouveau rapport (présenté en janvier 2017) sur l'état des prisonsbelges entre octobre 2013 et novembre 2016. Dans ce rapport l’OIP dénonce : « les versions successives du Masterplan qui manquent de vision claire, rationnelle et conséquente, se caractérisent par leur flou, montrent l'incohérence de la politique pénitentiaire belge sur le long terme, sont impossibles à budgétiser sur 25 ans, font le choix d'investir dans le répressif ultra-sécurisé plutôt que dans des politiques sociales, relèvent du cynisme en période d'austérité, posent de nombreuses questions quant au recours au privé, font fi de la personne du détenu… »

Mais surtout, dit l’OIP, les Masterplans « manquent totalement l'occasion de s'interroger sur le sens de la sanction au sein de notre société, et plus particulièrement sur le sens de la peine de prison ». 
L’OIP rejoint ainsi les propos de l’aumônier Philippe Landenne concernant les nouvelles prisons : « la logique destructrice de l’institution totale n’a pas besoin d’un lieu délabré et insalubre pour déployer ses effets traumatisants ».[5]
Prenons quelques exemples de ces nouvelles prisons, de celle de Bruges jusqu’à celle de Beveren, pour illustrer ses propos.

(photo : prison de Bruges)
Suicides et révoltes à Bruges et à Andenne

A la nouvelle prison de Bruges - annoncée en 1991 comme « une véritable infrastructure carcérale plus grande, plus diversifiée, plus sécuritaire aidée par les nouvelles technologies avec plusieurs ailes indépendantes, de petites prisons au sein de la prison, de nouveaux espaces de rencontre entre les détenus mais aussi avec les proches » -  neuf suicides se sont produits entre 2008 à 2015. Autant ou plus que dans les prisons vétustes. En 2009, des détenus au sein de la nouvelle section haute sécurité (AIBV) inondent leurs cellules et démolissent le mobilier.

(photo : prison d'Andenne)
Même constat pour une prison plus récente, celle d’Andenne, créée il y a juste vingt ans, - un « établissement prison quatre étoiles, prison moderne, clean, aseptisée, avec des fenêtres de belle dimension, une vue agréable sur des collines boisées verdoyantes »[6], où, en un an de temps (2003), il y a eu 6 morts.  En novembre 2011 une émeute éclate. Huit sections de la prison y participent et causent d'énormes dégâts matériels au sein de la prison.
Mais, me diriez-vous, ce ne sont pas les prisons les plus modernes. Elles datent déjà. Alors prenons deux des plus récentes. 

(photo : prison de Leuze)
L’exemple de Leuze.

A l’occasion de l’ouverture de la nouvelle prison de Leuze-en-Hainaut , annoncée comme « la prison plus humaine avec une grande place aux sources de lumière naturelle, aux ateliers de travail et au sport » ou encore comme « La prison modèle, tout droit sortie d’un film de James Bond »[7], Marc Nève avait écrit : « Derrière cette mise en scène, un vide. Un vide énorme. Un record là aussi. Totalement escamoté cependant. Le record d’une politique pénitentiaire dont l’échec est à la mesure du succès de la "com". »[8]  La première preuve de ce vide fut apportée par deux chercheuses et criminologues de l’UCL, Chloé Branders et Anne Walraevens. Elles s’étaient portées volontaires pour tester cette nouvelle prison un mois avant son ouverture. Après leurs (très courtes) expériences d’enfermement à Leuze, elles ont écrit le texte « The experiment ». Ce texte vaut la peine d’être lu par tous les promoteurs des prisons modernes. Elles y décrivent leur séjour en prison comme « une expérience traumatisante et déshumanisante, en dépit des innovations techniques »[9].  

Mais bon, dites-vous, c’était avant l’ouverture. 
Mais un mois après l’ouverture de la prison de Leuze-en-Hainaut avec des vrais détenus, tous les problèmes auxquels est confronté le monde carcéral réapparaissent.
La police de la zone de Leuze-Beloeil a dû être envoyée à la prison pour calmer une dizaine de détenus qui ne voulaient pas regagner leur cellule « à cause d’un manque d'activités auxquelles ils peuvent prendre part ».[10] D’accord, à nouveau, ce n’était qu’au tout début.
Deux mois plus tard « un détenu est retrouvé mort dans sa cellule, il aurait succombé à une overdose. »[11] 
Un an après son ouverture, entre 60 et 80 détenus des 224 détenus à Leuze demandent à retourner dans leur ancienne prison, car « ils trouvaient que la prison 4 étoiles qu’on leur avait promise restait une illusion ! »[12]
Encore un an plus tard, Leuze connaît une première tentative d’évasion[13].
La même année, le personnel pénitentiaire de Leuze participe activement à la grève des gardiens de prisons en 2016, une des plus longues et des plus dramatiques dans l’histoire.
Quant aux sentiments des détenus, les observateurs de l’OIP écrivent : « Leuze-en-Hainaut est haïe des détenus à cause d’une gestion extrêmement rigide de la détention ». Sur la nourriture : « A la prison de Leuze et de Marche, malgré une nourriture de qualité, les détenus se sont plaint de la faible quantité de nourriture distribuée. Si le détenu n’a pas de moyens suffisants pour acheter des produits complémentaires à la cantine, il a faim. » Sur les cellules de punition au sein de la prison : « Dans le cachot de la prison de Leuze, la fenêtre ne s’ouvre pas du tout et a été voilée par un système opacifiant transparent. Autrement dit, le détenu reçoit de la lumière mais n’a aucune vue vers l’extérieur. C’est également le cas au quartier haute sécurité de Bruges. Cette situation fait craindre que l’on arrive un jour à construire en Belgique des cellules sécurisées sans aucune fenêtre, avec un éclairage totalement artificiel, voire des cellules sous terre comme cela se fait aux Etats-Unis. » 
Cette tendance à l’américaine se voit aussi quand on constate que presque toutes les nouvelles prisons sont construites en périphérie ou en zone rurale et sont mal desservies par les transports en commun (Jamioulx, Lantin, Marneffe, Ittre, Andenne, Bruges, Hasselt, Marche-en-Famenne, Leuze-en-Hainaut, …). 

(photo : prison de Beveren)
L’exemple de Beveren.

La prison de Beveren, ouverte en février 2014, connaît la même histoire.
En août de la même année, 17 détenus écrivent une lettre ouverte aux journaux dans laquelle ils dénoncent : « le comportement de certains gardiens qui se comportent comme des cowboys, que le temps du préau est raccourci arbitrairement, que poser des questions signifie des peines disciplinaires, que la plupart d’entre eux essaient de travailler plein temps mais qu’ils ne gagnent rien ( 0,90 euros par heure) avec des prix de cantine similaires à ceux dans un supermarché, que la plupart d’entre eux avaient demandé leur transfert à Beveren en espérant un temps de détention qui ait un sens, mais que dans la pratique il n’en est rien, que l’infrastructure n’était toujours pas en ordre, le vent passait et la pluie entrait dans certaines cellules ce qui obligeait certains détenus à dormir par terre. » [14]
En novembre de la même année les gardiens se mettaient en grève pendant 24 heures contre le manque du personnel.[15]
Le même mois les détenus se soulèvent contre la mauvaise nourriture et le manque de travail dans les ateliers. « Nous nous ennuyons à mort » déclarent les détenus. La police doit intervenir pour obliger les détenus à retourner dans leurs cellules.[16] 
En juillet 2015, un prisonnier attaque un gardien et ceux-ci se mettent spontanément en grève, « parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité et veulent le départ d’un membre de la direction qui ne les soutient pas ».[17] 
Un an plus tard, les gardiens joignent la grève nationale des gardiens.
La même année, en août 2016, une cinquantaine de prisonniers, « armés d’objets métalliques et de bouteilles cassées », refusent à nouveau de retourner dans leurs cellules après une bagarre. La police fédérale doit être appelée en renfort pour maîtriser la situation.[18]

(photo : maquette de la prison de Haren)

Les nouvelles prisons de Beveren et de Leuze ont toutes les deux une capacité de 312 détenus. Haren sera quatre fois plus grand ! Déjà aujourd’hui on peut faire le pari que les expériences de Beveren et de Leuze se reproduiront à une quatrième puissance à la méga-prison de Haren !






[1]Ducpétiaux Edouard, 1865. La réforme des prisons : système cellulaire, Bruxelles, pg 467. Cité dans Haren, Vers la prison de demain, Gennaro Notaro, ULB 2014-2015

[2]le nombre de détenus était de 5677 en 1980, de 10 536 en 2010 et de 12 799 détenus le 1 janvier 2016 pour une capacité carcérale actuelle de 9962 http://wp.unil.ch/space/space-i/prison-stock-on-1st-january/prison-stock-on-01-jan-2015-2016/. Chiffres du Conseil de l’Europe, comprenant pour 2016 les internés, les personnes sous surveillance électronique et les personnes sans papiers en détention administrative ; non-inclus sont les jeunes en détention.  

[3]Rapport sur la Belgique du CPT, le Comité européen pour la prévention de la torture, publié le 31 mars 2016

[4]http://www.caap.be/ Réinsertion et lutte contre la récidive : « l’offre de services » faite aux détenus  mesurée et objectivée pour la première fois, 2015

[5]Peines en prison : l'addition cachée de Philippe Landenne, Préface de : Françoise Tulkens, Postface de : Dan Kaminski, Collection : Crimen, Editeur : Larcier

[6]Idem. 

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