Macquarie, le kangourou vampire, met ses dents dans la méga-prison de Haren (Bruxelles)

par
Luk Vervaet et Jean-Baptiste Godinot

Pour la conception, la construction, le financement et la maintenance de la méga-prison à construire à Haren, le MR, l’OpenVLD, le CD&V, le CDH, la NVA et le PS font appel à Macquarie et autres multinationales. Qui est ce monstre financier Macquarie ? 
Cet article examine quelques-unes de ses pratiques.  

« The vampire kangaroo »

Le Macquarie Group, Macquarie Corporate Holding PTY Limited, de droit australien, est un géant financier mondial, actif dans de nombreux secteurs, allant de l’industrie minière au conseil et à la banque, des chemins de fer en Suède aux réseaux d’électricité en Chine.

 Macquarie, surnommé « The millionaire Factory » (l’usine qui fabrique des millionnaires) ou encore « The vampire kangaroo » (le kangourou vampire) , s’intéresse aussi aux prisons.


Il s’occupe de la construction de prisons en Australie, un pays qui compte déjà neuf prisons privées et où le nombre de places dans les prisons privées est le plus élevé au monde (par habitant)[1]. Macquarie y construit, d’ici 2020, la plus grande prison, Grafton Jail (1700 détenus), dont le groupe a obtenu le contrat PPP[2].

Grafton Prison

En 2012, le consortium SecureFuture, dont fait partie Macquarie, obtient le contrat Partenariat Public-Privé (PPP, design, finance, build, operate, maintain pour 900 millions de dollars sur une période de 25 ans) pour la construction d’une prison pour 960 détenus à Wiri en Nouvelle Zélande.[3] 
Wiri Prison
 Cette prison a ouvert ses portes en mai 2015 et est gérée par Serco, une entreprise privée britannique, qui est aussi active dans les centres d’enfermement de migrants, et dans le logement de demandeurs d’asile[4]. Disons en passant, en particulier pour les adeptes de la privatisation des prisons, que pour l’année 2016, dans un rapport officiel sur la performance des prisons (tenant compte du nombre d’incidents violents, de l’utilisation de drogues dans les prisons, des plaintes…) cette nouvelle prison privée était classée parmi les cinq les plus mauvaises de toutes les prisons en Nouvelle-Zélande.[5]

Auckland Prison
 Macquarie s’occupe aussi de la construction de la seule prison de haute sécurité en Nouvelle-Zélande, la Auckland Prison, à nouveau par un contrat PPP (Design, construction, finance and maintenance pour 25 ans). Macquarie y joue le rôle « d’aviseur financier et commercial ».[6]

Le vautour Macquarie a jeté son dévolu sur la Belgique en 2004 quand il devient propriétaire de l’aéroport national deZaventem pour 70%. Et en 2013, il obtient le projet de construire "le village pénitentiaire" à Haren, la plus grosse prison de Belgique.
Maquette de la nouvelle méga-prison de Haren

Durant les trois dernières décennies, les multinationales et les groupes financiers ont découvert le secteur des prisons comme une nouvelle mine d’or. Parce que, tout comme d’autres utilités publiques, les aéroports, les autoroutes… les prisons sont ‘too big to fail’ (trop grandes pour faire faillite). L’infrastructure publique constitue un secteur avec un rendement élevé sur investissements et à faible risque, vu que l’on compte continuer à rouler en voiture, à prendre l’avion ou à enfermer en prison pendant encore très longtemps.[7] 

Il ne fait aucun doute que le circuit privé (les multinationales, les banques, les firmes d’architectes, les fabricants du matériel de sécurité carcérale…) est un des moteurs principaux à l’origine de l’explosion carcérale que connaît le monde actuel.

Comme nous le verrons, l’engagement des différents gouvernements belges avec le vampire financier Macquarie, leur refus de prendre au sérieux les dénonciations et les avertissements le concernant par des syndicalistes à l’étranger ou des spécialistes financiers, prouve que la nouvelle éthique en politique, que l’on nous promet depuis un moment, est très loin de devenir réalité.   

First we take Zaventem, then we take Haren..[8]

Macquarie possède déjà les aéroports de Aberdeen, de Glasgow et de Southampton en Grande-Bretagne. 
Depuis 2004, Macquarie est aussi devenu propriétaire de l’aéroport de Zaventem[9], à un bruit de réacteur du site retenu pour la maxiprison. Comme de mauvaise habitude, les riverains qui ont essayé d’obtenir la copie du contrat de vente de l’état belge à Macquarie ne l’ont pas obtenu[10].

Dans une étude de 2015[11] Laura Deruytter, de l'Université de Gand, analyse l’opération d'achat de l'aéroport de Zaventem par Macquarie.
D’abord, écrit-elle, « l’objectif des institutions comme Macquarie n’est pas de servir l’intérêt public, ni l’économie nationale, ni le marché du travail. Ce qui est central c’est le ‘risk and return’ : ce que rapporte l’aéroport comme produit financier ». Et elle continue : « Macquarie est connu pour son ‘financial engineering' pour garantir le profit promis à ses investisseurs et pour regagner dans un délai le plus court possible son investissement ». Comment ? « Macquarie a fait augmenter à deux fois la dette de l’aéroport, et au lieu d’investir cet argent dans l’infrastructure, il a obligé l’aéroport à l’utiliser en partie pour payer ses actionnaires ». Ce n’est pas fini : « Macquarie a monté une structure complexe de propriété de l’aéroport pour qu’il puisse manipuler les règles fiscales… Non seulement, Macquarie conseille l’aéroport pour s’engager dans des nouvelles dettes, mais il arrive à faire profiter des entités qui lui appartiennent de ses prêts et des garanties internes. » 
Et elle termine : « La conclusion la plus importante est que la financiarisation reste en-dessous du radar politique et public. La Belgique en est un exemple frappant : l’Etat belge s’engage avec des partenaires privés de manière peu transparente. Des documents comme les contrats qui règlent la vente de l’aéroport, ou comme les informations financières sensibles, ne sont pas accessibles au public. »      

Dominique Lorrain, directeur de recherche à l’EHESS, a lui aussi dressé un portrait de cette entreprise monstre. Si elle évolue au fil du temps, son ADN qui lie les infrastructures, les risques bas et l’ingénierie financière reste constant. Ainsi, Macquarie veut revendre ses parts de l’aéroport de Zaventem et il investit dans la mégaprison de Haren.
Extraits de son portrait : « Le « modèle » Macquarie peut se définir en termes simples comme l’application de la technique du financement par la dette à des infrastructures. (…) Les dirigeants recherchent un équilibre subtil entre l’exigence de marchés ouverts (pour pouvoir y entrer) mais protégés par un monopole (pour garantir le résultat). (…) Dans ce modèle, l’infrastructure ne représente pas la substance du métier de la banque mais le support le mieux adapté au développement de son ingénierie financière ; c’est à la fois sa compétence principale et le moyen de produire de la valeur. »[12].

Une histoire d’eau

Qu’on ait affaire à un véritable vampire, l’expérience de la société d’eau anglaise Thames Water l’illustre parfaitement. Macquarie a placé sous son contrôle Thames Water, la plus grande société d’eau de l’Angleterre, pour un montant de £5.1bn (5.100.000.000 livres anglais) en 2006. Thames Water livre de l’eau potable à 9 millions d’habitants de Londres et de la région de la Vallée de la Tamise. Ce n’est pas l’eau qui intéresse Macquarie : ce sont les profits qu’il peut en tirer.  
Dans une analyse réalisée pour la BBC, Martin Blaiklock, un consultant doté d'une expérience internationale de quarante ans en matière de financement des services publics privatisés, conclut que le rendement de Thames Water pour Macquarie et ses investisseurs était en moyenne de 15,5% à 19% par an. Selon Mr Blaiklock, ces retours étaient «deux fois plus que ce qu'on attend normalement». En contrepartie, Macquarie néglige le nécessaire entretien des infrastructures, jusqu’à causer une pollution extrêmement grave des rivières.  En 2011, il a été condamné à payer 204.000 livres pour n’avoir pas pris en charge la réparation d’un égout, ce qui a provoqué l’inondation d’eaux usées dans les rues et les jardins de Londres.
Pire.
De 2012 à 2014, alors que la compagnie d’eau est sous le contrôle de Macquarie, une pollution grave de la rivière Thames et d’autres rivières est constatée, suite au déversement d’eaux usées non-traitées par Thames Water. Une société environnementale dépose plainte contre Thames Water (Macquarie). Celle-ci reconnaît « avoir déversé des millions de litres d'eaux usées dans la Tamise dans six sites de Henley-on-Thames, Didcot, Little Marlow et Littlemore, tuant du poisson et d'autres animaux sauvages ».[13] Dans son jugement, le tribunal décide qu’il y a eu un "inadequate investment, diabolical maintenance and poor management" de la part de la firme.[14] (investissements insuffisants, entretien diabolique et management déficient).  
En mars 2017, Thames Water (Maquarie) est condamné à payer une amende record de 30 millions de livres. Thames Water (Macquarie) reconnaît le manquement de management mais « nie qu’il y a un lien entre les retours élevés pour les investisseurs et la pollution par des eaux polluées ». Macquarie vend sa dernière action dans Thames Water en mars 2017.[15]

National Grid, le réseau électrique national en GB
Le président du plus grand syndicat anglais : « On ne peut pas faire confiance à Macquarie »

Après avoir pillé le secteur d’eau, le vampire change d’objectif. En 2016, Macquarie entre pour 61% dans le National Grid, le réseau électrique national de Grande-Bretagne, pour un montant de 13,8 milliards de livres.[16] 
Les syndicats sont furieux. 
Ils déclarent que Macquarie est un propriétaire « inapproprié » et mettent en garde contre les éventuelles augmentations de prix pour les usagers. Ils rappellent que « la banque d'investissement impitoyable - connue sous le nom de Vampire Kangaroo - a acheté sa part dans le fournisseur d'eau en 2006, n'a fait rien d’autre que d’en tirer des bénéfices pendant une décennie avant de décider de la vendre cette année ». 
Le secrétaire général d'Unison, le plus grand syndicat d’Angleterre, Dave Prentis, déclare en décembre 2016 : «Macquarie a une mauvaise réputation - pour avoir accumulé une énorme dette d'entreprise, pour avoir rapatrié massivement des dividendes vers l'hémisphère du sud et nous avoir obligé à payer plus pour un service plus pauvre. L'entreprise qui a prouvé qu'on ne peut pas lui faire confiance pour l'approvisionnement de la nation en eau, va maintenant être responsable pour les conduites de gaz à des millions de maisons et d'entreprises. »[17]

Ces critiques ne viennent pas seulement des milieux syndicaux. 
En 2012, le gouvernement britannique fondait le Green Investment Bank, visant à encourager le choix pour une infrastructure ‘verte’ dans les secteurs de la construction et de l’énergie. 
Cinq ans plus tard, le gouvernement, en manque d’argent, décide de privatiser tout ce qu’il peut et au plus vite. Ce qui inquiète tout le monde, les défenseurs de la privatisation y compris, est que l’Etat veut vendre ses parts dans le Green Investment Bank à Macquarie. « On ne peut pas faire confiance à Macquarie pour devenir propriétaire d’une infrastructure aussi vitale pour le pays », écrit Alex Brunner, le spécialiste économie de droite du Daily Mail : « A Thames Water on a constaté que le groupe (Macquarie) a transféré des centaines de millions de dividendes à des investisseurs, n’a payé qu’un minimum d’impôts et a insuffisamment investi dans le réseau ».[18]

Même commentaire de la part de Danny Fortson du Sunday Times quand Macquarie annonce fin 2016 son intention d’acheter l’exploitation gazière devant la côte irlandaise. 
Il écrit : « Macquarie est un vampire qui veut mettre ses dents dans l’exploitation gazière d’Irlande… Ce géant se spécialise dans l’investissement privé dans l’infrastructure. Ainsi il contrôle déjà le péage de l’autoroute M6 et Thames Water, la plus grande société en provision d’eau en Grande-Bretagne. Les fonds d’investissement de Macquarie utilisent souvent de grands montants de dette, parfois de ses propres véhicules financiers, pour financer ses achats. Comme il peut déduire les intérêts de ses impôts, Macquarie peut minimiser le cash qu’il doit payer aux caisses de l’Etat. Sa capacité de maximaliser le rendement de ses investissements tout en minimisant les impôts a amené à son appellation de Vampire Kangaroo… » [19]

Du Samusocial et de Kazakhgate à Macquarie ?

Il est particulièrement inquiétant et cynique de constater qu’au moment des commissions d’enquêtes sur les fraudes, la corruption et les vols de l’argent public au Samusocial ou dans le Kazakhgate, nos gouvernants font cause commune avec Macquarie pour construire des prisons dans notre pays. 
Macquarie mériterait bien une commission d’enquête en elle-même. Il a été systématiquement impliqué dans les grandes affaires d’évasion fiscale dans le monde. Macquarie a été épinglé dans un scandale bancaire en Australie[20],[21]. Il est accusée d’avoir manipulé la monnaie en Malaisie[22]. C'est une des 340 sociétés impliquées dans l’évasion fiscale à échelle industrielle par des contrats secrets conclus au Luxembourg, révélés par Luxleaks[23]. Pour les mêmes raisons d’évasion fiscale, Macquarie est cité dans les Panama Papers, les Offshore leaks[24]
Ces évasions fiscales qui volent des millions de dollars à la communauté et qui privent les États de moyens pour subsidier le transport public, l’éducation ou les soins de santé… ne sont-elles pas des activités criminelles pour le gouvernement belge ? Pour compléter l’image : la banque Macquarie est actuellement au cœur d’un scandale de harcèlement parmi ses employés[25]

Macquarie, fer de lance de la privatisation de l'infrastructure au niveau mondial

En faisant entrer Macquarie en Belgique, on n’ouvre pas la porte à n’importe quel simple acteur parmi d‘autres. Macquarie est un pionnier. Aux États-Unis, on parle même d’un « modèle Macquarie » développé depuis les années 1990. « La vague mondiale de privatisations lancée par des gouvernements en manque d’argent dans les années 1990 a ouvert la porte aux financiers pour s’accaparer et gérer l'infrastructure de manière massive. Macquarie en a été le pionnier de la nouvelle approche. C’est cette société qui a réalisé qu’elle pouvait s’acheter le droit de gérer un actif public, puis retourner cette propriété aux investisseurs, en percevant les droits à chaque étape du processus. Si les choses tournaient mal, ce sont les investisseurs, souvent des fonds de pension ou des retraités individuels, qui doivent les assumer. Le «modèle Macquarie» a enflammé Wall Street. L'investissement privé dans les infrastructures a atteint un record de 413 milliards de dollars l'an dernier, selon la firme de données Prequin », explique la journaliste Rebecca Burns dans une enquête sur la politique économique de Trump.[26]

Trump avec DJ Gribbin de Macquarie
 Macquarie faisait partie du consortium qui a réalisé en 2005 la première privatisation d’une route à péage public aux Etats-Unis – le Chicago Skyway. L’accord conclu prévoit que les investisseurs privés y ont les droits pour 99 ans. Même scénario en Grande-Bretagne où Macquarie a acheté la seule route à péage britannique pour après s’en débarrasser en décembre 2013. 

Aujourd’hui, Macquarie est en première ligne pour aider Trump à réaliser l’entière privatisation de l’infrastructure américaine. Une opération gigantesque, annoncée par Steve Bannon, l’ancien stratège de Trump, comme « aussi excitante que celle des années 1930, et plus grande que la révolution de Reagan ».[27]  Au profit de qui ? 
Rebecca Burns conclut : « Surnommé «le kangourou vampire» pour sa soif insatiable de biens publics dans le monde entier, Macquarie, basé en Australie, est sur la courte liste d'entreprises qui pourraient bénéficier énormément de cette destruction de l'infrastructure américaine publique».       

Les gouvernements belges font-ils confiance au vampire pour s’occuper de nos prisons ?

(Cet article est un extrait de "Mégaprison de Bruxelles, genèse d'un crime" sur http://www.harenobservatory.net/megaprison-de-bruxelles-genese-d-un-crime)





[8]petite paraphrase de la chanson de Jennifer Warnes : first we take Mahattan, then we take Berlin…

[11]Keeping financialisation under the radar ? Brussels Airport, Macquarie Bank and the Belgian politics of financialised infrastructure  http://www.scriptiebank.be/scriptie/2015/keeping-financialisation-under-radar-brussels-airport-macquarie-bank-and-belgian

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