Quand la justice déraille à la ZAD de Haren : 10 mois de prison pour une maquette

La destruction de la ZAD de Haren par la police  le lundi 21 septembre 2015, 
jugée illégale par un tribunal, est restée impunie. 
Quatre militants anticarcéraux écopent de dix mois de prison 
pour la destruction d'une maquette 



















Le 18 avril 2018, la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé la peine prononcée par le tribunal de première instance contre quatre militants anticarcéraux. 
Les quatre militants sont poursuivis pour avoir fait partie d’un groupe d’une vingtaine de personnes qui, le 20 mai 2015, auraient détruit la maquette de la méga-prison de Haren, lors d’une action contre celle-ci, à la Régie des Bâtiments à Bruxelles.
La construction de la prison de Haren divise clairement l’appareil judiciaire en Belgique. 

Des juges avec nous…

 Si, dans leur ensemble, police, armée, prisons et appareil judiciaire constituent les piliers de l’ordre capitaliste de notre société, des contradictions traversent aussi ces institutions. 
Au sein de l’appareil judiciaire, des hommes, comme le Juge Luc Hennart, ou des groupes, comme l’Association Syndicale des Magistrats (ASM), s’opposent comme nous à la construction de la méga-prison à Haren. En février dernier, dans le bulletin Justine de l’ASM, Hervé Louveaux, juge auprès du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, a rappelé de manière remarquable les raisons de cette opposition. 
Parce que, écrivait-il, cette prison est trop grande, elle est trop loin, elle est trop chère (soixante millions par an pendant vingt-cinq ans, hors frais pour le personnel pénitentiaire et l’énergie). Aussi parce qu’elle comportera des salles d’audiences destinées aux juridictions d’instruction, créant ainsi « un lieu de justice aussi excentré que déplacé du point de vue symbolique ». Parce que les critiques concernent également l’environnement, l’urbanisme et le développement, l’absence de débat politique : « Reste à rêver d’un débat politique qui n’a jamais eu lieu », écrivait-il. Et il concluait en dénonçant les contrats PPP (partenariats public privé): « l’appel pour un moratoire sur la construction de prisons, lancé au printemps 2017, garde toute son acuité »[1].

Nous ne pouvons que saluer cette prise de position démocratique et courageuse.

Des juges contre nous…

Mais sévit aussi cet appareil de justice qui semble vivre sur une autre planète, ou en tout cas hors du monde réel, insensible à tout engagement politique ou social.   

En février 2016, quatre militants anticarcéraux avaient été condamnés à dix mois de prison,  accusés d’avoir détruit la maquette de la méga-prison de Haren, exposée à la Régie des Bâtiments à Bruxelles.  Quelques militants avaient à juste titre fait appel contre ce verdict.

La maquette
 Avec des amis, j’ai assisté à la séance en appel qui a eu lieu le 19 mars 2018. C’était une leçon en live de tout ce qu’on peut détester dans la justice de classe, avec toute sa condescendance pour le bas-peuple. À l’audience, les accusés reconnaissaient leur présence à l’action où ils portaient des calicots contre la méga-prison. Par la voix de leurs avocats, ils niaient avoir eu l’intention de détruire la maquette ou avoir été les auteurs du coup fatal décapitant la maquette de la méga-prison. Il n’existe d’ailleurs aucun élément prouvant le contraire. « Si la destruction de la maquette était leur objectif auraient-ils choisi le moment où tout le personnel sortait du bâtiment ? », demandait la défense. « N’auraient-ils pas pris des précautions pour se déguiser face aux caméras présentes dans le bâtiment » ? Aucun argument de la défense n’a semblé toucher les juges. Les accusés ont eu droit à un interrogatoire invraisemblable comme si les juges étaient des procureurs ou des policiers : « Vous habitez Anderlecht, Monsieur, pourquoi vous vous occupez de quelque chose qui se passe à Haren ? » « Vous êtes contre la méga-prison, mais que feriez-vous si un de vos proches était victime d’une agression ? » « Vous dites que la maquette ne peut pas avoir coûté 40.000 euros, alors vous dites que ce n’est pas grave ? ». 

C’est donc sans surprise que,  le 18 avril, cette Cour a persisté et confirmé le premier verdict : dix mois de prison avec trois ans de sursis. À payer : 600 euros d'amende + 150 euros pour le fonds d'indemnisation des victimes + 50 euros d'indemnisation + les frais de justice.

Destruction de la Zad de Haren le 21 septembre 2015
 J’ai déjà décrit mon indignation sur la condamnation du tribunal en première instance en février 2016 :  Haren : 10 mois de prison pour une maquette !!?? Quelques réflexions sur la violence de l'état [2]. Je n’y ai rien à ajouter. Sauf peut-être que cette condamnation draconienne à dix mois de prison ne peut que renforcer notre conviction à lutter contre la méga-prison et contre la politique carcérale en général. Il y a en effet un lien entre la nécessité proclamée de cette méga-prison et l’utilisation systématique de la prison comme peine et la hauteur extrêmement élevée des peines en Belgique.  

Un rapport accablant sur la Belgique

Prenons à ce sujet le rapport du Conseil de l'Europe, paru en mars 2018[3], qui rassemble les données sur les prisons et leur population carcérale de 47 administrations pénitentiaires (sur 52) des 47 États membres du Conseil de l’Europe, et qui cloue la Belgique au pilori. Selon ce rapport, des 47 administrations pénitentiaires, les prisons sont surpeuplées dans 13 d’entre elles. La Belgique en fait partie. Avec la Hongrie, la France, Chypre et la Macédoine (République), elle se trouve parmi les seuls pays ayant un taux d’occupation de plus de 110 détenus pour 100 places. 
Avec 40,7 % de détenus étrangers, la Belgique bat tous les records (au niveau européen il y a 11,6 % d’étrangers parmi ses détenus). La Belgique dépasse l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, France et l’Espagne. 
Sur 100.000 habitants, la Belgique enferme 102.7 personnes. C’est plus que l’Allemagne, la Grèce, la France, l’Italie, le Norvège ou l’Irlande. C’est quasi le double des Pays-Bas (51.4), de la Suède (58.5), du Finlande (56.7), le Danemark (59.7). 
De 2006 à 2016, le taux de détention a augmenté de plus de 5 % dans 18 pays. La Belgique en fait partie avec un taux d’augmentation de 8,3 %. 
Le taux de suicide dans les prisons est une des causes principales de tous les décès dans les prisons. Mais il n’en est la cause pour plus de 10 % dans seulement six pays : Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Slovénie, Suisse et Royaume-Uni (Angleterre et Wales).

Mais, diront les plus optimistes et les plus indulgents d’entre nous : dans le cas de la condamnation pour la maquette, il ne s’agit que d’une peine de prison « avec sursis ». Ce serait sous-estimer les politiques actuelles. Il s’agit d’une véritable mise sous contrôle judiciaire, avec menace de prison ferme pendant trois ans. Un faux-pas durant ces trois ans et on vous envoie en prison. Vu que nos prisons sont pleines à craquer, ce genre de condamnation avec sursis, tout comme le bracelet électronique et d’autres formes de monitoring électronique, se répand de plus en plus. 
Le professeur Marcelo F. Aebi qui a conduit les recherches pour le Conseil de l'Europe mentionnées plus haut, relève deux tendances : « Je n'observe pas une tendance vers des peines moins sévères. Ce qui serait pourtant la seule solution pour réduire la population carcérale. De l’autre côté, on observe que le filet de la justice s’élargit et que le nombre de personnes sous contrôle judiciaire ne cesse d’augmenter : il y a pour le moment en Europe 1 600 000 personnes en dehors des prisons (chiffres de la Russie comprise) mais sous contrôle judiciaire »[4]

La peine à laquelle les militants anticarcéraux ont été condamnés est une illustration du bilan carcéral stupéfiant de la Belgique. 
Et, du même coup, celle de la légitimité de notre combat.


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