Quand la justice déraille à la ZAD de Haren : 10 mois de prison pour une maquette
Le 18 avril 2018, la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé la peine prononcée par le tribunal de première instance contre quatre militants anticarcéraux.
Les quatre militants sont poursuivis pour avoir fait partie d’un groupe d’une vingtaine de personnes qui, le 20 mai 2015, auraient détruit la maquette de la méga-prison de Haren, lors d’une action contre celle-ci, à la Régie des Bâtiments à Bruxelles.
La construction de la prison de Haren divise clairement
l’appareil judiciaire en Belgique.
Des juges avec nous…
Si, dans leur ensemble, police, armée, prisons et appareil
judiciaire constituent les piliers de l’ordre capitaliste de notre société, des
contradictions traversent aussi ces institutions.
Au sein de l’appareil
judiciaire, des hommes, comme le Juge Luc Hennart, ou des groupes, comme l’Association
Syndicale des Magistrats (ASM), s’opposent comme nous à la construction de la méga-prison
à Haren. En février dernier, dans le bulletin Justine de l’ASM, Hervé Louveaux, juge auprès du Tribunal de
première instance francophone de Bruxelles, a rappelé de manière remarquable les
raisons de cette opposition.
Parce que, écrivait-il, cette prison est trop
grande, elle est trop loin, elle est trop chère (soixante millions par an
pendant vingt-cinq ans, hors frais pour le personnel pénitentiaire et
l’énergie). Aussi parce qu’elle comportera des salles d’audiences destinées aux
juridictions d’instruction, créant ainsi « un
lieu de justice aussi excentré que déplacé du point de vue symbolique ».
Parce que les critiques concernent également l’environnement, l’urbanisme et le
développement, l’absence de débat politique : « Reste à rêver d’un débat politique qui n’a jamais eu lieu »,
écrivait-il. Et il concluait en dénonçant les contrats PPP (partenariats public
privé): « l’appel pour un moratoire
sur la construction de prisons, lancé au printemps 2017, garde toute son acuité »[1].
Nous ne pouvons que saluer cette prise de position
démocratique et courageuse.
Des juges contre
nous…
Mais sévit aussi cet appareil de justice qui semble vivre
sur une autre planète, ou en tout cas hors du monde réel, insensible à tout
engagement politique ou social.
En février 2016, quatre militants anticarcéraux avaient été
condamnés à dix mois de prison, accusés
d’avoir détruit la maquette de la méga-prison de Haren, exposée à la Régie des
Bâtiments à Bruxelles. Quelques
militants avaient à juste titre fait appel contre ce verdict.
La maquette |
C’est donc sans surprise
que, le 18 avril, cette Cour a persisté
et confirmé le premier verdict : dix mois de prison avec trois ans de sursis. À
payer : 600 euros d'amende + 150 euros pour le fonds d'indemnisation des
victimes + 50 euros d'indemnisation + les frais de justice.
Destruction de la Zad de Haren le 21 septembre 2015 |
Un rapport accablant sur la Belgique
Prenons à ce sujet le rapport du Conseil de l'Europe, paru en mars 2018[3],
qui rassemble les données sur les prisons et leur population carcérale de 47
administrations pénitentiaires (sur 52) des 47 États membres du Conseil de
l’Europe, et qui cloue la Belgique au pilori. Selon ce rapport, des 47
administrations pénitentiaires, les prisons sont surpeuplées dans 13 d’entre
elles. La Belgique en fait partie. Avec la Hongrie, la France, Chypre et la
Macédoine (République), elle se trouve parmi les seuls pays ayant un taux
d’occupation de plus de 110 détenus pour 100 places.
Avec 40,7 % de détenus
étrangers, la Belgique bat tous les records (au niveau européen il y a 11,6 %
d’étrangers parmi ses détenus). La Belgique dépasse l’Allemagne, l’Irlande,
l’Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, France et l’Espagne.
Sur 100.000 habitants, la Belgique enferme 102.7 personnes. C’est plus que l’Allemagne, la Grèce, la France, l’Italie, le Norvège ou l’Irlande. C’est quasi le double des Pays-Bas (51.4), de la Suède (58.5), du Finlande (56.7), le Danemark (59.7).
Sur 100.000 habitants, la Belgique enferme 102.7 personnes. C’est plus que l’Allemagne, la Grèce, la France, l’Italie, le Norvège ou l’Irlande. C’est quasi le double des Pays-Bas (51.4), de la Suède (58.5), du Finlande (56.7), le Danemark (59.7).
De 2006 à
2016, le taux de détention a augmenté de plus de 5 % dans 18 pays. La Belgique
en fait partie avec un taux d’augmentation de 8,3 %.
Le taux de suicide dans
les prisons est une des causes principales de tous les décès dans les prisons.
Mais il n’en est la cause pour plus de 10 % dans seulement six pays : Belgique,
Allemagne, Pays-Bas, Slovénie, Suisse et Royaume-Uni (Angleterre et Wales).
Mais, diront les plus optimistes et les plus indulgents d’entre
nous : dans le cas de la condamnation pour la maquette, il ne s’agit que
d’une peine de prison « avec sursis ». Ce serait sous-estimer les
politiques actuelles. Il s’agit d’une véritable mise sous contrôle judiciaire,
avec menace de prison ferme pendant trois ans. Un faux-pas durant ces trois ans
et on vous envoie en prison. Vu que nos prisons sont pleines à craquer, ce
genre de condamnation avec sursis, tout comme le bracelet électronique et
d’autres formes de monitoring électronique, se répand de plus en plus.
Le professeur Marcelo F. Aebi qui a conduit les recherches pour le Conseil de l'Europe mentionnées plus haut, relève deux tendances : « Je n'observe pas une tendance vers des peines moins sévères. Ce qui serait pourtant la seule solution pour réduire la population carcérale. De l’autre côté, on observe que le filet de la justice s’élargit et que le nombre de personnes sous contrôle judiciaire ne cesse d’augmenter : il y a pour le moment en Europe 1 600 000 personnes en dehors des prisons (chiffres de la Russie comprise) mais sous contrôle judiciaire »[4].
Le professeur Marcelo F. Aebi qui a conduit les recherches pour le Conseil de l'Europe mentionnées plus haut, relève deux tendances : « Je n'observe pas une tendance vers des peines moins sévères. Ce qui serait pourtant la seule solution pour réduire la population carcérale. De l’autre côté, on observe que le filet de la justice s’élargit et que le nombre de personnes sous contrôle judiciaire ne cesse d’augmenter : il y a pour le moment en Europe 1 600 000 personnes en dehors des prisons (chiffres de la Russie comprise) mais sous contrôle judiciaire »[4].
La peine à laquelle les militants anticarcéraux ont été condamnés
est une illustration du bilan carcéral stupéfiant de la Belgique.
Et, du même coup,
celle de la légitimité de notre combat.
[1] http://supermax.be/200-academiciens-travailleurs-sociaux-artistes-lancent-un-appel-pour-arreter-la-construction-de-prisons-en-belgique/
[3] Space
I 2016 Faits & Chiffres
Commentaires