La déchéance de la nationalité de Malika El Aroud : d’un centre pour illégaux à la résidence surveillée dans une maison au milieu de nulle part (première partie).


Déchue de sa nationalité belge, Malika El Aroud (60 ans) a été arrêtée en octobre 2018. Enfermée d’abord dans une prison pour illégaux à Bruges, puis dans le Centre transit La Caricole, près de l’aéroport, elle se trouve maintenant dans une maison, seule et isolée, encore plus éloignée de sa famille qu’auparavant. 
Légalement, les autorités n’avaient plus la possibilité de la détenir plus longtemps dans un Centre pour illégaux.

Au lieu de la remettre en liberté (surveillée), en attendant la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, elles ont décidé de la mettre dans une maison individuelle sous contrôle policière et de celui du Service des Étrangers. 
Chaque jour (7/7) elle doit se présenter au bureau de police. Elle ne peut pas quitter le territoire de la commune. Pour vivre, elle reçoit des chèques repas (qu’on n’accepte plus partout, ne parlons pas de s’acheter une pair de chaussures ou un vêtement). Après 21 heures, elle ne peut plus quitter la maison jusqu’au matin. Si elle est malade, disent-ils, elle n’a qu’à aller se présenter à l’hôpital. Ne disposant pas d’une carte d’identité ou de l’argent, elle n’a qu’à montrer le papier du service des Etrangers qui explique qui elle est, c’est-à-dire une personne dangereuse, condamnée pour terrorisme à 8 ans de prison ferme.

Le silence ne suffit pas

Depuis sa sortie de prison il y a trois ans, Malika El Aroud n’a fait qu’essayer de se remettre de cette détention de 8 ans et de s’intégrer auprès de sa famille. Rien d’autre. Elle n’a rien publié, elle n’a rien écrit. Rien pendant deux ans. Au point où la Sûreté de l’Etat lui rendait visite, parce qu’elle s’inquiétait de son absence sur les réseaux sociaux.

Une personne qui a fait sa peine jusqu’au dernier jour, qui essaie de refaire sa vie, qui observe un silence total, qui, après avoir passé une année dans deux centres de détention pour illégaux, a été félicitée par les directions de ces centres pour sa patience et son comportement exemplaire… qu’est-ce que la Sûreté de l’Etat et les services antiterroristes peuvent se souhaiter de plus ? Il n’y avait pas et il n’y a pas de raison de sécurité, pas d’intérêt quelconque pour déchoir cette dame de 60 ans de sa nationalité belge pour la renvoyer dans un pays où elle n’a jamais vécu. Les autorités belges vont même plus loin, elles veulent l’expulser, si la possibilité se présente, je cite, « vers n’importe quel pays tiers qui pourrait l’accueillir ». Plus rien avoir avec un retour vers sa soi-disant deuxième patrie.

La guerre sans fin

Il n’y a qu’une raison pour ce genre de politique : la vengeance d’état, qui doit à la fois entretenir la culture de l’une peur généralisée, créer l’illusion de nous protéger de cette dame dangereuse et semer la peur de l’expulsion dans sa propre communauté.
Dans l’affaire de Malika El Aroud, il ne s’agit plus d’une justice équitable, applicable à tous, mais d’une continuation de la guerre contre les ennemis de l’état. C’est aussi la raison fondamentale derrière la non-action de nos gouvernants pour rapatrier et sauver les enfants et les mères belges en Syrie. On n’en veut pas. Sécurité ou pas, on préfère qu’ils restent – et qu’ils meurent - là-bas.  

Je signale, en passant, dans le brouillard politique actuel qui met dans un sac commun toutes les affaires terroristes, que contrairement à ce que l’on pense, Malika El Aroud n’a rien à voir avec la Syrie, ni avec IS, ni avec les attentats, qui ont frappé des villes européennes. Elle a été un produit de la guerre en Afghanistan et a été, à sa manière, une voix contre cette guerre, que l’on aime ou que l’on n’aime pas. Et pour ceux et celles qui ont suivi cette affaire, ils savent qu’il n’y a strictement rien dans son dossier qui puisse justifier la peine draconienne qu’elle a subi.
 
Le message que nous envoie l’état belge à travers le cas de Malika El Aroud dépasse son cas individuel. Il est un signe d’une politique mettant en danger tous les non-belges et binationaux.

S’opposer à la déchéance de la nationalité

S’opposer à la déchéance de la nationalité de Malika El Aroud, c’est s’opposer à sa déshumanisation. C’est s’opposer au refus d’une deuxième chance pour les ex-détenu(e)s. C’est s’opposer à une politique qui est raciste et qui crée des vrais et des mi-citoyens belges. C’est s’opposer à une politique qui ne veut pas la réconciliation, mais la guerre, pas la main tendue mais la main de fer. 
C’est s’opposer à la création une catégorie de personnes, qui ne sont plus considérées comme des humains, parce que, comme l’écrivait Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme, « le droit d’avoir des droits dépend d’avoir une nationalité, sans état, ces droits restent abstraits, ne sont pas possible à imposer, et quelqu’un reste non-protégé ». 
Un renvoi au Maroc ou « à n’importe quel pays tiers qui pourrait l’accueillir ». revient à ça.

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