Dans l’affaire Ali Aarrass, la palme d’or de l’hypocrisie va à… Didier Reynders ! La consternation après le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme
Tout au long de ces douze ans, aussi bien Reynders que son
prédécesseur Van Ackere ont refusé et refusé encore de lever le petit doigt
pour protéger Ali Aarrass. Ni pour s’opposer à son extradition. Ni pour
empêcher sa torture. Ni pour s’indigner sur sa torture. Ni pour critiquer son
procès inique. Ni pour s’opposer à ses conditions de détention inhumaines,
contraires aux Règles Nelson Mandela, qui définissent les conditions de
détention à respecter par tous les États membres de l’ONU.
Jamais Reynders n’a fait une déclaration publique sur Ali
Aarrass, comme il a l’habitude de le faire lorsqu’il s’agit de Belges en Iran
ou au Nicaragua. L’argument avancé pour ce refus systématique ? Il n’y en avait
qu’un seul, répété par Reynders et ses services à chaque demande d’assistance :
« « Nous n’intervenons jamais pour un binational sur le territoire d’un pays
dont il possède la nationalité… Ce principe est appliqué sans discrimination
pour tous les détenus de double nationalité ». En vérité, les seuls principes qui empêchent
une assistance belge sont les relations privilégiées économiques, politiques,
judiciaires et sécuritaires entre le Maroc et la Belgique. Au nom des intérêts
communs dans la sainte lutte antiterroriste, la non-assistance à des personnes
injustement accusées, extradées et torturées est justifiée.
« Nos services ne contacteront pas les autorités marocaines »
L’extradition d’Ali Aarrass par l’Espagne au Maroc en
décembre 2010 fut suivie d’un long silence d’un mois. Ali avait disparu.
Personne n’était informé de son lieu de détention. Il n’avait pas accès aux
services d’un avocat. Farida Aarrass s’adressait alors au ministre des Affaires
étrangères, lui demandant de s’informer auprès des autorités marocaines sur la
situation de son frère afin de savoir où il se trouve. En réponse à son email,
le ministre répond : « Je vous confirme que la position en matière d’aide
consulaire aux bipatrides est de ne pas intervenir auprès des autorités locales
du pays de leur autre nationalité. Comme Ali Aarrass est considéré comme de
nationalité marocaine par les autorités marocaines, nos services ne les contacteront
donc pas pour votre frère ».
Cette position sera répétée pendant des années. Ali, de son
côté réapparaît le 18 janvier 2011, lorsqu’il est présenté au juge
d’instruction, assisté de son avocat. Sorti de dix jours de torture, Ali décide
de porter plainte du chef de torture, non seulement au Parquet mais également
auprès du ministre de la Justice et du Conseil National des Droits de l’Homme.
Cela ne change en rien la position de la Belgique. Ainsi, le 7 mars 2012, en
réponse à une interpellation à la commission des Relations extérieures, Didier
Reynders, répondait : « Nous n’intervenons jamais pour un binational sur le
territoire d’un pays dont il possède la nationalité. La Belgique applique ce
principe qui a été confirmé entre autres par la Convention de La Haye du 12
avril 1930 concernant certaines questions relatives au conflit de loi sur la
nationalité, stipulant qu’un État ne peut exercer sa protection diplomatique au
profit d’un de ses nationaux à l’égard d’un État dont celui-ci est également le
ressortissant national. Et la Belgique a signé cette convention. Ce principe
est appliqué sans discrimination pour tous les détenus de double nationalité.
Le même principe est bien entendu appliqué sur le territoire belge ».
« Je ne veux pas rencontrer la famille »
Un an plus tard, le 20 février 2013, même réponse – mot pour
mot – de Reynders à la demande de recevoir la famille Aarrass : « Je ne peux
que vous confirmer que le Service Public Affaires étrangères n’intervient pas
pour un binational sur le territoire d’un pays dont il possède la nationalité.
Ce principe est appliqué sans discrimination pour tous les détenus de double
nationalité. Je n’estime donc pas opportun d’organiser une rencontre concernant
ce dossier ». Dans une lettre à l’ambassade de la Belgique à Rabat du 5
août 2013, Didier Reynders écrivait : «… Je confirme le principe que les
ambassades belges s’abstiennent d’accorder la protection consulaire à des
personnes ayant la double nationalité ».
Après six ans de demandes et d’actions, Ali Aarrass et ses
avocats ont décidé de s’adresser au tribunal pour briser cette discrimination
et obliger la Belgique à assurer une protection consulaire à Ali Aarrass.
Le 3 février 2014, Ali Aarrass et ses avocats obtiennent une
victoire historique devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. Pour
la première fois dans l’histoire judiciaire belge, un citoyen binational a trainé
l’état belge devant un tribunal et venait d’obtenir d’un Tribunal l’ordre de le
protéger hors de la Belgique. En
s’appuyant sur l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme,
le tribunal avait déclaré : « La protection consulaire vise principalement à
la protection des droits individuels à l’étranger. Elle doit être entendue
comme un mécanisme visant à ce que les droits reconnus à un individu puissent
être effectivement garantis (…) La protection consulaire est donc de nature à
contribuer au respect des droits fondamentaux, comme celui garanti à l’article
3 de la Convention européenne des Droits de l’homme (…) Un agent consulaire a le droit de communiquer
avec son ressortissant mais ce droit peut se transformer en obligation, en
vertu de l’article 1er de la Convention européenne des Droits de l’homme, si
une violation à ladite Convention est alléguée et portée à la connaissance de
cet Etat (…) ».
Mais, Monsieur Reynders ne désarmait pas et décidait de
faire appel de ce jugement. À une interpellation parlementaire de Zoé Genot, le
11 mars 2014, demandant pourquoi aucun suivi n’a été donné au jugement,
Reynders répondait : « Pour ce qui est de l’ordonnance du tribunal de
première instance de Bruxelles, outre le fait que nous avons interjeté appel
car nous ne partageons pas du tout l’analyse sur deux points de droit, cette
ordonnance stipule que M. Ali Aarrass doit pouvoir, s’il en fait la demande,
communiquer avec le consul belge sur place. Instruction a été donnée à notre
ambassade à Rabat de mettre M. Aarrass en mesure de communiquer avec
l’ambassade. En fonction de ses doléances, il sera examiné avec quelle
fréquence cette communication devra avoir lieu ».
Contrainte par le tribunal, la Belgique demandait
l’autorisation d’une assistance consulaire au Maroc, le 4 mars 2014. Tout en
mentionnant dans sa demande que la Belgique était forcée par un tribunal de le
faire et que de nouvelles démarches judiciaires allaient suivre pour faire
annuler cette obligation ! Ainsi, l’ambassade belge à Rabat écrivait le 4 mars
2014 au ministère des affaires étrangères au Maroc que « la demande
(d’assistance consulaire au Maroc) et la communication qui en résulterait…
laissent entièrement inaffectée sa position juridique sur le plan international
concernant l’exercice de l’assistance consulaire en faveur de binationaux.
» En d’autres mots : nous ne
souhaitons pas accorder une assistance consulaire à Ali Aarrass. Le 11 mars
2014, l’affaire Ali Aarrass et le pourvoi en appel seront discutés lors d’une
rencontre entre la Belgique et le Maroc. Il ressort de cette réunion, je
cite : « … Que les autorités marocaines ne souhaitent pas voir se créer
un précédent, la question de la possible condamnation de l’État belge en appel
(procédure belge) et de ses suites jurisprudentielles se posant alors…
».
Reynders n’attendait qu’une chose : que la Cour d’appel
annule le premier jugement. Ce que la Cour d’appel ne fera pas ! Au contraire,
en septembre 2014, la Cour d’appel non seulement confirmait le premier
jugement, mais elle durcissait le ton : elle ordonnait la Belgique à « requérir
de l’État du Maroc de permettre aux autorités consulaires au Maroc de rendre
hebdomadairement visite à Ali Aarrass pendant une période de six mois », et
à payer « une astreinte de 100 euros par jour de retard si elle n'adresse
pas cette demande dans le mois de la signification de l'arrêt », si elle ne
réagit pas à l'urgence signalée par la Cour de Bruxelles. Pour la Cour, « des
indications sérieuses tendent à démontrer que l'intimé (Ali Aarrass) a subi des
traitements inhumains et dégradants dans les prisons marocaines afin de lui
arracher des aveux. » La Cour critiquait « le silence persistant
conservé par les autorités marocaines aux demandes d'information », « la
manière dont elles tendent à minimiser les plaintes de l'intimé ». Pour la
Cour, il y a urgence : « Ali Aarrass subit encore à ce jour des atteintes
graves à son intégrité physique et à son intégrité morale… ».
Après cette deuxième défaite, Didier Reynders se pourvoyait en
cassation. Ce qu’il obtenait finalement, non pas sur le fond, mais sur des
aspects formels, le 29 septembre 2017, lorsque la Cour de Cassation en Belgique
cassait les arrêts en faveur d’Ali Aarrass de 2014, disant que « l’Etat
belge n’avait aucune obligation vis-à-vis d’Ali Aarrass ».
Entretemps, le Maroc avait eu le temps d’observer
tranquillement cette saga judiciaire en Belgique et se rangeait bien évidement
du côté de Reynders qui lui a ouvert la porte pour continuer sa politique pour
briser Ali Aarrass.
Le 28 juin 2016, deux ans (!!) après la réception de la
demande belge du 4 mars 2014, le Maroc envoie sa réponse, refusant une visite
consulaire belge à Ali Aarrass, « détenu dans le cadre d’une affaire de
terrorisme et de radicalisme ». Reynders y réagit le 16 août 2016 en disant
que cette réponse « … a le mérite de nous fournir une réponse claire… »,
et à une autre occasion il déclare que la réponse marocaine était tout à fait
normale et conforme aux accords et pratiques internationaux. En d’autres
termes, la réponse marocaine n’était que la confirmation de la position du
gouvernement belge.
Le 10 octobre 2016, les autorités pénitentiaires marocaines
décidaient de transférer Ali Aarrass de la prison de Salé II à la prison de
Tiflet II où il sera enfermé en isolement total. Un isolement prolongé qui, pour Amnesty
international « s’apparente à la torture ou à d’autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants au titre des Règles Nelson Mandela ». Le
Comité contre la Torture (CAT) de l’ONU, saisi par les avocats d’Ali, ordonne
que « le régime pénitentiaire de Ali soit allégé et ses droits garantis
». Le Maroc ne réagit pas et continuera sa détention solitaire jusqu’au dernier
jour de son incarcération.
En avril 2017, la Cour de cassation au Maroc rejette le
pourvoi en cassation d’Ali Aarrass introduit en 2012. Le 21 juin 2017, le
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération du Maroc refuse même la
demande belge d’une « visite à caractère strictement humanitaire ».
La Belgique n’élevait même pas la voix.
Sur ce, Ali Aarrass et ses avocats saisissaient la Cour
européenne des droits de l’homme pour violation des articles 1er et 3 de la
Convention. Et ce n’était pas fini. Non satisfait de sa victoire devant la Cour
de cassation, Reynders (et Geens) décidait de faire bétonner la non-protection
des binationaux dans un nouvel article 11 du code consulaire (9 mai 2018), ce
qui débarrasserait définitivement la Belgique d’une campagne comme celle menée par
Ali Aarrass.
Pour Ali Aarrass, sa famille, ses amies et ses camarades, ce
n’est pas fini non plus. Le jour viendra où les tortionnaires marocains et leurs
complices en Espagne et Belgique devront rendre des comptes. Que le Marc ne se
réjouisse pas trop de ce jugement de la Cour européenne. La Cour européenne ne
dit pas qu’une intervention consulaire et humanitaire belge n’était pas
nécessaire, elle constate que le Maroc a refusé froidement un regard de
l’extérieur sur les conditions de détention d’Ali Aarrass. Pourquoi ce refus, s’il
n’y avait rien à cacher ?
Luk Vervaet, 4 octobre 2021
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