Nizar Trabelsi, Prisonnier 001 Partie 1 : le 11 septembre 2001, le début


Publié dans Kairos www.kairospresse.be janvier-février 2024, nr 63

Ce matin clair et bleu du 11 septembre 2001, dix-neuf pirates de l'air kidnappent quatre avions de ligne pour lancer une attaque des plus meurtrières sur le sol américain. Les Twin Towers s’effondrent. 2.996 personnes perdent la vie. Y compris les dix-neuf pirates de l’air. Ce meurtre de masse est du jamais vu dans un pays qui a pourtant une histoire et une expérience de violence inégalée sur son sol : en moyenne, plus de 16 000 personnes y sont tuées par des armes à feu chaque année. (1)

Vient alors la réaction étasunienne qui va changer le visage du monde pour les décennies à venir. Comme l’écrit Jane Mayer dans son livre The DarkSide : à partir de ce moment, la lutte contre le terrorisme ne sera plus jamais traitée comme une affaire de justice pénale mais comme une véritable guerre militaire. Il ne s’agit plus d’ouvrir une enquête policière et judiciaire pour pouvoir identifier, arrêter et juger les auteurs. Ce qui aurait été une approche raisonnable, de bon sens. Une approche aussi soutenue par les Talibans en Afghanistan, qui voulaient à tout prix éviter une guerre contre leur pays, déjà ravagé par des décennies de guerre.(2)  Pas question non plus de débattre et de poser la question sur le pourquoi de cette attaque conte l’empire américain, au risque de se faire traiter comme « excuseniks » (des personnes qui veulent trouver des excuses pour les terroristes).

En lieu et place, l’administration Bush lance une guerre mondiale contre le terrorisme, a Global War on Terror. Toute personne, organisation, pays ou peuple, marqués au fer par le stigmate « terroriste ou aide au terrorisme », allaient subir la déshumanisation jusqu’à l’extermination. Pour cette catégorie d’humains, nos droits de l'homme, notre justice, nos valeurs et notre humanisme sont remplacés par des codes militaires, replongeant ainsi le monde dans une époque ouvertement coloniale, faisant table rase de toutes ces belles déclarations.  

Il est utile de rappeler les propos de Bush lors du lancement de cette guerre. Parce que ses mots sont d’une actualité effrayante, trouvant un écho dans les déclarations du gouvernement israélien dans sa justification du génocide à Gaza.  


George W. Bush

Notre guerre commence contre Al Qaeda, déclare Bush, mais elle ne s’arrêtera pas là. Elle ne s’arrêtera pas avant que chaque groupe terroriste soit trouvé, stoppé et définitivement liquidé. Nous ne ferons aucune distinction entre les terroristes qui ont commis ces actes et ceux qui les hébergent. Il ne s’agit plus uniquement de liquider les responsables des attaques du 11 septembre, mais d’une guerre contre the global terror network, une guerre pour éradiquer « le réseau terroriste mondial » de la planète. 

Neuf jours après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, Bush déclare : « Notre réponse va bien au-delà des représailles instantanées et des frappes isolées. Les Américains ne doivent pas s'attendre à une seule bataille, mais à une campagne de longue haleine comme nous n'en avons jamais vu. Elle comprend des frappes spectaculaires visibles à la télévision et des opérations secrètes dont le succès restera secret. Nous priverons les terroristes de financement, les monterons les uns contre les autres, les chasserons d'un endroit à l'autre jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de refuge ou de repos. Et nous poursuivrons les nations qui fournissent une aide ou un refuge au terrorisme. Chaque nation, chaque région, doit maintenant prendre une décision : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes. » (3) 

En novembre 2001 et en mars 2003, des invasions désastreuses et dévastatrices sont lancées contre l'Afghanistan et contre l’Irak. La guerre antiterroriste ne s’est plus arrêtée depuis. En deux décennies, selon l’étude Costs of War de l'université américaine Brown, elle a déjà fait près d'un million de morts dont plus de 400 000 civils et causé 3,6 millions de morts indirectes. Le « nous », dont parlait Bush, ne concernait pas uniquement les États-Unis, mais aussi Israël. Dorénavant, toutes les organisations de la résistance palestinienne sont mises sur les listes américaine et européenne d’organisations terroristes. Avec la guerre d’Israël « contre le terrorisme du Hamas », commencé après le soulèvement du ghetto de Gaza du 7 octobre, cette Global War on Terror a aujourd’hui atteint son paroxysme.  

Le prisonnier 001

John Walker Lindh au moment de son arrestation

La chasse aux terroristes, Dead or alive, est ouverte. Un an après le lancement de la guerre, Bush déclare dans son State of the Union du 28 janvier 2003 que 3 000 suspects terroristes ont déjà été arrêtés dans le monde. Il ajoute cyniquement : d’autres ne sont plus là.  Ces derniers ne poseront plus de problème pour les États-Unis et leurs alliés.

La première personne capturée en Afghanistan lors de l’invasion américaine en novembre 2001 s’appelle John Walker Lindh. Ce jeune Américain converti, plus tard connu dans la presse sous le nom the American Taliban, n’avait que vingt ans quand il a rejoint les Talibans en été 2001. Selon ses propres dires, il avait rejoint les Talibans pour combattre l’Alliance du Nord et pour créer un État purement islamique. Pendant ses interrogatoires en Afghanistan, le droit d’avoir un avocat lui a été refusé. Enfermé dans un container, nu, privé de nourriture, les yeux bandés et les mains menottées, il était la première victime des méthodes militaires dorénavant d’application pour tout détenu capturé dans la lutte antiterroriste. Par la suite, Lindh sera détenu sur un bateau américain puis transféré aux États-Unis pour être jugé devant un tribunal. Il n’y avait rien contre lui à part sa présence en Afghanistan aux côtés des Talibans. Certes, il avait rencontré Bin Laden, il avait suivi un entrainement militaire, mais il n’avait jamais utilisé une arme à feu, son rôle étant d’être sentinelle pour les Talibans dans une région désertique. Pour échapper à la pire condamnation aux États-Unis (Hillary Clinton l’avait taxé de « traitre », méritant la peine de mort), Lindh accepta  de plaider coupable sur un des dix points de l’accusation via un plea bargain (un accord entre le procureur et l’accusé approuvé par le tribunal). Lindh accepta l’accusation d’avoir violé une loi de 1999 interdisant aux citoyens américains de rendre service aux Talibans. C’était suffisant pour le condamner à vingt ans de prison et pour l’enfermer dans la prison supermax de ADX Florence, puis à la prison de Terre Haute. Après dix-sept ans de prison, en mai 2019, Lindh a été mis en liberté conditionnelle sous supervision judiciaire. 

L’affaire Lindh constitue malgré tout une défaite pour les autorités américaines : ce détenu maltraité  a comparu devant un tribunal où il a pu témoigner, où ses avocats ont pu dénoncer le vide de son dossier, l’absence totale de preuves, le déni de ses droits élémentaires par les militaires. L’expérience avec Lindh va amener les autorités américaines à opter pour un système hors-la-loi où elles ne seraient plus entravées par des lois et des législations nationales ou internationales. Dorénavant, un prisonnier de guerre ne sera plus un prisonnier, mais un unlawfull enemy combatant. Un nom inventé précisément pour créer une nouvelle catégorie de détenus, ni prisonniers de droit commun ni prisonniers de guerre. Dès lors, ils ne disposent pas de droits constitutionnels ni ne bénéficient de protections internationales.

Mais revenons sur le premier détenu dans la guerre antiterroriste. Si Lindh était le détenu 001 arrêté par les Etats-Unis, Nizar Trabelsi était le détenu 001 arrêté par l’Union européenne, à ce moment sous présidence belge. Contrairement à Lindh, Trabelsi n’a jamais voulu d’un plea bargain. Aujourd’hui, vingt-trois ans après son arrestation par la police belge, il se trouve toujours en détention aux États-Unis.

L’arrestation de Nizar Trabelsi, deux jours après les attentats de New York


Le 12 septembre 2001, dans tous les pays de l’Union européenne, à ce moment dirigé par la Belgique, tous les drapeaux sont mis en berne. Une journée de deuil européen pour les victimes des attentats du 11 septembre eut lieu le vendredi 14 septembre. 

Entre le jour des drapeaux en berne et le jour de deuil, le président du Conseil des ministres de l’Union européenne (UE) et en même temps premier ministre belge, Guy Verhofstadt, organise un véritable coup d’éclat. Le 13 septembre 2001, il déclare avoir ordonné l'arrestation immédiate de Nizar Trabelsi. Séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire bafouée ? Verhofstadt s’en fiche et affirme avoir ainsi sauvé la Belgique et l’Europe d’un attentat suicide et d’un scénario européen genre 9/11 de la part d’un émissaire d'Oussama Ben Laden qui se trouve à Bruxelles. 

L'arrestation éclair de Trabelsi est le début d'une affaire qui va prendre des proportions hallucinantes à des fins politiques. Plutôt qu'une intervention judiciaire urgente pour prévenir une attaque imminente, cette arrestation était un signal politique. Elle devient à la fois symbole de la menace terroriste de Ben Laden contre l'Occident, symbole politique de la vigilance et de la fermeté antiterroriste de l'Europe, et symbole de la collaboration intense entre la Belgique et les États-Unis. 

Il y a juste un problème. 

En arrêtant Trabelsi le 13 novembre, les autorités belges ne disposent que d’un dossier vide, un dossier avec des intentions, mais sans début de complot ni tentative d'exécution d’un attentat quelconque. S’ils avaient vraiment voulu monter un dossier contre Trabelsi, il leur aurait suffi d'enquêter sur le personnage public et connu qu’était Nizar Trabelsi, ancien footballeur professionnel tunisien, ancien de l’équipe du Standard de Liège et de Fortuna Düsseldorf, un club de la Bundesliga. Tous ses mouvements étaient sous contrôle des services de sécurité belges et autres, depuis son départ et son séjour en Afghanistan jusqu'à son retour dans un appartement à Bruxelles. Pour l'arrêter, les services de police n'ont pas eu à le rechercher. Il leur a suffi de presser la sonnette de son appartement, au quatrième étage d’un immeuble à Uccle, et de lui passer les menottes. Il s’est rendu sans aucune résistance. Étrange attitude pour un terroriste qui avait déclaré vouloir mourir en martyr.

Au moment de son arrestation, il n’y avait encore rien de tangible contre lui. Il fallait lui arracher une confession. Ce sera chose faite en juin 2002, dix mois après son arrestation. 


Notes

 (1) HTTPS://WWW.BRADYUNITED.ORG/KEY-STATISTICS

 (2) https://www.legrandsoir.info/ces-barbares-de-talibans-et-nous.html

 (3) https://www.washingtonpost.com/wp-srv/nation/specials/attacked/transcripts/bushaddress_092001.html




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