Prison Make, Bozar, 13 mai : Nous ne participerons pas au spectacle !

Egalité interpelle le minstre de la Justice, Stefaan De Clerck
Sur le site Avocats de Bruxelles

Le monde carcéral est dans une impasse.
Le 25 mars 2009, on comptait 10.320 détenus dans les 33 prisons belges conçues pour 8.422 personnes. Il faut encore ajouter à ce chiffre record les 1.800 condamnés qui attendent leur incarcération. Les prévisions à fin 2009 sont de 11.000 détenus.
Pour les élections du 7 juin 2009, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck, tête de liste CD&V-NVA à Courtrai, affiche le slogan "Sterk in moeilijke tijden" (Forts dans des temps difficiles). Quant au ministre des Finances et de la Régie des Bâtiments Didier Reynders, candidat MR à Liège, son slogan est "Réinventons l’avenir". Sous le nom de "Prison Make" ("Prisons à construire", un jeu de mot sur la série populaire "Prison Break"), les deux ministres organisent un colloque au Bozar pour "tous les partenaires concernés par la construction de nouvelles prisons dans notre pays." Pour eux : "réinventer l’avenir dans les temps difficiles", c’est construire des nouvelles prisons !...
Tous les partenaires concernés seront invités ?
Pas vraiment. Ni les ex-détenus, ni les prisonniers ou leurs représentants, ni leurs familles ou leurs enfants ne pourront se faire entendre.
Pas de consultation, pas de débat non plus avec les partenaires concernés. Il s’agit d’un colloque où les invités doivent écouter les spécialistes de l’enfermement.
Pour nos ministres, la décision est prise. Car, si en 10 ans, la population carcérale a augmenté de 32,6%, ou si elle a littéralement explosé de 76 % (!) depuis 1980, la solution magique a déjà été trouvée : il suffit de construire des nouvelles prisons ! La population carcérale continue à augmenter en moyenne de 2,02 % l’an. Que des spécialistes et des syndicats avertissent que ce plan sera donc largement insuffisant au moment de sa réalisation est sans importance.
Le "Masterplan pour les Prisons" prévoit la construction de 1800 places supplémentaires dans sept nouveaux établissements pénitentiaires d'ici 2012 et le remplacement de six vieilles prisons par des nouvelles dans la période 2013-2015. Ce plan prévoit notamment la fermeture de Saint-Gilles, Forest et Berkendael grâce à la construction d’une seule mega-prison à Bruxelles sur l’ancien site de l’OTAN. Ce Masterplan gigantesque, avec un prix de 150.000 € par cellule, sera réalisé par des firmes privées belges et européennes selon la formule "DBFM" (Design, Build, Finance, Maintain) : le privé fait les plans, construit, finance et entretient les nouvelles prisons. Reste à l’Etat (c’est-à- dire au contribuable) la location des bâtiments, le paiement de l’entretien et la « fourniture » des prisonniers et du personnel.
Pour faciliter la digestion de ce programme, nos ministres clôturent le colloque par un buffet gratuit, payé par vous et par nous.






La prison comme spectacle ou les dangereux petits jeux ministériels








Nos ministres sont devenus spécialistes des petits jeux de mots à l’anglaise sur "Prison Break". Ils nous donnent l’impression de participer à une sorte de western américain. Voyez vous-mêmes : les invitations à "Prison Make" sont faites sur le modèle "Wanted" des films américains. Ce style est une vraie culture gouvernementale : avant le "Prison Make" de De Clerck et Reynders, on avait déjà subi le "Jailhouse Lounge" (jeu de mot sur « Jailhouse Rock » de Elvis Presley) de Patrick Dewael, ancien ministre et actuel président de la Chambre à 16.000 €/mois. Le 27 septembre 2008, il organisait en effet son bal politique annuel sous le nom de "Jailhouse Lounge", et ceci, indécence extrême, dans l’ancien musée-prison de Tongres destiné à se transformer en nouvelle prison pour 37 jeunes… Des photos de la bourgeoisie locale se servant du champagne dans les anciennes cellules, et dansant dans le préau de la prison, ont été publiées dans la presse et sur le site du ministre.
Tous ces petits jeux autour de la prison, les promenades-buffets gratuits et le champagne dans les cellules sont particulièrement révoltants quand on sait qu’une prison est avant tout un lieu de souffrance et de misère. Choquant quand on sait que dans certaines ailes de la prison de Forêt, on entasse 3 à 4 détenus dans des cellules de 9 M², enfermés 23 heures sur 24, leur matelas par terre, privés de soins élémentaires ; que la situation est encore plus critique dans l’annexe psychiatrique… Mais nos ministres refusent d’intervenir pour mettre fin à cette situation inhumaine, kafkaïenne et criminogène.
Ce n’est pas avec les mots que les ministres jouent, mais avec la vie de 2000 prisonniers ‘de trop’. Les gouvernements successifs organisent, ces dernières années, un spectacle médiatique infâme et marchandent la condition des détenus pour flatter leur électorat. Le 19 mars 2007, madame Onckelinckx a signé avec son homologue marocain un protocole additionnel à la convention de juillet 1997 entre la Belgique et le Maroc pour rendre possible le tranfert vers le Maroc des prisonniers marocains, mais sans leur consentement. Or, selon un rapport de Human Rights Watch, la surpopulation dans certaines prisons marocaines atteint 600%. Une vraie solution pour pallier la surpopulation en Belgique !
En mars 2008, on a imaginé le ballet des bateaux-prisons sur l’Escaut. Toujours pour remédier à la surpopulation carcérale en Belgique, les Pays Bas étaient disposés à vendre ou à louer deux bateaux prisons, le Reno avec 288 cellules et le Bibby Stockholm de 472 cellules. En fin de compte, le gouvernement belge a jugé cette possibilité "trop chère" (jusqu’à 168 €/jour par détenu), "pas assez sûre" et "d’infrastructure trop faible" (ces bateaux étant originalement prévus pour la détention pendant 6 mois de personnes illégales aux Pays-Bas).
Aujourd’hui, changement de régistre, les Pays-Bas et la Belgique négocient le transfert de 300 à 400 détenus belges vers des prisons vides en Hollande, comme celle du Penitentiair Complex à Scheveningen. Cette solution implique un enfermement pur et simple sans qu’il soit jamais question de la réintégration dans la société et un isolement social renforcé. Les problèmes de transport des familles désireuses de rendre visite aux prisonniers seront encore accrus alors qu’ils sont souvent déjà insurmontables actuellement.
Nos ministres donnent la fausse impression de veiller sur notre sécurité, d’avoir tout sous contrôle et de chercher avec acharnement des solutions d’enfermement intermédiaires, l’une plus spectaculaire que l’autre, en attendant les nouvelles prisons. Mais malgré leur référence à "Prison Break", ils ne réalisent pas combien on est proche d’un prison break total. En réalité, nos prisons, anciennes et nouvelles, sont des bombes à retardement. En décembre 2008, l’ancien ministre de la justice Van Deurzen disait que tout allait très bien dans la nouvelle section spéciale de la prison de Bruges et que toute comparaison avec Guantanamo était fausse : "les expériences de la section spéciale pendant les six premiers mois sont encourageantes. Il n’y a pas encore eu d’incidents graves et la relation de la plupart des détenus avec le personnel s’améliore de manière significative » (De Morgen, 10 décembre 2008). Quatre mois plus tard, en avril 2009, une émeute éclate et ces mêmes détenus de la section spéciale la détruisent entièrement. Suite à cela, des activistes occupèrent par solidarité la faculté de criminologie à Gand.
Au même moment, le syndicat CGSP a tiré la sonnette d’alarme dans un communiqué de presse : "l’augmentation du nombre de détenus dans de plus en plus de prisons occasionne de plus nombreuses émeutes de la population carcérale. Le mélange détenus trop nombreux et prisons désuètes produit un cocktail détonnant…" (2 avril 2009). Et encore le 22 avril : "..En juin on atteindra vraisemblablement la barre des 10.600 prisonniers et si l’été est chaud, on court droit à l’émeute, à Forest et ailleurs.."




De nouvelles prisons ou de nouveaux hôpitaux ?




Un vrai débat de société est urgentissime. Il doit inclure tous les acteurs concernés : les ex-détenus, les représentants des détenus et leurs familles, les éducateurs, enseignants, médecins, criminologues, psychologues et travailleurs sociaux, ainsi que le monde syndical, policier, judiciaire et pénitentiaire. Il doit porter sur les vraies solutions et sur l’application rapide de conclusions pratiques. Les raisons de la surpopulation carcérale et les rémèdes pour sortir de la spirale de l’enfermement sont multiples tout en variant selon les régions.
Prenons par exemple l’incarcération des patients psychiatriques, qui constituent de 10 à 15 pourcent des détenus.
Voici le témoignage d’un médecin qui travaille en prison : "En ce qui concerne les malades mentaux, il y a de moins en moins de place pour eux depuis que des lits psychiatriques ont été reconvertis. Par exemple, il y a dans la prison où je travaille un malade dont la peine est terminée mais qui est sous le coup d'une peine de sûreté. Il doit pour quitter l'établissement trouver une institution psychiatrique qui l'accepte au long cours. Toutes ont été contactées et le refusent faute de place. Qu'à choisir, ils préfèrent les réserver à des patients qu'ils connaissent déjà est normal. D'autre part, l'exigence "séjour de longue durée" est difficilement réalisable quand on sait que les normes de durée de séjour ont été revues à la baisse (11 jours en phase aigüe et 3 mois en phase chronique). Bien sûr, les médecins peuvent toujours garder les patients plus longtemps, mais quasi gratuitement... Attrayant. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, un seul et ils sont des centaines en prison. Je crains d'ailleurs qu'une part de la surpopulation soit liée à la marginalisation progressive de malades qui ne peuvent trouver de place dans une société de moins en moins solidaire et qui ne peuvent accéder aux soins (les honoraires et les coûts de traitement peuvent être prohibitifs) ».
Qui peut encore prétendre qu’il nous faut de nouvelles prisons et non de nouveaux hôpitaux ?




Lutte contre la pauvreté ou lutte contre les pauvres ?




La Région bruxelloise fête cette année ses 20 ans.
Il y a rien à fêter : 4 des 5 communes les plus pauvres de Belgique se trouvent en Région bruxelloise. Voici qu’en cette année de fête, des sociologues de l’ULB, sous l’égide de la Fondation Roi Baudouin, publient une étude sur les performances scolaires en lecture, mathématiques et sciences des élèves de 15 ans dans 57 pays. La conclusion adressée à la Belgique mais en particulier à Bruxelles est accablante : « Aucun autre pays industrialisé ne présente un fossé aussi grand entre les élèves issus de l'immigration et les autres, et les résultats obtenus par les élèves d'origine étrangère sont parmi les plus faibles du monde développé". Autre chiffre record : les trois prisons à Bruxelles n’ont jamais été aussi remplies qu’aujourd’hui, à savoir à 119 %. Selon une enquête réalisée en 2001, au moins trois quart de cette population carcérale sont issus de familles dont le père est chômeur, ouvrier, manœuvre, ou inconnu. 45 % de ces détenus n’ont qu’un diplôme d’études primaires. 30% n’ont aucun diplôme.
Où est le Masterplan ou le Marshallplan pour les quartiers sinistrés de Bruxelles en vue d’y créer de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois ?
Qui peut encore affirmer qu’il nous faut une nouvelle megaprison à Bruxelles et non de nouvelles écoles ?
Et si, en fin de compte, messieurs les ministres, votre Masterplan n’était qu’une garantie d’Etat sur les bénéfices du secteur du bâtiment ?


Luk Vervaet, enseignant en prison, candidat sur la liste Egalité pour les élections régionales à Bruxelles, responsable du programme sur la prison.


Co-signataires :

Jean-Marie Dermagne, avocat, ancien Bâtonnier, enseignant à l’université; Juan Carlos Gonzalez, délégué CSC dans le secteur de la distribution alimentaire; Benoit Van Keirsbilck, président Défense des enfants - International Belgique; Jacques Moriau, Chercheur, Centre de recherches criminologiques, Université Libre de Bruxelles; Jean-François Lenvain, enseignant, Yahyâ Hachem Samii, Chercheur doctorant, Centre de recherches criminologiques, Université Libre de Bruxelles; Sarah Van Praet, Centre de recherches criminologiques, Faculté de Droit, Université Libre de Bruxelles; Amina Nadi, experte discrimination; Manuel Lambert, Conseiller juridiqueLigue des droits de l’Homme; Cristina Gay, porte parole Une Autre Gauche; Chloé Vanderveken, enseignante en entreprise; Arantxa Alarcon, travailleuse dans le secteur social; Fabienne Brohée, professeur de morale dans l’enseignement secondaire professionnel spécialisé; Saïdi Nordine, éducateur - tête de liste Egalité; Philippe Noël, enseignant supérieur pédagogique Liège; Dominique Waroquiez, enseignante, candidate LCR aux européennes; Catherine Vaisière, chargée de projets, Aide et Reclassement ASBL (ASD et ASJ), Huy; Ataulfo Riera, employé, LCR; Ginette Bauwens, philosophe; Theo Mewis, délégué ABVV, candidat CAP pour le parlement européen; Antoinette Becq, animatrice musicale; Nadine Rosa-Rosso, enseignante, candidate Egalité; Marie-Françoise Cordemans, citoyenne belge; Martial Demunter, retraité; Annie Goossens, retraitée, candidate Egalité; Guy Armand, médecin généraliste; Lise Bruneel, CRIBW - Centre régional d'intégration du Brabant wallon; Jean-Pierre Tilman, directeur GSARA asbl Mouvement d'Education Permanente; Michèle Rion, bibliothécaire; Stefan Cristel, intervenant psychosocial avec ex-détenus; Nathalie Jenart, directrice cpmsIII, ville de Bruxelles; Elfi De Boos, enseignante; Eric Goeman, voorzitter Attac Vlaanderen; Lieven De Cauter, filosoof ;



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