Bad lieutenants : le procès contre 9 policiers bruxellois commence le 23 avril, dans un climat d’impunité et de militarisation de la police


(part one)

Le 29 janvier 2015, six ans après les faits, le procès contre 9 policiers bruxellois pour des violences commises contre des détenus à la prison de Forest en 2009, a débuté à Bruxelles.
Après une première audience, le procès allait se poursuivre début avril 2015, où l’audience a été à nouveau reportée, cette fois au 23 avril.

Non-lieu en 2014

L’année passée, le 25 février 2014, la Chambre du conseil à Bruxelles avait prononcé un non-lieu pour les neuf policiers, « parce qu’il n’y avait pas assez de preuves que les agents avaient outrepassé leurs fonctions. »[1]
En appel, les policiers ont quand même été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Bruxelles pour « violences commises contre des détenus au sein de la prison de Forest ».
Six ans après les faits, du groupe de détenus plaignants dans cette affaire, il ne reste plus qu’une seule victime qui a voulu continuer le combat pour obtenir justice jusqu’au bout. Le Centre interfédéral pour l'égalité des chances qui d’abord avait promis son soutien, a également tourné le dos annonçant qu’il ne voulait pas se constituer partie civile. Pas de soutien non plus de l’Exécutif des Musulmans.
Que des détenus abandonnent des plaintes ne doit pas nous étonner. Les non-lieux sont la règle.
Il suffit de regarder le nombre de plaintes de détenus qui vont directement à la poubelle. En voici quelques exemples. En janvier 2014, un Collectif de 18 détenus, composé de 6 nationalités différentes, à la prison de Forest dépose plainte. Ils envoient une lettre au Procureur du Roi au Palais de Justice de Bruxelles, signée avec leurs noms et prénoms, date de naissance et nationalité., avec comme titre : « Plainte collective avec constitution de partie civile pour malversation financière, actes de cruauté, de barbarie et de coups et blessures volontaires, abus de pouvoir des autorités dans l'exercice de la fonction publique ».[2] Affaire classée sans suite.
Trois mois après, le 28 avril 2014, une nouvelle plainte de 25 détenus à Forest sur le port de matricule des agents pénitentiaires.[3]Affaire classée sans suite.
Quant aux plaintes contre la police, ce n’est pas mieux.
Le Comité P, ( Comité permanent de contrôle des services de police), fait état de 2885 plaintes en Belgique contre des policiers en 2013. Il en avait dénombré 2.451 en 2010 et 2.688 en 2011.
Une majorité des plaintes concerne des dénonciations pour des coups et blessures qui auraient été portés par des policiers à l’encontre de citoyens.
« C’est sans surprise que les six zones bruxelloises figurent en bonne place dans le classement des services de police les plus visés par les plaintes... » constate le Comité P en 2012. Et il répète exactement la même phrase dans son rapport sur 2013 : « C’est sans surprise que les six zones bruxelloises figurent en bonne place dans le classement des services de police les plus visés par les plaintes. »[4]
Seulement 10 à maximum 15 % de ces milliers de plaintes auront une suite au niveau de la justice.

Le déni des faits.

Dans la lutte contre l’impunité, la poursuite des neuf policiers est un événement important, même s’il ne reste qu’un seul détenu qui a tenu jusqu’au bout pour leur faire face. Il s’appelle Fouad M’Rabet, actuellement détenu à la prison d’Andenne.
A propos de ce procès qui traîne comme s’il ne voulait pas commencer, il déclarait : « On a mis cinq ans pour parvenir à traduire ces personnes en justice. C’est beaucoup trop long. Cela ne m’a pas aidé à cicatriser mes blessures. Dans ma vie, il y a un avant et un après cette nuit d’octobre 2009...»[5]
Le déni de la part de la police sur ce qui s’est passé est le principal commentaire repris par les médias. Le risque que cette affaire sera à nouveau classée sans suite est réel. Les informations détaillées sur ce qui s’est passé il y a six ans ont peu de chance d'arriver à la une de nos médias. "Les excès" ou "les dérapages" de la police, mêmes s'ils ont un caractère systémique, comme c'est le cas pour la police de Bruxelles, sont le plus souvent accueillis avec compréhension, des excuses ou par de l'indifférence  par ce qu’on appelle l’opinion publique. Certains procureurs et certains tribunaux  se montrent aussi solidaires à l’égard de  leurs collègues de la police.

Rappelons donc les faits qui se sont déroulés il y a six ans à la prison de Forest et qui rappellent des pratiques dignes de Guantanamo aux États-Unis ou d'Abou Ghraib en Irak.


Tout s’est passé en septembre et en octobre 2009. Les gardiens de la prison de Forest étant en grève, c'est une équipe de la police qui va assurer le service à la prison. Composée de plusieurs volontaires, cette équipe policière va littéralement prendre possession de la prison, en mettant même de côté la directrice et des gardiens qui essaieront d'intervenir pour protéger des détenus.

Rapports sur les faits du mardi 22 septembre 2009.


La « Commission de surveillance de la prison de Forest »[6] a rédigé un rapport détaillé sur ce qui s'est passé, lors du passage de la police à la prison.
Réginald de Béco, avocat et président de la Commission, déclarait ceci devant la presse : « Les premiers faits sont survenus lors de la grève sauvage du mardi 22 septembre. Ce jour­-là, la prison a été investie par les policiers de la zone de police de Bruxelles­-Midi qui ont littéralement pris le pouvoir, dans l’établissement où ils ont fait régner la terreur. »
Dans le rapport de la Commission on explique : « Ce jour­-là, il y a eu plusieurs taches de sang au mur [...] qui témoignent de la violence des coups reçus. Avant de quitter sa cellule, l’un des policiers s’est lavé les mains au lavabo, tandis que le détenu gisait par terre, inconscient, à ses côtés. Appelé en urgence, [...] le médecin de garde de la prison a constaté que l’interné se trouvait dans un état critique et a ordonné son transfert immédiat à l’hôpital. »

Concernant ces mêmes faits du 22 septembre 2009, le rapport de 2010 concernant la Belgique du Comité pour la prévention de la torture de l'Europe (CPT) rapporte ceci :
"Le premier incident remonte au 22 septembre 2009, lors de la distribution du repas du soir au rez-de-chaussée de l’aile D de la prison. Un détenu interné, S.A, fragile sur le plan psychique, aurait reçu un coup de matraque de l’un des deux policiers de la Zone de Police Bruxelles Midi qui escortaient le détenu « servant »; la victime se penchait pour recevoir sa ration de pain, et aurait été violemment repoussée dans sa cellule (N° 1026). Alertés par le bruit, deux autres policiers, qui se trouvaient au niveau supérieur, seraient descendus. Une policière serait restée dans le couloir en demandant au détenu servant de se tenir à l’écart et un autre serait entré dans la cellule. Le détenu aurait alors été frappé avec violence. Roué de coups, le détenu aurait tenté de se réfugier dans le
fond de sa cellule, près de son armoire, et des tâches de sang au mur, à hauteur de la tête du détenu, témoigneraient de la violence des coups portés. Le détenu précisa en outre que toute sa cellule aurait été saccagée.

Le détenu « servant », témoin direct de l’incident, a indiqué que seul l’un des deux policiers qui accompagnaient la distribution du repas aurait frappé le détenu concerné, rejoint par l’un des policiers venu de l’étage. Le détenu « servant » a en outre précisé qu’avant de quitter la cellule, l’un des deux policiers se serait lavé les mains au lavabo de la cellule, alors que S.A. gisait à terre,
inconscient. A deux reprises, le détenu « servant » aurait demandé aux policiers présents d’appeler un médecin, sans effet. Finalement, un peu plus tard, le médecin de garde de l’établissement vint sur place, constata que le détenu se trouvait dans un état critique, et ordonna son transfert immédiat à l’hôpital d’Uccle. Le détenu serait revenu à la prison dans la nuit et mis au cachot.

Le Commissaire du mois l’y vit  le lendemain : la victime avait  plusieurs points de suture à la tête. Selon la direction de la prison, elle resta deux Jours au cachot pour sa propre sécurité. Etant donné la grève en cours, le détenu concerné n’aurait pas eu la possibilité de s’entretenir rapidement avec son avocat (l’accès à l’établissement lui étant apparemment interdit par la police pendant la grève).
»

Les rapports sur les faits du 30 octobre 2009.

Qu'il ne s 'agit pas d'une simple erreur ou d’un malentendu, mais bien de quelque chose de systématique est prouvé par le fait que le même genre de traitement fut infligé exactement de la même manière et pire cinq semaines plus tard.

La Commission de surveillance dénonce ces faits encore plus violents, commis lors de la grève du 30 octobre dans son rapport.
Le journal Le Soir du 8 août 2010, sous le titre : « Quand la police « fait régner la terreur » à Forest », en publiera des extraits. En voici quelques uns :
« Certains policiers déambulaient encagoulés dans la prison, afin qu’on ne puisse pas les identifier. Cinq ou six policiers ont sorti un détenu de sa cellule pour l’emmener au cachot, où ils l’ont forcé à se déshabiller entièrement et à s’accroupir. Ils l’ont alors battu dans le dos et sur les testicules avec des matraques. Ils l’ont ensuite obligé à répéter après eux « Le prophète Mohammed est un pédé » et « Ma mère est une pute ». Et comme le détenu pleurait : « Tu pleures comme une femme, maintenant ! » « D’autres faits ont été rapportés : un détenu a eu l’oreille déchirée, un autre a été frappé au visage avec une bouteille d’eau. Un ancien collègue emprisonné pour des faits de mœurs a été harcelé et menacé toute la nuit. Il a fini par s’ouvrir les veines et a été découvert le lendemain, presque vidé de son sang. »

Sur les mêmes faits, dans son rapport de 2010 adressé au gouvernement belge le CPT écrit ceci :
 

« Une deuxième série d’incidents se seraient déroulés les 30 et 31 octobre 2009. Une nouvelle fois, des policiers de la zone de Police Bruxelles Midi furent appelés en renfort afin d’assurer la sécurité dans la prison. Selon les propres termes du rapport de la Commission de surveillance, les policiers « se rendirent maîtres de la prison, en y faisant régner la terreur. Ils n’hésitèrent pas à exercer des
menaces sur les directeurs et les agents pénitentiaires présents dans l’établissement qui voulaient s’interposer ». De plus, « certains policiers se seraient promenés cagoulés dans l’établissement afin qu’on ne puisse pas les reconnaître ». Ce rapport (daté de novembre 2009) énumère avec force détails plusieurs éléments s’apparentant à l’évidence à des mauvais traitements très graves et à des traitements dégradants :
­ - des policiers seraient entrés à cinq ou six dans la cellule de A. M., à l’aile D, pour l’emmener au cachot, tout en le frappant et en écartant une directrice qui voulait intervenir. Au cachot, ils l’auraient forcé à se déshabiller entièrement et à se mettre accroupi, tandis qu’ils le frappaient avec des matraques dans le dos et sur les testicules. Ils l’auraient alors obligé à répéter après eux des propos injurieux et blasphématoires, sans quoi ils continuaient à le frapper. Devant ses sanglots, ils se gaussèrent de lui : « Tu pleures comme une femme, maintenant ! » ;
­- M.V. et K.V., deux détenus de l’aile D, auraient été emmenés au cachot, obligés de se déshabiller complètement, de se mettre accroupis, et auraient reçu de multiples coups de la part de policiers présents ;
­- F. M., un détenu de l’aile A, aurait interpellé des policiers qui jouaient avec le jeu de cartes qu’il avait oublié dans l’aile. Leur ayant fait remarquer que c’était le sien et leur ayant dit « Vous pourriez le demander », il s’est entendu répondre « ferme ta gueule, chien ! », ce à quoi il aurait répliqué « vous n’êtes pas là pour jouer aux cartes ... ramenez mon jeu de cartes ... vous êtes là pour faire du désordre ! » Il allègue qu’un policier féminin aurait voulu lui rendre son jeu de cartes, mais que ses collègues masculins s’y seraient opposés et seraient rentrés dans sa cellule avec des boucliers et des matraques. Un surveillant serait alors entré dans sa cellule pour calmer le détenu, mais aurait été écarté par des policiers qui l’auraient plaqué au mur et les policiers auraient mis des « colsons » au détenu et l’auraient emmené au cachot, en usant de violence, devant deux directrices.
Selon les informations, l’une des deux directrices, qui aurait demandé de prendre une pince pour enlever les « colsons » au cachot, se serait fait agresser par les policiers. Le détenu aurait par la suite frappé au guichet de la cellule du cachot et aurait demandé un matelas. Une directrice et un surveillant seraient restés devant la porte de la cellule pour éviter que les choses ne dégénèrent.
Ceux-ci partis, les policiers seraient alors rentrés dans la cellule, en auraient sorti le matelas, auraient forcé le détenu à se mettre à genoux et l’auraient insulté en utilisant des propos injurieux et blasphématoires. Le détenu aurait ensuite été changé de cellule de l’aile D à l’aile C ­ où il se serait retrouvé sans matelas ni couverture ­ par des policiers casqués et cagoulés qui lui auraient donné des coups de bouteille d’eau au visage, coups que le détenu aurait fait constater par le médecin de la prison ;
­- des policiers s’en seraient également pris à l’un des leurs, détenu, L.M., qu’ils auraient harcelé toute la nuit, en criant aux détenus de son aile « voulez­-vous qu’on vous livre un pédophile ? » et, n’en pouvant plus, ce dernier se serait ouvert les veines. Étant donné que les policiers auraient interdit aux surveillants présents d’effectuer leurs rondes la nuit, ce ne serait qu’à la reprise du
travail, le lendemain à 6 heures du matin, qu’un surveillant aurait découvert le détenu gisant dans son sang.
»

Six ans après les faits, Fouad M’Rabet répète dans ses propres mots ce qui lui est arrivé : « Je leur avais demandé si je pouvais récupérer mes deux jeux de cartes restés dans le hall lors de leur arrivée à la prison suite à la grève sauvage. Ils sont venus à huit... Ils m’ont demandé de me mettre à genoux et m’ont forcé à proférer des insultes à l’encontre de ma maman et du prophète Mahomet... A un moment ils m’ont frappé avec des bouteilles à moitié remplies d’eau sur mes parties génitales. Ils me forçaient encore et encore à insulter le prophète. Je n’ai pas cédé. Mais j’ai perdu connaissance avec tous les coups que j’ai reçus. J’ai tenu bon, je n’ai pas répété ce qu’ils voulaient me faire dire sur le prophète. »[7]


 Luk Vervaet 23 avril 2015

Révision du texte Annie Goossens.

NOTES
 
[1]http://www.lacapitale.be/945308/article/regions/bruxelles/actualite/2014­02­25/violences­a­la­prison­de­forest­non­lieu­pour­neuf­policiers­de­la­zone­mi

[2]http://familiesfriendsassociation.blogspot.be/2014/02/retour­la­prison­de­forest­les­plaintes.html

[3]http://familiesfriendsassociation.blogspot.be/2014/05/nouvelle­plainte­de­25­detenus­forest.html

[4]http://www.comitep.be/fr/index.asp?ID=Reports

[5]La Dernière Heure mercredi 21 janvier 2015

[6]« Le Conseil central de surveillance pénitentiaire et les commissions de surveillance ont été créés par l’arrêté royal du 4 avril 2003 modifiant l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires. Ces organes ont pour mission de contrôler les conditions de traitement des personnes détenues par rapport aux prescriptions valables en la matière. En d’autres termes, il s’agit d’un contrôle extérieur indépendant de l’administration pénitentiaire. Cela ne signifie pas que les organes de contrôle s’immiscent activement dans la politique de gestion des détenus à un niveau local ou central. Leurs considérations sont cependant rapportées au ministre de la Justice et au parlement fédéral et des avis sont formulés sur certains aspects de la gestion des matières pénitentiaires... » Voir :
http://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/prisons/surveillance_et_conseil/conseil_central_de_surveillance_penitentiaire_et_commissions_de_surveillance/

[7]Mercredi 21 janvier 2015 www.dh.be

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