Non à la méga-prison de Haren !

Pour un moratoire sur la construction des prisons en Belgique.



(Photo : manifestation à Haren)

Le déclin de l’État social en Belgique ne se manifeste pas seulement par les mesures antisociales, baissant les allocations de chômage ou prolongeant la date de la pension.

Prises par les gouvernements successifs pendant les dernières vingt-cinq années, ces mesures font l’objet d’une contestation sociale justifiée. Mais, l’explosion carcérale, qui est le complément et la contrepartie de cette politique antisociale, et qui concerne avant tout la manière de gérer les problèmes de la pauvreté, est absente, elle, de la réflexion. Au niveau des mobilisations et des revendications, tant le monde syndical que des mouvements comme Hart boven Hard/Toute Autre chose, restent muets sur cette question. Il y a pourtant un lien direct entre les statistiques de 2014 du ministère de l’Économie, selon lesquelles quatre des cinq communes les plus pauvres de ce pays se situent dans la Région bruxelloise, un enfant sur trois y vit dans la pauvreté, 40.000 personnes se trouvent sur une liste d’attente pour obtenir un logement social, le taux de chômage y est de 40 % dans certaines zones, dont entre 29,8 à 50 % de jeunes qui n’ont pas d’emploi.. et l’annonce du ministère de la Justice qu’une nouvelle méga-prison va être construite à Bruxelles en 2016.

Les changements pendant les dernières vingt-cinq années au niveau carcéral illustrent la transformation progressive de la Belgique d’un État social en État pénal : augmentation de 80 % à 100 % du nombre de détenus ; augmentation de la capacité carcérale de 50 %; ouverture de quatre centres de détention supplémentaires pour illégaux ; construction de prisons au sein des prisons pour les détenus dangereux ; durcissement des conditions de la libération conditionnelle ; bannissement de détenus étrangers vers leur pays d’origine… Il ne peut y avoir un mouvement social digne de ce nom, qui ne s’attaque pas au problème carcéral.



L’explosion carcérale : le nombre de détenus



Au moment du lancement du « Masterplan pour les prisons », la Belgique comptait 10.320 détenus dans ses 33 prisons, conçues pour 8.422 personnes. Enregistré le 25 mars 2009, ce chiffre fut un record dans l’histoire carcérale belge.

Trois ans plus tard, en 2012, on enregistrait une moyenne record de 11.330 personnes incarcérées dans une des prisons belges.

Un an plus tard, en février 2015, le Conseil de l’Europe, dans son rapport sur 49 pays, intitulé « Les statistiques pénales annuelles pour l’année 2013 »1, fait un nouveau constat hallucinant sur la Belgique.

En voici quelques éléments, repris dans le résumé du rapport2.

Le 1er septembre 2013, les prisons belges comptaient 12.697 détenus. Pour rappel : la Belgique en comptait 5.176 en 1980 ! Entre 2003 et 2013, sa population carcérale a augmenté de 35,6 %. A ce niveau, la Belgique est seulement dépassée par 10 autres pays. Dans tous les autres pays l’augmentation est moindre. Si le taux de détention en Belgique était de 93,5 sur 100.000 personnes en 2010, il est de 113,8 en 2013. Sur les 49 pays, la Belgique se trouve parmi les 10 pays ayant un « problème aigu de surpopulation carcérale » : la densité dans nos prisons est de 134 détenus pour 100 places. La Belgique est à ce niveau seulement « battue » par 3 autres pays : l’Italie (148), Chypre (138) et la Hongrie (145). Dans tous les autres pays, la densité carcérale est moindre. Le nombre de détenus condamnés à des peines de prison allant de 3 ans à 10 ans est de 58,4 %. Là aussi la Belgique est seulement dépassée par 6 autres pays. 20,2 % des prisonniers dans nos prisons sont condamnés à plus de dix ans et plus, allant jusqu’à la perpétuité. La Belgique arrive ainsi à la 13ème place des pays les plus répressifs. Pour finir, selon le rapport, la Belgique compte 43 % de détenus étrangers dans ses prisons. Là aussi, elle n’est dépassée que par 10 autres pays.


Gérer les conséquences et les risques


Face cette situation dramatique, on aurait dû entendre que la Belgique s’est trompée de politique carcérale. Qu’on est allé beaucoup trop loin. Qu’on ne peut pas continuer sur ce chemin de l’incarcération massive et de longue durée. Qu’il nous faut rompre avec une évolution qui nous mène tout droit dans le mur. Tous les acteurs concernés par les prisons - les ex-détenus, les représentants des détenus et leurs familles, associations des droits de l’homme, les éducateurs, enseignants, médecins, criminologues, psychologues et travailleurs sociaux, ainsi que le monde syndical, policier, judiciaire et pénitentiaire -, auraient dû être mobilisés pour trouver des solutions au niveau des problèmes sociaux de la société. Au niveau de l’école, de l’emploi, du logement, de la lutte contre les discriminations et du racisme, de la mise sur pied de peines alternatives. Dans le but minimal de retourner au taux d’incarcération le plus bas possible et de rendre la société plus juste, plus sociale, plus cohérente.



 

Un vrai débat de société aurait posé le problème ainsi : « Il n’y a pas trop peu de prisons en Belgique, il y a trop de gens en prison. » Tous nos gouvernements successifs ont posé le problème dans le sens inverse. Ils ont choisi de résoudre le manque de places dans nos prisons en se lançant dans la construction folle de nouvelles prisons, en augmentant la répression à l’intérieur des prisons, en expulsant les détenus étrangers et en élargissant la prison jusque dans les quartiers et les maisons par l’utilisation de technologies modernes.

Ces choix ont été rythmés et renforcés par des drames ou des événements qui bouleversent l'opinion publique – comme ce fut le cas lors de la libération conditionnelle de Michèle Martin en 2011, ou après les tueries à Paris et Verviers en 2015. A ces moments-là, comme dans un rituel, nos gouvernements prennent de nouvelles mesures répressives, ajoutent une nouvelle loi durcissant la précédente, pour répondre à la peur et à l'indignation populaire et médiatique. En faisant de la surenchère sur qui ose proposer les mesures les plus draconiennes, ils essaient de montrer leur carrure d'homme ou femme d'État.
(photo manifestation devant la maison de Christian Panier contre l’accueil de Michelle Martin ).
En réalité, ils ne se montrent ainsi que comme managers de crise et de risque, ils gèrent les conséquences, mais sont incapables de s’attaquer aux causes des problèmes. Cette manière dure de s’y prendre est malheureusement présente dans tout le spectre politique belge, de droite à gauche, gouvernement et opposition confondus. Il suffit de voir les manifestations violentes de Nation et Debout les Belges !, partis d’extrême-droite, contre la libération conditionnelle de Michelle Martin. Ou de voir la position du PTB, parti d’extrême-gauche, contre cette même libération conditionnelle et contre son hébergement par les sœurs Clarisses ou l’ancien juge Christian Panier.


La construction folle de nouvelles prisons.



(Prison de Bruges)
La réponse à l’explosion du nombre de détenus a été posée uniquement en termes d’élargissement de la capacité carcérale.

Ainsi, depuis le début des années 90, on assiste à la construction d’une nouvelle prison après l’autre. La nouvelle prison de Bruges a été construite en 1991. Celle d’Andenne en 1997. Celle d’Ittre en 2002. Celle de Hasselt en 2005. Ainsi, si la Belgique disposait de 5450 cellules en 1980, elle en avait déjà 8133 en 2005.

A partir d’avril 2008, le gouvernement va plus loin et double les efforts. Pour remédier tant à la surpopulation et au « manque structurel de 1500 places dans nos prisons» qu’à la vétusté de nos prisons, le gouvernement décide de s’y prendre de manière aussi structurelle qu’industrielle. Le « Masterplan 2008-2012 pour une infrastructure carcérale plus humaine » prévoyait la construction de 1800 places supplémentaires dans sept nouveaux établissements pénitentiaires de 2008 à 2012 et le remplacement de six vieilles prisons par des nouvelles dans la période 2013-2015.

Depuis, ce plan a été complété par des versions II et III. En décembre 2011, sur base de la dernière version du Masterplan 2010, la Cour des comptes, dans son rapport transmis à la Chambre des représentants, avançait le chiffre de 2773 places supplémentaires, qui seraient créées par ce Masterplan.

Le 14 décembre 2010, dans le cadre de ce plan, le Conseil des Ministres approuve la fermeture pour 2016 des « prisons très vétustes à Forest, Saint-Gilles et Berkendael, qui seront remplacées par une nouvelle institution à Haren ». Cette super-prison bruxelloise aurait une capacité de 1 190 places, soit 200 cellules supplémentaires par rapport à la capacité actuelle des trois anciennes prisons réunies.

Les premières réalisations du plan se montrent sous le gouvernement Di Rupo. Quatre nouvelles prisons ont vu le jour en sept mois de temps. La prison de Marche-en-Famenne en octobre 2013, la prison de Beveren en février 2014, le centre psychiatrique de Gand en avril 2014 et la nouvelle prison de Leuze-en-Hainaut en mai 2014.

Et du centre-gauche au centre-droite, ça continue.
(plan d'implantation de la future prison à Haren)
L’accord gouvernemental d’octobre 2014 du gouvernement de droite Michel reconfirme l’exécution des différents Masterplan de ses prédécesseurs. Le dernier « Plan justice » de mars 2015 du nouveau Ministre de la justice fait de même. Il annonce qu’aussi bien « l’élargissement que la rénovation des prisons par l’exécution du Masterplan existant doivent être continués». Une attention particulière ira vers « l’exécution prioritaire des projets à Haren, Dendermonde et Merksplas. » (point 303 du plan).



Le bannissement des détenus étrangers



(photo prison de Tanger)

Le 19 mars 2007, la Belgique conclut un accord avec le Maroc sur le transfert de détenus marocains dans les prisons belges. Cet accord a été approuvé par le parlement belge le 29 janvier 2009. 84 parlementaires du CDH, CD&V, PS, Spa, Open VLD, MR votaient pour, 12 parlementaires de Groen! et d’ Ecolo votaient contre. L’(extrême) droite avec ses 26 parlementaires, dont le NVA, parti qui en 2014 est devenu le parti le plus grand de Belgique, s’abstenait parce qu’elle jugeait la mesure « insuffisante et n’allant pas assez loin. » Le parlement marocain ratifiait cet accord en avril 2011, permettant ainsi à la Belgique de transférer ces détenus – avec ou contre leur gré – vers le Maroc.
Le gouvernement Michel veut utiliser d’avantage l’expulsion de détenus étrangers vers leur pays d’origine comme une des politiques pour désengorger nos prisons et les rendre "plus humaines". Qu’au Maroc les prisons souffrent d’une surpopulation de 600 % laisse nos politiciens sociaux froids comme du marbre.

(photo : sur le site de la ministre de justice Turtelboom se trouve, comme un bulletin de victoire : le nombre de "criminels illégaux" renvoyés en 2012 (en bleu) et en 2013 (en noir)


La construction de prisons au sein des prisons.



 Partie intégrante de la problématique de la surpopulation des prisons : l’introduction au sein de deux prisons d’une section et d’un régime de haute sécurité et d’isolement pour des détenus dangereux.

En 2001, une proposition de loi de principes concernant « l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus » a été déposée au parlement belge. Cette loi proposée était composée de neuf chapitres, dont le sixième s’intitule « Ordre, sécurité et recours à la coercition ». Ce chapitre est entré en vigueur le 15 janvier 2007. Il prévoit la possibilité pour l’administration pénitentiaire d’user de la contrainte sur des détenus jugés problématiques. Une de ces mesures de contrainte était l’imposition d’un régime de sécurité individuel, c’est-à-dire un régime d’isolement du détenu au sein de la prison. A partir de juin 2008, deux sections spéciales, un «Quartier des mesures de sécurité particulières et individuelles » (QMSPI) à la prison de Lantin et une « Afdeling Individuele Bijzondere Veiligheid » (AIBV) à la prison de Bruges, ouvrent leurs portes. Ces sections de haute sécurité, contenant chacune dix à douze cellules individuelles, forment une prison au sein de la prison pour des détenus dits « dangereux pour les autres détenus, pour les agents pénitentiaires ou pour eux-mêmes ».

En 2015 un nouveau chapitre répressif s’ajoute : tout en gardant les sections d’isolement individuel complet, une aile spéciale d’isolement collectif pour des détenus musulmans radicalisés dans les prisons de Bruges et d’Ittre sera ouverte.

Comme on peut le lire dans l’accord gouvernemental d’octobre 2014, la perspective de créer la première prison de haute sécurité en Belgique (à Achêne, près de Namur) pour des détenus dangereux est toujours sur la table.



Ouverture de prisons pour les illégaux



(photo "centre fermé" de Vottem)  

Sous le nom de « Centres », des nouvelles prisons pour réfugiés, demandeurs d’asile et illégaux ont été construites. Chaque année, près de 7000 personnes y sont enfermées. Pourtant, ces personnes détenues ne sont pas comptées dans le nombre de détenus en Belgique

En 1994, la « gevangeniskolonie voor landlopers » à Merksplas était transformé en Centre pour illégaux. Dans la même année, la prison 127 bis a été ouverte à Steenokkerzeel. En 1995, l’ancienne prison pour femmes à Bruges a été transformée en Centre pour illégaux. En 1999, la nouvelle prison pour illégaux à Vottem s’est ouverte. En 2012, la prison « La caricole » s’ouvre à Steenokkerzeel.



L’avertissement qu’on n’a pas voulu entendre


Le rapport du Comité pour la Prévention de la Torture du Conseil de l’Europe (CPT), après sa visite de contrôle des prisons belges en 2009, avait pourtant averti la Belgique : la construction de nouvelles prisons augmentera le nombre de détenus. « Le Comité de Prévention de la Torture tient à souligner que l’augmentation des capacités carcérales ne peut pas résoudre en soi le problème de la surpopulation. Dans de nombreux pays – Belgique comprise – on constate que la population carcérale augmente au fur et à mesure de l’augmentation des capacités carcérales

A ce niveau l’exemple des Pays-Bas est instructif.



Les Pays-Bas et le modèle américain.

(Photo explosion du nombre de détenus aux Pays-Bas 1989-2007 - en rouge)

Dans leur rapport de 2007 sur la situation carcérale aux Pays-Bas, intitulé « De cellenexplosie » (L’explosion carcérale), les professeurs Boone et Moeringe écrivaient : « Le temps où les Pays-Bas avaient une fonction d’exemple pour la tendance libérale du monde entier est définitivement révolu. Depuis 1985 le nombre de détenus par 100.000 habitants y a quadruplé. Dans ce sens les Pays-Bas sont le seul pays qui peut être comparé aux Etats-Unis, comme l’a souligné Michael Tonry dans son introduction devant le Congrès de l’European Society of Criminology en 2005. » Avec l’évolution en Belgique ces dernières vingt-cinq années, les Pays-Bas ne sont plus seuls. La Belgique, comme d’autres pays européens, peut ainsi prendre place sur le banc toujours plus grand des modèles américains sur notre continent.


Même si les taux d’incarcération, la longueur des peines et le traitement des prisonniers restent différents, voire incomparables, le modèle américain change de plus en plus profondément le climat pénal en Europe.
(photo le modèle américain, time line du nombre de personnes incarcérées de 1920 à 2008)

Le monde économique, jusque dans les coins les plus éloignés de la planète, a été modelé selon les concepts américains du marché libre et des sociétés multinationales, c’est indéniable. Depuis l’effondrement des régimes socialistes, et modelé par la révolution technologique, le visage du monde a profondément changé. Les barrières et les frontières ont sauté et le monde s’est transformé en un marché gigantesque. Le monde carcéral fait lui aussi partie de la spirale des privatisations et de la sous-traitance de fonctions et de services dans le monde carcéral.

Ce changement ne se situe pas uniquement au niveau économique.

Le monde se restructure aussi selon l’image politique, culturelle et pénale du modèle dominant. Ainsi, les propos entendus en Europe après les tueries à Paris ou l’exécution de deux suspects de terrorisme à Verviers « Nous sommes en guerre… »3, ne sont que l’écho de la guerre américaine contre le terrorisme. Régler les problèmes de société se fait dorénavant en déclenchant des guerres. Les « War on Crime », « War on Drugs », « War on Terror » se propagent comme la seule façon d’agir.


Ces modèles guerriers s’imposent de manière forte, comme la « War on drugs » au Mexique et dans d’autres pays du Sud, condition pour pouvoir jouir des faveurs économiques américaines. Ils se propagent politiquement et culturellement par le monde politique, les médias, lors des visites et échanges pendant les congrès de criminologues et responsables pénitentiaires. La présentation des pauvres et des marginalisés comme menace, le crime comme amusement et divertissement dans les films et les séries policières, l’utilisation par les partis politiques du crime et de la peur comme outil électoral, font tous parties de la propagation du modèle américain.

Pour n’en relever qu’un point : le spectacle auquel on a assisté ces dernières vingt-cinq années de la part des partis politiques belges, propageant la construction de nouvelles prisons et présentant la vie future dans les prisons comme étant meilleure pour les pauvres que leur vie en dehors, est tout simplement méprisable.



La promotion honteuse de la construction de nouvelles prisons en Belgique.



Dans son complément au Masterplan du 23 décembre 2008, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck, faisait la promotion de la construction de nouvelles prisons pour des raisons économiques et écologiques. En voici le résumé, paru dans « Place & sens de la prison en Belgique : entre discours et pratiques », du professeur Philippe Mary. « Sous le titre « Impact social des prisons », ce n’est plus la place de celles-ci dans la société qui est examinée, mais, avant tout, l’importance de leurs retombées économiques, en termes d’emplois directs (une prison de 444 places en fournirait 500 pour « au moins 100 ans » ou indirects (la police locale pour le transport des détenus, les organismes d’aide aux détenus, les maisons de justice, les divers fournisseurs de la prison…), sans oublier l’activité générée par l’arrivée de membres du personnel s’établissant dans la région avec leur famille (logements, commerces, écoles,…). C’est ensuite l’impact sur l’environnement qui est mis en avant, sous une forme quasiment publicitaire, pour souligner le peu de nuisances, notamment sonores (« la prison est un voisin très calme pour les riverains » ou environnementales (« les prisons sont très peu polluantes (…) pas plus qu’une chambre d’étudiant par exemple »). Le ministre mettra même cyniquement en avant que les centres de détention pour mineurs créent encore moins de nuisances que les prisons : moins de visiteurs, moins d’activités des organismes extérieurs et quasiment pas de travail en atelier.»4



Pour les élections du 7 juin 2009, ce même ministre de la Justice, tête de liste CD&V-NVA à Courtrai, affichait le slogan "Sterk in moeilijke tijden" (Forts dans des temps difficiles). Quant au ministre des Finances et de la Régie des Bâtiments Didier Reynders, candidat MR à Liège, son slogan était "Réinventons l’avenir". En pleine campagne électorale, un mois avant les élections, sous le nom de "Prison Make" ("Prisons à construire", un jeu de mot sur la série populaire "Prison Break"), les deux ministres organisaient un colloque au Bozar sur le "Masterplan pour les Prisons". L’invitation de "Prison Make" était présentée sous forme d’une affiche "Wanted", qu’on voit dans les vieux films westerns américains. "Tous les partenaires concernés par la construction de nouvelles prisons dans notre pays" étaient invités. Bien sûr, pas tous. Et pas de consultation, pas de débat non plus avec les partenaires présents. « Prison make » était juste un colloque où les invités devaient écouter les promoteurs de l’enfermement moderne. Pour faciliter la digestion du programme, nos ministres ont clôturé le colloque par un buffet gratuit pour tous les participants.


Même scénario quelques mois plus tôt.


Le 27 septembre 2008, Patrick Dewael, ancien ministre et alors président de la Chambre des Représentants, organisait son bal politique annuel sous le nom de "Jailhouse Lounge". Il n’organisait pas son bal dans une salle de danse, mais, indécence extrême, dans l’ancien musée-prison de Tongres destiné à être transformé en nouvelle prison pour 37 jeunes. Des photos de la bourgeoisie
locale se servant du champagne dans les anciennes cellules, et dansant dans le préau de la prison, étaient publiées dans la presse et sur le site du ministre.

(photo champagne dans les cellules à la prison de Tongres)


Même scénario quelques années plus tard.

L’ouverture de la nouvelle prison de Beveren en 2014 (appelée « Poort van Beveren », la Porte de Beveren) a été mise en scène comme un véritable coup publicitaire au niveau international, médiatique et électoral.

(photo nouvelle cellule à la prison de Beveren)

Cela commençait par la visite à la prison en construction par les ministres et les directeurs de prison, présents à la 18ème conférence internationale des directeurs de prison de l’Europe.

Le 27 novembre 2013 à 7.39 h le matin, les participants à la conférence prenaient le bus à Bruxelles pour une visite de deux heures et un lunch sur place. Dans le rapport sur la visite on peut lire : « Avant le début de la Conférence une visite à la nouvelle prison Beveren, encore en construction (ouverture prévue pour la fin de janvier 2014) a été organisée pour les participants. Les délégations ont eu l’occasion de visiter toutes les parties de cette prison de haute technologie (par un accord de partenariat public-privé) et de discuter de différents aspects de son fonctionnement : la sécurité, la sûreté, le régime pénitentiaire, possibilité de travail, la formation du personnel et des détenus. L'architecture de la prison, les coûts de la construction et d'entretien ont également été examinés, ainsi que l'organisation de visites dans les prisons et des audiences par un tribunal (situé dans une partie spéciale et distincte à l'intérieur de la prison).5

A noter que tant l’installation d’un tribunal au sein de la prison que l’introduction d’un nouveau système informatique, Prison Cloud, ont tous deux comme objectif d’augmenter la sécurité et de limiter au maximum tout déplacement au sein des prisons. Prison Cloud permettrait aux détenus de consulter leur dossier à partir de leur cellule. Plus besoin de déplacement ! Ou de commander des films, des cigarettes, des dvd, des repas par ordinateur. Ou de téléphoner par ordinateur. Il n’y aura plus besoin de se parler. Plus besoin de poser une question à quelqu’un. Tout est réglé par ordinateur. L’image d’une cellule équipée, ordinateur sur table avec bel écran, petit frigo à côté, douche dans le coin, a fait le tour de la presse, faisant rêver plus d’un. Dans des commentaires de lecteurs, on pouvait lire : « C’est mieux qu’à la maison ! » « Logement gratuit, repas gratuit, on a la télé, du chauffage… Damn it ! Occasion ratée! ». La prison comme hôtel quatre étoiles. En vérité, cette « digitalisation » rendra la prison encore plus inhumaine. Elle augmentera l’isolement individuel des détenus au sein de prisons aseptisées à l’américaine. Elle limitera davantage le peu de contacts humains au sein des prisons. Elle fera « gagner du temps au gardiens », qui se voient réduits à gérer par ordinateur des personnes devenant de plus en plus des objets. Sans oublier qu’un détenu (et sa famille) doit avoir de l’argent pour pouvoir se permettre toutes ces belles choses, comme c’est déjà le cas pour la télévision et la cantine aujourd’hui. Ou qu’il faut être capable de lire et d’écrire...


Coup médiatique en mars 2014 quand une centaine de membres du personnel pénitentiaire, le directeur-général inclus, des magistrats, des professeurs et des journalistes se font enfermer pour quelques jours dans la nouvelle prison en construction. « L'initiative de ce test réaliste est venue de direction de la prison, une jeune équipe dynamique débordant de créativité », déclarait à la presse le porte-parole du monde pénitentiaire belge, un homme généralement assez sec, mais essayant ici de nous emporter dans son enthousiasme.
(photo : la prison de Beveren sur le site d'Interbuild nv)


Dans son rapport annuel, la ministre de la Justice Turtelboom parlait d’une «opération transparence »! : « Il y a quelques semaines à peine, nous avons inauguré la nouvelle prison de Beveren. Cet événement s’est accompagné d’un esprit peu commun d’ouverture vers les médias. Pendant tout un weekend, des magistrats et des journalistes ont pu expérimenter devant l’œil des caméras ce que vivre en détention signifie. Leur conclusion était unanime : la privation de liberté, c’est dur, beaucoup plus dur que ce que l’on imagine. » (Sic). Et la presse de partager son exaltation : « Ce complexe supermoderne devait offrir aux détenus plus de liberté et plus de possibilité de détente. » Tout comme la méga-prison à Haren est annoncée comme étant un « paradis de vacances » dans le même journal Het Laatste Nieuws. On pouvait lire aussi dans la presse que pour certains participants ces deux jours en prison étaient comme une petite aventure excitante. « Comment voler des tranches de fromage et les cacher dans son pantalon ? Serait-ce possible ? Et quelles seraient les conséquences si les agents m’attrapaient ? » Les participants ont même mis en scène une petite insurrection contre le personnel pénitentiaire, jugé trop sévère. Et autres amusements.



Même si, selon le journal Het Laatste Nieuws, le weekend de test a « relevé 260 problèmes », chiffre auquel l’administration pénitentiaire n’a pas réagi, on assistera à l’ouverture forcée de la prison de Beveren avant les élections de mai 2014. Pour permettre à Madame Turtelboom en campagne électorale de souligner son rôle historique (!) au niveau pénal belge : « Je suis particulièrement fière d’avoir été la Ministre de la Justice qui, pour la première fois en un quart de siècle, a fait exécuter presque l’entièreté des peines prononcées. Les marges pour amener les détenus vers une vie meilleure croissent. Nous avons pu ouvrir trois nouvelles prisons en 12 mois, un exploit qui, sauf erreur, n’a pas été réalisé au cours du 20ème siècle, et ainsi fait baisser la surpopulation pour la première fois depuis des années, d’un pic de 26% début 2013 à 15%, voire moins. » Son texte sera publié dans le rapport annuel du Ministère de la justice de 2013, publié en mai 20146, quelques semaines avant les élections, où elle conclut son introduction ainsi : « Aujourd’hui, à quelques semaines des élections, je ne sais pas si j’écrirai la préface de la prochaine édition du rapport de la justice. J’espère juste avoir ramené un peu d’espoir au sein de notre système carcéral. »

Dénonçant l’utilisation politique de la construction de prisons par la ministre, le délégué syndical Robby De Kraey déclarait dans les journaux : "Cette prison a été ouverte trop vite. Elle devait et elle serait ouverte avant les élections du 25 mai 2014. C’est la raison pour laquelle ce bâtiment n’a pas été testé et contrôlé suffisamment." La confirmation vient trois mois plus tard. Dix-sept détenus de la prison de Beveren adressent une lettre à la presse dénonçant une autre réalité du paradis carcéral. "Il pleut au sein de la prison. Il y a des courants d’air. Les gardiens se comportent comme des cowboys. Il y a le désordre et l’arbitraire. Les fonctionnaires se contredisent. Des directives de la direction sont niées par des gardiens. En travaillant en prison, on ne peut gagner que 138 euros par mois..."


Arrêter la construction des prisons



Le tournant punitif au Pays-Bas date de la fin des années 80, début des années 90, faisant de ce pays le modèle américain sur le continent. Ainsi, en 2012, ce pays disposait en 2012 de « 65 prisons, dont 5 prisons pour femmes, de la place pour 22.000 détenus et un personnel de 12000 personnes. »
Dans l’évolution aux Pays-Bas, on peut constater que la construction de nouvelles prisons n’a pas été la réponse à la surpopulation carcérale, comme on le prétend aujourd’hui en Belgique. Au contraire : elle faisait partie de cette politique punitive et rendait possible l’enfermement de plus en plus de personnes.

Pour un nombre de raisons, économiques avant tout, les Pays-Bas ont constaté que cette politique était intenable. Le pays a changé de cap par son masterplan 2013-2018 qui prévoit « la fermeture de 26 prisons et le licenciement de 3400 membres du personnel. »
Sans idéaliser ce projet - qui prévoit aussi la construction de deux méga-prisons, la généralisation des bracelets électroniques, et la diminution de la qualité de vie carcérale -, ce plan nous apprend que la disponibilité ou non d’un parc pénitentiaire joue un rôle important dans l’adoption d’une nouvelle politique dans un sens ou dans l’autre.

S’opposer à la construction de nouvelles prisons en Belgique fera dès lors partie intégrante de la politique pour arrêter la spirale carcérale en Belgique.



Luk Vervaet, ancien enseignant à la prison de Saint-Gilles15 avril 2015

NOTES

1http://www3.unil.ch/wpmu/space/files/2015/02/SPACE-I-2013-English.pdf


2February 2015 Executive summary, Space I 2013 – Facts and Figures


3Voir les propos du socialiste français Valls après Charlie Hebdo : "Nous sommes dans une guerre contre le terrorisme" http://tempsreel.nouvelobs.com/charlie-hebdo/20150109.OBS9607/valls-nous-sommes-dans-une-guerre-contre-le-terrorisme.html. Ou ceux du libéral belge Denis Ducarme (MR): "Nous sommes en guerre totale face aux terroristes, face aux radicalistes. Le terme de guerre n'est certainement pas excessif. » http://www.dhnet.be/actu/monde/ducarme-nous-sommes-en-guerre-totale-face-aux-terroristes-54ad24863570b311404d3e72


4http://www.revueobservatoire.be/spip.php?article224&return=publication


5

http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/prisons/PCCP%20documents%202013/PC-CP%20%282013%29%2018%20E%20-%20Report%20of%20the%20Chair%2018th%20CDAP_E.pdf


6http://justitie.belgium.be/nl/binaries/fr_small_tcm265-248343.pdf

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