Les irréductibles Harenois contre méga-prison

par Luk Vervaet

Article paru dans Agenda interculturel - juillet 2016, Eloge des carburateurs. Pour visiter le site cliquez ICI

(photo manifestation à Haren mars 2015)

Récemment, deux mouvements sociaux ont sorti de l’ombre le monde caché des prisons. Il y a eu la grève du personnel pénitencier en mai-juin 2016. Et le mouvement contre la méga-prison de Haren, commencé en 2011 et qui continue sa lutte sans relâche. 
En prenant des détenus en otage pour obtenir satisfaction, la grève des gardiens a levé le voile sur la situation catastrophique au sein de nos prisons. Elle nous a confrontés à la vie difficile des gardiens. Mais aussi, et surtout, à celle des détenus, qui, en beaucoup d’endroits, y mènent une vie non digne de ce nom. « Grève historique », « mouvement sans précédent » ont écrit certains médias. Cette grève ne donnait pourtant aucune perspective sur l’issue de la crise carcérale. Elle revendiquait avant tout le maintien ou l’augmentation du personnel pénitentiaire et s’est soldée par des promesses de réformes – et surtout de construction de nouvelles prisons -  de la part du ministère de la Justice[1].
Deux questions s’imposent de prime abord. Pourquoi invente-t-on toujours de nouvelles réformes et ne reprend-on pas, par exemple, la loi Dupont, qui n’est toujours pas d’application ?[2] Et deux, force est de constater que ces réformes ne constituent jamais une rupture. Elles laissent la prison intacte, en tant que principal et unique outil de punition. Pour reprendre Tony Ferri : « L’institution pénitentiaire… persiste à demeurer fondamentalement identique à elle-même… Par définition, les transformations ne sont que des accidents, des mesurettes de replâtrages, d’habillages et de consolidation des institutions (pénitentiaires) qui restent, par définition intacts… ».[3]

Quant au titre « historique », c’est bien au mouvement contre la construction de la méga-prison à Haren (Bruxelles) qu’il revient. C’est en effet ce mouvement qui a suscité une formidable prise de conscience et élevé le premier barrage contre la politique carcérale en Belgique en bloquant la construction de la méga-prison depuis plusieurs années. Disons-le, il n’est pas garanti que ce mouvement arrive à bloquer définitivement la construction de la prison. Mais ce n’est pas le plus important. Comme le dit Angela Davis, « il nous faut parfois nous atteler à la tâche quand bien même aucune lueur à l’horizon ne laisse espérer quoi que ce soit ». Pour elle, il ne s’agit pas de raisonner en termes de « résultats », mais en termes « d’impact » : « Un mouvement peut échouer de fait. Il peut avoir ses campements détruits, ne produire rien de tangible, ne déboucher sur rien… Mais il s’agit de penser à l’impact de ces actions inventives et novatrices… qui doivent nous servir de modèles pour les actions que nous engagerons dans l’avenir »[4]. A ce niveau-là, les différentes actions et initiatives des militant(e)s au sein de ce formidable front contre la méga-prison laisseront des traces indélébiles.

Des chicons, pas de prisons ! Des patates, pas de matraques !

Je pourrais citer les films, les bandes dessinées, les travaux universitaires, réalisés sur cette lutte.[5] Les Zadistes et les Patatistes, les militants, venus de différents pays d’Europe, pour occuper pendant plus d’un an, jusqu’à son évacuation violente et illégale en septembre 2015, le terrain du Keelbeek où allait se construire la prison. La plantation massive de patates, le 17 avril 2014, par 400 personnes du Keelbeek à l’appel du ReSAP[6]. La condamnation à 10 mois de prison de huit activistes anti-prison, accusés d’en avoir détruit la maquette. Le tour à vélo patatiste. Les actions de La Cavale et leur procès à venir. Les prises de position des magistrats et des avocats. Le travail acharné de la Plateforme pour sortir du désastre carcéral[7], de l’Observatoire International des Prisons, de la Ligue des droits de l’homme, d’Inter Environnement Bruxelles, de Respire ou des organisations agricoles. La force du mouvement contre la construction de la méga-prison réside dans la magnifique convergence qu’il a réussi à créer entre les luttes menées sur différents fronts, porteurs d’une société nouvelle.  

Mais c’est la conscientisation d’une poignée d’habitants de Haren qui est à la base de cette lutte et qui en est en même temps le résultat le plus remarquable. Quelques dizaines d’habitant(e)s de cette petite entité de 4500 personnes, méprisée et utilisée comme poubelle et comme site pour les grandes infrastructures de la grande ville, se sont investis depuis cinq ans dans cette lutte. Contre le fatalisme qui disait que leur combat était perdu d’avance. Contre l’opinion dominante qu’il faut toujours plus d’enfermement et toujours plus de prison. Contre la privatisation des prisons. Ces Harenois(e)s n’avaient aucun rapport avec le monde carcéral avant que ne commence la lutte. Leur Comité des Habitants de Haren ne s’opposait pas à la construction d’une petite prison sur les terrains abandonnés d’une usine. C’est à travers la lutte qu’ils et elles se sont développés en tant que porteurs d’un mouvement contre « l’inflation carcérale sans précédent au XXe siècle »[8] et contre les solutions des gouvernements successifs.[9]  

Le 27 juin 2016 dernier, le collège de la Ville de Bruxelles a finalement donné son feu vert à la construction de la méga-prison en échange de la construction d’un parc, d’un pont et de la promesse que son CPAS ne devra pas payer une assistance aux détenus. 
Voici quelques extraits du communiqué[10] du Comité des Habitants de Haren, signé par Elisabeth, Fabienne, Laurent, Nathalie, Philippe, Stéphanie et Zehra, publié avant la tenue de ce conseil communal. 
Il montre que la flamme de la résistance brûle toujours et n’est pas prête de s’éteindre.  
« Le collège de la Ville de Bruxelles veut forcer le conseil communal à accepter le projet de méga-prison de Bruxelles. Il n'est pas question de monnayer un projet aussi toxique que cette méga-prison de Bruxelles contre des compensations locales et étrangères au projet… Nous ne voulons pas de compensations qui se feraient au prix d'un mauvais projet… Nous ne voulons pas de compensations qui se feraient sur le dos de la justice et des conditions de détention… Nous ne voulons pas reporter les problèmes ailleurs…Nous ne voulons pas prendre des biens qui devraient être destinés à d'autres… Nous voulons de la justice et pas de la vengeance… On ne détruit plus aujourd'hui les terres arables. On ne détruit pas l'équilibre d'un village… On ne mélange pas une prison pour jeunes, une prison pour détention préventive, une institution psychiatrique, une prison ouverte pour femmes, une prison de peine et tout cela concentré et soumis aux nuisances harenoises … On ne rend pas la justice en prison… On n'exclut pas les personnes en détention de notre société… Haren n'est pas à vendre. »   








[2] « … le 12 janvier 2005, le législateur belge adoptait une loi «  de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus ». Annoncée depuis 1996, cette loi était porteuse d’espoir pour le monde carcéral en général, et les détenus en particulier... Las ! Dix ans plus tard, près de la moitié des dispositions votées à l’époque ne sont toujours pas entrées en vigueur.. » http://www.liguedh.be/espace-presse/130-communiques-de-presse-2015/2237-loi-dupont-un-bien-triste-anniversaire
[3] Tony Ferri, Le système pénitentiaire est-il en crise ?, Revue européenne de Psychologie et de Droit, www.psyetdroit.eu 
[4] Angela Davis, Une lutte sans trêve, La Fabrique éditions, page 178
[5] Par exemple : les Ateliers « Affiches sur les prisons » et le film  « Prisons des villes, prisons des champs » produit par les Ateliers urbains et l’IEB ; les reportages de Haren TV, Zin TV ou Via Campesina TV; « Patati & Patata, trois ans de lutte à Haren », le livre avec les dessins d’Ernesto Moreno ; « Haren, vers la prison de demain », travail de fin d’études de Notaro Gennaro; « Dé/construire la prison », les workshops ULB faculté d’architecture; les travaux des étudiants sur le terrain de l’unité de Socio-Économie, Environnement et Développement (SEED) de l’université de Liège…
[8] Fabienne Brion, Cellules avec vue sur la démocratie, Fragment 1, « une inflation carcérale sans précédent au XXème siècle, du moins si l’on excepte l’immédiat après-guerre. » https://conflits.revues.org/18906
[9] En trente ans le nombre de détenus a doublé. Pour remédier à cette explosion, les gouvernements successifs ont décidé de construire des prisons : Bruges (1991), Andenne (1997), Ittre (2003), Hasselt (2005), Marche-en-Famenne (2013), Leuze-en-Hainaut (2014), Beveren (2014). S’y ajoute la construction de six prisons pour illégaux sous le nom de « centres fermés », en vingt ans de temps.
[10] http://1130haren.be/fr/ : RDV à l'Hôtel de Ville de Bruxelles ce lundi soir dès 17h : Haren pas à vendre
Publié : 27-06-2016

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