Ali Aarrass en isolement total à la prison de Tiflet ! Le Maroc veut-il réduire Ali Aarrass définitivement au silence ?

par Luk Vervaet 28 octobre 2016

« Le Maroc a été élu, jeudi 27 octobre, à Genève, membre du sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture. Ce résultat… consacre, en outre, l’engagement constant du Royaume dans les efforts de la communauté internationale en matière de lutte contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi que l’effectivité de son interaction avec les différents mécanismes onusiens de protection des droits de l’Homme »[1].

Quand j’ai lu ça, j’étais perplexe. J’ai juste eu une pensée pour Ali Aarrass. Des souvenirs des moments où on s’est rencontré dans la salle d’audience du tribunal antiterroriste à Rabat, il y a déjà six ans.

Je me souviens qu’Ali parle doucement. Il ne crie pas, ne fait pas de grandes déclarations. Il est serein. Il est calme, modeste. Forgé par une vie d’ouvrier, qui n’a pas été un fleuve tranquille. De temps en temps, il nous sourit de sa cage en verre, construite dans la salle d’audience du tribunal. Il fait un geste de sa main pour nous encourager, nous, les sympathisants venus de la Belgique, de l’Angleterre, de la France pour le soutenir. Son charisme et sa détermination nous frappaient tous, dès la première rencontre. C’est comme ça que je l’ai vu pendant ces nombreuses audiences devant le tribunal antiterroriste de Rabat.

Le jugement le condamnant à 15 ans de prison est tombé le 19 novembre 2011. Arrêté en 2008, à la demande du Maroc, il avait déjà passé près de trois ans en détention sous un régime de haute sécurité en Espagne. En Espagne, « l’affaire Ali Aarrass » avait été prise en main par le juge antiterroriste Garzon. Garzon qui a éradiqué l’organisation de résistance basque ETA et fait interdire le parti politique basque Herri Battasuna. C’est lui qui s’est occupé des enquêtes après les attentats de Madrid en 2006, avec une sévérité extrême. C’est ce même Garzon qui déclare qu’il n’y a pas d’affaire Ali Aarrass. Qu’il n’y a même rien pour organiser un procès contre Ali. Et il prononce un non-lieu. Pourtant, l’Espagne, violant les règles élémentaires de relations internationales, extrade Ali Aarrass au Maroc. La Belgique, de son côté, a refusé toute demande d’aide de son ressortissant pendant qu’il était en prison en Espagne et a refusé toute intervention pour protéger son citoyen contre une extradition illégale. En octobre 2014, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU condamne « l’Espagne pour extradition illégale. Le Comité considère que cet acte « constitue une violation de l’article 7 du Pacte des droits civils et politiques signés à New York en 1954 par plusieurs pays, y compris l’Espagne qui a respecté ledit pacte au cours des 50 dernières années ».[2] La Belgique ne bouge toujours pas.

On ne peut comprendre l’agissement des pays concernés que dans le cadre de la coopération antiterroriste entre la Belgique, l’Espagne, le Maroc et la France. Et de leur complicité dans les dérives - les horreurs des tortures et des arrestations de masse - dans le cadre de cette même lutte antiterroriste.
Collaboration encore sanctifiée le 21 octobre dernier quand les quatre procureurs antiterroristes du « groupe quadripartite antiterroriste » se sont rencontrés pendant deux jours (photo). « Tous se sont félicités du succès de la coopération entre les quatre pays, sur la question de la lutte antiterroriste » et bien sûr, ce fut l’occasion pour le Maroc « de mettre en avant les avancées réalisées par le Maroc en matière de code pénal, qui ont permis de faciliter les investigations, dans le strict respect de la loi et de la vie privée des citoyens. » [3]

Depuis le premier jour de son incarcération jusqu’à ce jour, Ali Aarrass n’a pas cessé de clamer son innocence.
Une attitude qui ne plaît pas aux autorités marocaines. Pour elles, la seule manière de contester un jugement est de se taire. De commencer par accepter le jugement. Et de supplier la grâce du Roi Mohamed VI ensuite, si on veut y changer quelque chose. Bref, la soumission - et la corruption des fonctionnaires s’il le faut - pour obtenir la clémence. Mais les autorités marocaines se trompent : Ali est un homme intègre, un homme debout. Ali veut que la vérité éclate. Là où d’autres sont prêts à se vendre, Ali, lui, ne veut que la justice. Rien d’autre. Ali veut que le monde sache ce qui se passe dans les bureaux du BNPJ (la Brigade nationale de la police judiciaire). On y torture. 
En septembre 2012, Ali, en dépit de tous les risques et dangers, accepte de témoigner en prison devant Juan Mendez, le rapporteur de l’ONU sur la torture, et de se faire examiner par son médecin légiste. Dans son rapport, Mendez confirmera devant le monde entier qu’Ali Aarrass a bel et bien été torturé par les autorités marocaines. Puis, Ali donnera la permission de le filmer avec un téléphone portable après son passage à tabac dans la prison de Salé II par des gardiens en 2012. En 2014, Ali acceptait d’être un des 5 porte-drapeaux de la campagne mondiale d’Amnesty international contre la torture.


Mais Ali ne se bat pas uniquement pour lui-même. Au Maroc, il est devenu une des rares voix de l’intérieur de la prison, qui osent dénoncer la situation catastrophique au sein des prisons au Maroc. Il est ainsi devenu le délégué des prisonniers, la voix des sans-voix, des non-droits, des pauvres, des entassés dans les prisons surpeuplées. En 2013, il demande à sa sœur Farida d’organiser une collecte de vêtements pour des détenus qui vivent en haillons. Initiative qui sera bloquée par la direction pénitentiaire.
Quand en 2016 des petites vidéos faites par des détenus sur la maltraitance des détenus à Salé II sortent, la direction pénitentiaire du Maroc accuse officiellement Ali Aarrass, et plus tard sa sœur Farida Aarrass, d’en être les auteurs. Le système de la « justice » marocaine en pleine action : on ne retrouve pas le ou les auteurs des vidéos, alors on accuse Ali Aarrass. Ali devra même comparaître devant un tribunal. Ali, tout comme sa sœur, qui n’a jamais refusé d’assumer sa responsabilité sur quoi que ce soit, rejette toute responsabilité pour ses vidéos.  
Quelques semaines après cet énième acharnement, deux livres sortent sur Ali Aarrass. Il n’a pas fallu dix jours avant qu’Ali soit transféré à la prison de Tiflet. 
Pour y être traité comme un rat en laboratoire du nouveau système carcéral à l’américaine qu’on est en train d’installer au Maroc.   

Placé en confinement solitaire à l’américaine dans la prison de Tiflet

Sous le titre « Tamek  (délégué général à d’administration pénitentiaire et de la réinsertion ndlr ) veut des prisons américaines pour le Maroc », la presse marocaine (360.ma et Al Massae) annonçaient fin 2015 qu’une des nouveautés apportées par cette mutation à l’américaine sera « la division des prisons marocaines en trois niveaux, selon le degré de dangerosité des détenus. Le premier des trois niveaux, soit la prison de type A, concerne les criminels dangereux ayant trempé, notamment, dans des affaires de terrorisme…, vient ensuite la prison de type B, destinée aux détenus condamnés pour des affaires de coups et blessures et homicide involontaire, ou encore de trafic de drogue au niveau national. Le troisième niveau, de type C, concerne les délits mineurs. Ce nouveau classement établi par la délégation de Tamek sera d’abord mis en pratique durant une période de quatre mois et concernera trente prisons marocaines. Le journal donne également un peu plus de précisions sur ces prisons de type A, similaires aux prisons de haute sécurité, en rapportant que la balade quotidienne du détenu ne dépassera pas une heure par jour, tandis que les visites familiales ne pourront être effectuées par plus de 2 proches à la fois et se limiteront à 20 minutes ».[4]


Le régime qui est en test pour les prisons de haute sécurité est le régime auquel Ali Aarrass est soumis depuis son arrivée à Tiflet.
Voici les conditions de détention de haute sécurité d’Ali Aarrass, qui sont mot pour mot identiques aux conditions de « solitary confinement » aux Etats-Unis dans les prisons ou sections de sécurité maximale.

« Ali est dans une cellule de 2m/3m. Il y est seul et aucun contact n'est autorisé ! Il n'a le droit qu'à une heure de sortie sur les 24h, il s'y retrouve seul de nouveau ! Il n'a le droit qu'à une douche par semaine ! Il ne dort pas sur un lit, il n'y en a pas, c'est sur une espèce de bloc de béton ! Il n'est pas seulement isolé dans une cellule 23h/24h, mais il est carrément isolé de tous les autres quartiers ! Il est seul à occuper une cellule dans un hall qui se compose d'une trentaine d'autres cellules, qui sont toutes viides ! Même quand il appelle le gardien, ce dernier ne l'entend pas tant il est loin de ce quartier. Lorsque les repas qui sont abjects, sont distribués, il les reçoit à travers le petit sas ou grille. Autrement dit, aucun contact humain ne lui est autorisé ! Jusqu'à aujourd'hui il n'a toujours pas reçu la moindre lettre alors qu'on lui écrit tous les jours depuis son transfert ».

Il est temps d’agir pour que ce régime de détention soit arrêté immédiatement.

Merci d’acheter et de diffuser les livres « Lettres de prison et Journal d’une grève de la faim » par Ali et Farida Aarrass et « Je m’appelle Ali Aarrass » de Manu Scordia.


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