Communiqué des avocats : La justice belge ordonne le rapatriement de Nizar Trabelsi des États-Unis (EU) et condamne la Belgique à payer 10000 euros par année de sa détention aux EU

 


Tandis que les Etats-Unis restent sourds aux interpellations répétées de l’ONU, la Cour d’appel de Bruxelles condamne l’Etat belge à solliciter le rapatriement de Nizar Trabelsi

Bruxelles, le 27 septembre 2022

Nizar TRABELSI est torturé aux Etats-Unis. Depuis neuf ans, il est détenu à l’isolement sensoriel total, en vertu des fameuses SAM (mesure administrative spéciale), dans une section de haute sécurité. Il est toujours seul, dans une petite cellule lugubre, sans lumière du jour, lampe forte allumée 24h/24h, isolée de telle manière qu’il n’entende aucun bruit. Ses communications avec sa famille sont entravées (coût, surveillance, censure) de manière absolument drastique. Il lui est interdit de parler avec sa compagne depuis quatre ans. Les rapports médicaux établissent qu’il présente des symptômes psychotiques, qu’il s’automutile, qu’il souffre d’un PTSD, qu’il « voit des choses », qu’il parle à sa seule compagne, la lumière, que ses convictions paranoïaques entravent ses capacités à sa défendre, qu’il souffre de troubles obsessionnels, de malaise social, de mal de tête chronique, de troubles du sommeil, de crises de panique, de difficultés digestives, d’ulcère chronique, de douleur abdominale, de gonflement des membres inférieurs, etc. Ils établissent également que ses affections psychiques et physiques ne sont ni correctement diagnostiquées, ni adéquatement traitées. Après 15 jours d’isolement, la déprivation sensorielle peut engendrer une incapacité permanente. Les SAM font pourtant partie d’une stratégie carcérale américaine[1].

Les Nations Unies ont été alertées de cette grave violation du droit international impératif, le jus cogens, celui auquel on ne peut jamais déroger. Le 16 décembre 2020, le Rapporteur spécial contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste ont fait part de leurs préoccupations tant aux Etats-Unis d’Amérique[2] qu’à la Belgique[3]. Ces Etats étaient interrogés non seulement sur les mauvais traitements infligés à M Trabelsi mais également sur la violation du principe non bis in idem, qui interdit de juger deux fois un homme pour les mêmes faits.

Près de deux ans plus tard, la situation de M Trabelsi n’a pas cessé d’empirer. C’est la raison pour laquelle le Rapporteur spécial contre la torture, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste mais également le Groupe de travail sur la détention arbitraire et le Rapporteur spécial sur le droit à la santé physique et mentale ont dénoncé à nouveau, en février 2022, la très grave violation des droits fondamentaux de M Trabelsi[4]. 

Les Etats-Unis n’ont pas daigné répondre à ces organismes internationaux de protection des droits humains.

Et la Belgique ?

L’exécutif belge n’a pas cessé de bafouer les droits de Nizar Trabelsi. Il a violé une injonction de la Cour européenne des droits de l’homme. Il a, en connaissance de cause, envoyé M Trabelsi vers la torture. Il a menti aux juges américains en laissant croire que le droit belge autoriserait à ce que M Trabelsi soit jugé une deuxième fois pour les faits commis et punis en Belgique, pour lesquels il a purgé l’entièreté de sa peine d’emprisonnement.

La Justice belge, elle, a toujours œuvré en vue du rétablissement de Nizar Trabelsi dans ses droits.

Le 8 août 2019, la Cour d’appel de Bruxelles a enjoint en urgence au Ministre de la Justice de rappeler aux autorités américaines « que, selon l’analyse qui prévaut en droit belge, l’extradition de l’appelant ne permet pas de le poursuivre aux Etats-Unis pour y être jugé pour (…) faits liés à la tentative d’attentat à la base militaire de Kleine Brogel ». Le Ministre de la justice a refusé d’endosser le droit belge.

Le 26 février 2020, constatant la persistance de la violation du principe non bis in idem, le Tribunal de première instance de Bruxelles a à nouveau enjoint sous astreinte le Ministre de la Justice d’indiquer aux autorités américaines que « « Selon l’analyse qui prévaut en droit belge, l’extradition de Monsieur TRABELSI ne permet pas de le poursuivre aux États-Unis pour y être jugé pour les faits (…) liés à la tentative d'attentat à la base militaire de Kleine Brogel ». Le Ministre de la justice s’est une fois encore distancié de ce qui est incontestable en droit belge.

 Le 4 mars 2021, la Cour de cassation a définitivement tranché toute contestation quant à la portée du principe non bis idem et aux obligations de la Belgique. Elle a réaffirmé que ce n’est pas parce que Nizar Trabelsi a été extradé qu’il ne disposerait plus du droit au respect du principe non bis in idem. Au contraire, la Cour de cassation a avalisé l’analyse de la Cour d’appel selon laquelle l’exécutif belge « a l’obligation de transmettre à ces autorités [américains] des précisions relatives à l’extradition du défendeur », résultant des décisions judiciaires coulées en force de chose jugée. Malgré cet arrêt, le Ministre de la justice a encore refusé d’indiquer aux autorités américaines - qui détiennent depuis neuf ans Nizar Trabelsi dans des conditions inhumaines en vue de le faire condamner pour les faits déjà jugés ici – que son extradition avait été refusée pour les faits spécifiques de Kleine Brogel.

Saisie une fois encore en urgence, le 23 mai 2022, la Cour d’appel de Bruxelles a constaté qu’« Aucune justification raisonnable et licite n’est prima facie susceptible de justifier de telles violations et la situation exceptionnelle dans laquelle elles ont placé monsieur TRABELSI ».

Ce 12 septembre 2022, la Cour d’appel de Bruxelles, saisie de l’action en responsabilité introduite par Nizar Trabelsi, a pris la mesure de la gravité des atteintes à ses droits fondamentaux. Après avoir rejeté tous les faux prétextes utilisés par l’exécutif belge pour avoir violé la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour d’appel constate que « l’Etat belge a donc fait délibérément et consciemment le choix de céder aux instances des autorités américaines et de méconnaître ses obligations » envers Nizar Trabelsi et que « sans la violation de cette injonction [de la Cour européenne des droits de l’homme], (…) l’appelant n’aurait donc été, ni incarcéré, ni poursuivi pour quelque fait que ce soit aux Etats-Unis, et il n’encourrait pas le risque d’être condamné aux Etats-Unis, pour quelque peine que ce soit ».

Reconnaissant la violation du principe non bis in idem et de l’interdiction absolue de la torture et autres peines et traitements inhumains et dégradants, le Cour d’appel

-          ordonne à l’exécutif belge d’informer les témoins belges appelés à témoigner aux Etats-Unis, dont l’ex-juge d’instruction, l’enquêteur principal de la police judiciaire belge et l’expert en explosif du Ministère de la défense, de ce que ce qu’ils contribueraient, ce faisant, à la violation du principe non bis in idem ;

-          ordonne l’indemnisation de Nizar Trabelsi pour ses années de détention aux Etats-Unis, passées et à venir, à hauteur de 10.000 € par an, soit déjà près de 100.000€ ;

-          condamne l’exécutif belge à indemniser Nizar Trabelsi pour l’incapacité permanente subséquente à son extradition illégale et à prendre en charge ses frais médicaux ;

-          ordonne enfin dans une décision absolument inédite à l’exécutif belge de solliciter le retour de Nizar Trabelsi sur le territoire belge.

 Pour mettre effectivement fin à la détention inhumaine de Nizar Trabelsi, il existe une solution simple suggérée par les juges américains. Il suffit que le Ministre de la justice confirme enfin officiellement que son extradition a été refusée pour les faits déjà jugés en Belgique. Cette confirmation, seule conforme au droit, mettrait fin aux poursuites américaines et redonnerait à Nizar Trabelsi l’espoir de revoir un jour la lumière du jour.

Pour limiter les sommes que le contribuable belge doit débourser à cause des fautes graves, manifestes et répétées du Ministère de la justice, l’exécutif adoptera-t-il enfin le seul comportement raisonnable et respectueux des droits fondamentaux dans cette affaire ou continuera-t-il de faire payer à la population belge le prix de ses exactions et de ses intolérables manquements moraux et juridiques ? La balle est dans le camp des politiques.

Les conseils belges de Nizar Trabelsi,

Me Christophe Marchand                                                                              Me Dounia Alamat

Cabinet JUSCOGENS                                                                                    Cabinet V3avocats

+32(0)486 32 22 88                                                                                         +32(0)484 65 13 74

[1] Center for Constitutional Rights, Allard K. Lowenstein International Rights Clinic, Yale Law School, “The Darkest Corner: Special Administrative Measures and Extreme Isolation in the Federal Bureau of Prisons”, 14 septembre 2017, https://ccrjustice.org/sams-report : “SAMs are the darkest corner of the U.S. federal prison system, combining the brutality and isolation of maximum security units with additional restrictions that deny individuals almost any connection to the human world. They prohibit prisoners who live under them from contact or communication with all but a handful of approved individuals, and impose a second gag on even those few individuals. The net effect is to shield this form of torture in our prisons from any real public scrutiny. The report, the first to focus on SAMs, attempts to shed light on this little-known practice.”

[2] ONU, 16 Dec 2020, United States of America, JAL, USA 29/2020 - https://spcommreports.ohchr.org/

[3] ONU, 16 Dec 2020, Belgium, JAL, BEL 2/2020 - https://spcommreports.ohchr.org/

[4] ONU, 25 Feb 2022, United States of America, JAL, USA 1/2022 - https://spcommreports.ohchr.org/




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