Procès des attentats de Bruxelles : « Madame la présidente, donnez-nous un peu d’espoir »

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« Madame,vous nous avez convaincu de collaborer à ce procès. Nous l’avons fait. Vous vous êtes opposée aux boxes en verre dans lesquels on voulait nous enfermer pendant toute sa durée. Vous avez été plus forte que les boxes. Après tous ces mois, le parquet fédéral ne fait aucune distinction entre nous. Il demande la perpétuité pour tout le monde. Je vous demande de vous y opposer. Donnez-nous un peu d’espoir ». 

Ce sont les mots de Salah Abdeslam après que les procureurs antiterroristes (le parquet fédéral) ont demandé, à toute vitesse, après près d’un an de débats, une triple peine : la perpétuité pour six des huit accusés, la mise à disposition pendant quinze ans au tribunal d’application des peines et la déchéance de la nationalité. 

Après le réquisitoire du parquet fédéral, j’ai vu ces accusés, mais aussi leurs avocats, hommes et femmes, de la défense épuisés, abasourdis par ce discours, certains avaient les larmes aux yeux. Plusieurs parmi eux n’avaient plus l’intention de plaider une dernière fois. Tout avait été dit. Mais ils et elles l’ont fait comme dernier salut à leurs clients. Et pour répéter cette phrase, comme un rappel aux jurés: « Nous les fréquentons depuis des années, nous les connaissons mieux que quiconque, mesdames et messieurs, ce sont des humains, ce sont des êtres humains comme vous et moi ». Et ils et elles ajoutent des phrases pour chacun : « J’aimerais que vous connaissiez ce petit gars de Molenbeek ». « J’aimerais que vous connaissiez cet homme qui veut écrire un livre pour les jeunes des quartiers, pour qu’ils ne commettent pas les mêmes erreurs que lui ». « J’aimerais que vous connaissiez cet homme qui remercie ses avocats, et que je veux remercier pour m’avoir permis de le connaître et de le défendre ». « Nous n’avons qu’une seule vie. Mon client a déjà été condamné à la perpétuité. En demandant encore une peine à perpétuité, vous ajoutez une éternité à l’éternité. Cela frôle l’absurde ». « Ne retirez pas l’humanité de mon client, c’est un humain, avec une vraie histoire. » « Dans sa volonté de vouloir changer le monde, de manière erronée certes, il fait partie de nous. »« Nous sommes tous des êtres humains logés sur le même paquebot, certains sont logés aux étages supérieurs, d’autres se retrouvent dans la cale, en bas, dans le noir. Nous ne demandons pas que ceux d’en bas soient à l’étage supérieur mais qu’ils puissent remonter d’un étage. Contrairement au parquet fédéral qui ne veut que les jeter à la mer. »

« Ce sont des humains »

Phrase terrible quand on y réfléchit. On est arrivé à un tel point de déshumanisation et de déni de d’humanité, qu’il faut argumenter qu’il s’agit bien d’êtres humains, et non pas d’objets ou de déchets jetables. Non, pour le parquet, il ne s’agit pas de rechercher la paix, la réconciliation, des moyens de réparation, de se retrouver dans un rejet commun de l’horreur de la guerre aussi bien de notre côté que du leur. Pas question d’essayer de retisser les liens pour reprendre le magnifique nom d’une association de victimes des attentats. Ce qui a fait dire à la défense que le parquet veut un trophée à accrocher à son mur, et, en y ajoutant la déchéance de la nationalité, même le scalp des accusés. Pas question de tenir compte de la condamnation, déjà la plus sévère possible pour certains accusés, prononcée à Paris. Pas de nuances, pas de circonstances atténuantes. Aucune. Pour personne. Pour les procureurs, c’est comme si ce procès n’a pas eu lieu : pas un brin d’espoir à l’horizon. Ces personnes doivent être condamnées à la mort sociale.

Et nous ?

Nous souhaitons qu’il y ait plus d’humanité dans ce monde. Mais quand il s’agit des accusés des attentats terroristes, on n’entend que des propos inhumains allant de l’exécution par l’enterrement vivant jusqu’à la pendaison. Quand j’ai regardé le reportage à la télévision le soir de cette journée, c’était comme si nous n’avions pas assisté au même procès. Je ne m’attends pas à de l’empathie envers les condamnés de la part de la presse. Mais les téléspectateurs mériteraient un résumé honnête des débats, des arguments des uns et des autres. Ça ferait un peu d’éducation populaire contre la polarisation qui est le signe des temps actuels. On pourrait apprendre quelque chose. Au lieu de ça, prudence ! Pour les journalistes, il y a toujours la peur d’être taxés de sympathie envers les condamnés et il n’y a pas de volonté de résumer correctement le sujet abordé. Quand il s’agit des propos du parquet fédéral et de la défense concernant la peine, les seules parties ayant juridiquement droit à la parole sur cette question, la presse arrive à résumer les positions de la défense en quelques lignes pour ensuite interviewer un membre et un avocat des parties civiles pour contredire tout ce que la défense a dit. C’est ça le climat qui entoure ce procès. 

Un procès où en tant que membre du public, après les fouilles, vous êtes correctement et gentiment accueillis dans les anciens bâtiments de l’OTAN par lesmembres de la police et du G4S. Même chose à l’intérieur où la présidente gère les débats de manière correcte et humaine. Puis il y a l’abîme. L’abîme entre nous et eux, séparés par du plexiglas, surveillés par des policiers cagoulés, postés derrière eux en permanence, menottés à chaque pause. S’ils osent une fois rire entre eux, à ces rares occasions où ils sont ensemble, c’est signalé comme un signe de mépris pour les victimes. Des hommes réduits à la vie nue. C’est notre monde contre le leur. C’est le monde innocent contre le monde méchant. Le bien contre le mal. Il n’y a que les avocats de la défense, quelques experts, quelques membres de la famille, quelques témoins et même quelques victimes qui ont essayé de créer un pont entre eux et nous.

Le réquisitoire

Pour rappel : tous ceux qui ont tué à Paris ou à Bruxelles sont morts. Ils se sont faits exploser ou ont été exécutés sur place. Ceux qui se trouvent sur le banc des accusés se sont ou bien retractés de passer à l’acte au dernier moment, étaient en prison au moment des faits ou sont accusés d’avoir apporté une aide logistique aux terroristes.

Pour ceux qui se trouvent sur le banc des accusés, le réquisitoire du parquet se partage en trois parties.

D’abord, « il s’agit d’envoyer un message de défense de « nos valeurs et de nos institutions démocratiques belges et européennes ». Les accusés ont fait trembler toute la société, il s’agit de la protéger. Les condamnations doivent servir comme exemple. Il s’agit de faire droit aux victimes et à l’opinion publique qui ne pourra pas comprendre une sanction plus légère. »

Après les attentats de Paris, la Belgique a été fortement critiquée pour son laxisme en matière de lutte contre le terrorisme. Pour les procureurs, grâce à ce procès la Belgique peut démontrer que notre pays n’est pas moins sévère que la France. Ensuite, en rejetant toute référence aux deux décennies de guerre dont ces jeunes accusés sont le produit, en insistant uniquement sur leur responsabilité et personnalité individuelle en dehors de tous les chocs et horreurs sociétales qui ont traversés le monde depuis, les procureurs ne font de ce procès qu’un prolongement de la guerre antiterroriste. Un dernier coup fatal contre ceux qui ont osé nous attaquer. En ce qui concerne les victimes, les procureurs ne peuvent pas se déclarer porte-parole des victimes. D’abord parce que l’État qu’ils représentent ne s’est pas occupé des victimes comme il le fallait, comme l’ont souligné plusieurs d’entre elles lors de leur témoignage et parce que, contrairement aux procureurs, toutes les victimes ne sont pas des partisans de la loi du talion. Même chose pour la sainte opinion publique. C’est vous, vos institutions, votre presse qui forment et déforment l’opinion publique, qui n’est pas homogène. Une partie de cette opinion publique a d’ailleurs été touchée par les témoignages des victimes qui ne demandaient pas la vengeance ou la haine, mais réparation et justice.

Ensuite le parquet s’est opposé à toute circonstance atténuante.

« Si l’accusé x s’est retiré de commettre un attentat, ce n’est pas par refus de tuer les autres, mais parce qu’il ne voulait pas se tuer lui-même. C’est par lâcheté… La perpétuité serait disproportionnée pour 35 morts ? Vous êtes sérieux ? …Il est passé aux aveux ? C’est qu’il n’avait pas le choix… Il n’est pas passé aux aveux ? C’est une circonstance aggravante… B. n’est pas passé à l’action pour des raisons religieuses ? Ça n’a aucune importance… C. a montré de la sincérité, de la transparence, une prise de conscience ? C’est du cinéma. Je ne lui fais confiance… D. a présenté des excuses aux victimes ? C’est sincère ? Il est quand-même resté avec ses amis… E. connaissait les effets de l’attentat à Paris, Y a vécu un génocide en tant qu’enfant ? Malgré cela ils ont participé par fidélité à leurs amis… F. est revenu handicapé après son séjour en Syrie, ce serait une circonstance atténuante ? On rigole ou quoi ? Demandez l’opinion des victimes. Pour lui, les victimes n’étaient que des chiffres ». 

Il s'agit d’un discours particulièrement humiliant et dégradant. D’abord, les accusés ont refusé de demander des circonstances atténuantes. Ils ne demandent qu’un jugement correct et proportionné, tenant compte de tous les éléments avancés dans ce procès. Comme a dit une avocate : « ce que vous avez dit sur mon client qui a une prothèse est indécent. Il n’a pas demandé des circonstances atténuantes. Vous vous moquez de son handicap et en le mettant en balance avec les victimes, vous appliquez la loi du talion. »

Enfin, les procureurs antiterroristes ont parcouru le profil psychiatrique des accusés. Des rapports d’expertises qui n’ont parfois duré que 20 minutes, ils n’ont sorti que les points qui pourraient encore noircir le profil de ces jeunes. « Un danger social, antisocial, taiseux, brute, impulsif, narcissique, paranoïaque, radicalisé, identitaire, absence de sentiments, troubles socio-pathologiques... ».

Ainsi, la messe est dite, mais ne me dites pas qu’elle est dite pour honorer la mémoire des victimes.








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