Abdelkader Belliraj, l’isolement carcéral tue à petit feu
par Luk Vervaet, 3 octobre 2021photo France24.com
Samedi passé, la femme d’Abdelkader Belliraj a lancé un
appel à l’aide après que son mari, incarcéré au Maroc, s’est effondré pendant
qu’elle lui parlait au téléphone. « J'entendais l'impact de la chute,
le téléphone qui tombait, le bruit des gardes qui arrivaient vers lui, puis
plus rien. Après plusieurs appels téléphoniques, j'apprenais qu'il avait perdu
connaissance un moment, qu'il a été vu par le médecin ou l'infirmière de la
prison et qu'il est revenu à sa cellule ». Et elle ajoute « Je
retire de nouveau la sonnette d'alarme sur l'état de santé de mon mari qui se
dégrade de jour en jour sous un silence incompréhensible de la part de ceux qui
sont sensés défendre le dossier. L'urgent pour le moment est que mon mari soit
ausculté par un vrai médecin qui demande un bilan de santé complet. Mon mari
est complètement carencé vu la malbouffe de la prison. Notre avocat au Maroc,
Maitre el jamaï, a promis de lui envoyer un médecin externe qui s'occupera de
son état et lui fera faire un bilan complet ».
Abdelkader Belliraj est actuellement enfermé à la prison d’Oudaya à Marrakech (photo). Depuis près de deux ans, à cause de la crise sanitaire COVID, Il n’a reçu aucune visite. Il est Belge, mais il n'a bénéficié d'aucune assistance ou visite consulaire belge. Malgré les appels à l’aide de sa femme ou des organisations comme Human Rights Watch, il continue à être enterré vivant. Sa situation sur le plan psychologique est devenue critique. Selon des témoins, il souffre d’une perte dramatique de la mémoire et de la capacité de se concentrer, d’insomnies, de troubles alimentaires, et j’en passe. Ce sont les effets de l’enfermement en isolement prolongé bien connus qu’on peut retrouver dans chaque étude scientifique sur le sujet.
Catégorie A et l’américanisation des prisons marocaines
Le Belgo-marocain Abdelkader Belliraj a été condamné à la
perpétuité au Maroc. Il y est soumis depuis des années à un isolement total, vu
qu’il est classifié dans la catégorie A, « détenus dangereux, terroristes… ». Cette nouvelle classification des prisons et
des prisonniers en catégorie A,B, C, date d’il y a une dizaine d’années quand Mohamed
Salah Tamek a été nommé en tant que délégué général à l’administration
pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) au Maroc. Avec lui, une
transformation en profondeur du système carcéral s’est mise en marche. Un
tournant au niveau carcéral marocain s’imposait, la situation étant devenue
intenable : explosion du nombre de détenus (un pic de 80.000 prisonniers !),
corruption généralisée du haut en bas, torture et maltraitances en chaine,
vétusté des bâtiments, manque de nourriture et de produits de base pour les
détenus dans des cellules surpeuplées.
Pour maitriser la situation, Tamek annonce que le Maroc va,
ce sont ses propres mots : « américaniser les prisons ». Fini la
corruption, la violence incontrôlée, le surpeuplement. Transparence, humanisation
des espaces de détention, organisation de nouvelles activités (sportives et
culturelles), amélioration de la nourriture servie, augmentation de l’espace
dédié à chaque détenu et limitation des cas de récidive... Si on
regarde de plus près, derrière les belles déclarations humanistes qu’on entend
partout dans le monde pour justifier les projets de modernisation des prisons, se
cache avant tout une opération sécuritaire à l’américaine. Par la construction
de nouvelles prisons. Par le financement et la formation du personnel par les
experts américains (et européens). Par la classification des détenus, pas seulement
par genre ou par âge, pas par leur comportement en prison, mais selon leur étiquette
de « dangerosité ». Fini aussi « la gouffa », ce panier-repas remis
par les familles aux détenus et considéré comme principal cheval de Troie pour
introduire des produits illicites derrière les barreaux, remplacée par la privatisation
des services au sein des prisons. Enfin, cette américanisation des prisons
ne touche en rien les causes sociales de la délinquance ou de la criminalité,
c’est-à-dire la pauvreté, les inégalités, le manque d’éducation, de soins,
d’emplois décents, ni le système policier et judiciaire impitoyable envers les
pauvres et les opposants.
Conséquences d’un isolement prolongé pour un détenu de plus de cinquante ans
Abdelkader Belliraj a 64 ans. Dans une étude américaine, des
scientifiques ont analysé les effets particulièrement dangereux de l’isolement prolongé
pour les personnes au-dessus de 50. On peut y lire que « l’enfermement
en isolement peut provoquer toutes sortes de troubles psychologiques
irréversibles tels que : l’anxiété, des hallucinations, le rejet de la société,
une tendance à l’agressivité, la paranoïa, des dépressions profondes et même
des comportements suicidaire… A long terme, le confinement solitaire met la
santé physique et mentale des personnes plus âgées en danger, parce que ces
personnes souffrent souvent de plus de problèmes de santé chroniques, comme les
maladies de cœur, la maladie d’Alzheimer, le diabète ou des problèmes
broncho-respiratoires… 73% des prisonniers au-dessus de 50 ans souffrent d’au
moins une de ces maladies chroniques. Pour eux, l’enfermement solitaire est
particulièrement dangereux ». Selon le Dr. Brie Williams de l’Université
de Californie, le confinement solitaire de personnes plus âgées risque de
développer ou d’aggraver les maladies chroniques : « – le manque de
lumière naturelle et de soleil peut causer de sérieuses déficiences en vitamine
D et augmenter le risque de fractures osseuses ; – le manque de stimulation
sensorielle dû au confinement prolongé dans une chambre vide peut détériorer la
santé mentale et conduire aux pertes de mémoire ; – les limites extrêmes
imposées à la mobilité corporelle par le manque d’espace ne peuvent que
détériorer le corps privé d’exercice. »[1]
On peut affirmer que l’isolement prolongé, en particulier pour les personnes
plus âgées, est une forme de torture, tuant à petit feu un être humain au niveau
physique et psychologique. Une vérité scientifique qu’on ne trouvera pas dans
les cours donnés par les formateurs américains au Maroc.
Lors de son procès...
photo dhnet
L’affaire Belliraj, un procès inique dénoncé par tous les
observateurs
L’affaire Belliraj a commencé en 2008, lorsque le ministre
marocain de l'Intérieur de l'époque annonce en grande pompe le démantèlement, par
l'arrestation de 35 hommes, d’une des organisations terroristes « les
plus dangereuses dans l’histoire du Maroc ». Le dirigeant du réseau
serait Belliraj. Le procès monstre a eu lieu en 2008-2009 devant la Cour
antiterroriste à Rabat avec comme liste de charges : « atteinte à la
sécurité intérieure du pays, formation d'un groupe criminel visant à préparer
et à commettre des actes terroristes, transport et détention d'armes à feu,
falsification de documents officiels, don et collecte de fonds dans l'exécution
de projets terroristes, vols multiples et blanchiment d'argent ». Mais
dans les charges il n’y a aucun acte terroriste ou élément concret, ni contre
Belliraj, ni contre ses 34 coaccusés, dont cinq dirigeants politiques et un
journaliste d’Al Manar TV.
Le déroulement de ce procès a été condamné de façon unanime,
qu'il s'agisse des observateurs de l'ambassade américaine ou belge à Rabat, des
organisations de droit de l'homme comme Alkarama, de la sûreté de l’État belge,
ou d’un journaliste de La Libre.[2]
Le 6 août 2009, Wikileaks de Julian Assange dévoilait un courrier de
l’ambassadeur américain à Rabat, Jackson, dans lequel ce dernier s’inquiétait
sur le respect des droits de l’homme au Maroc dans le procès contre Abdelkader
Belliraj : « Les preuves contre tous les accusés ne se basaient
que sur les déclarations des prévenus à la police ».[3]
Violette Daguerre de la Commission arabe des Droits Humains qui a assisté au procès, écrivait dans son
rapport : « La Cour n'est pas parvenue, malgré un an et demi d'audiences
successives, à prouver une quelconque accusation à l'encontre de ces prisonniers,
dont M. Abdelkader Belliraj ». Comme l’affirmait encore récemment
Human Right Watch : « Plusieurs accusés, dont Belliraj, ont
déclaré avoir été enlevés et avoir passé des semaines au secret, alors qu'ils
étaient interrogés et torturés dans des postes de police. Tous les accusés ont
déclaré avoir été soit physiquement contraints, soit amenés à signer de faux
aveux, qui ont ensuite été utilisés comme principale preuve contre eux. Ni le
tribunal de première instance, qui les a tous condamnés en 2009, ni la cour
d'appel, qui a confirmé les condamnations en 2010, n'ont enquêté sur leurs
allégations de torture. Leurs peines allaient de la prison avec sursis à la
prison à vie »[4].
Innocenté et fin des poursuites en Belgique, mais rien ne change
Dans leur élan, les interrogateurs et tortionnaires
marocains de la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire) se sont
dépassés. A la consternation de tous, ils ajoutaient à la liste d’aveux obtenus
de Belliraj son aveu d’avoir commis six meurtres politiques pendant les années 1980,
non-élucidés en Belgique (!), ainsi d’un vol à Casablanca pour lequel d'autres
avaient déjà été jugés et condamnés. Aux enquêteurs belges qui ont interrogé
Belliraj en prison au Maroc en 2008 et encore en 2010, Belliraj dira ce qu’il
avait déjà dit au juge d’instruction Chentouf qui, selon ses habitudes bien
connues, n’avait pas voulu l’écouter : « Tout est faux. J’ai été
torturé pendant deux mois, pendu aux pieds, violé avec un baton. J’ai dû signer
des déclarations les mains liées et les yeux bandés ». Et il cite même
le nom d’un de ces tortionnaires, le colonel Ouazzani. Après enquête approfondie,
le parquet fédéral à Bruxelles rend son rapport définitif en 2015. Il constate
que l’enquête belge n’a pas permis de confirmer les « aveux » de
Belliraj. Ceux-ci contiennent des éléments qui ne correspondent pas à la
réalité, ni sur les armes utilisées, ni sur les lieux. Et « qu’aucun
élément à charge ne peut être retenu à charge des personnes qui sont dénoncées
par Belliraj ». Le parquet ne se prononce pas sur la torture décriée
par Belliraj, mais suggère néanmoins sa forte probabilité : « Les
détails qu’il donne à propos des traitements qu’il a subis seraient de nature à
donner du crédit à ses allégations, ou en tout cas, sont interpellant ».[5]
En 2020, un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles met une fin définitive à l’affaire
des six meurtres, en déclarant « l’action publique éteinte par la
prescription pour la totalité des infractions mises à charge des inculpés
Abdelkader Belliraj et « X ».[6]
Pour quand une réaction du monde politique belge ? Pour
quand une interpellation parlementaire ne fût-ce que pour demander son
transfert en Belgique ? La ministre Sophie Wilmès avait dénoncé la
condamnation de l’opposant Navalny en Russie à « deux ans et huit mois
en colonie pénitentiaire, en indiquant que la réponse européenne devra
prendre la forme d'un "message fort" du Haut représentant Josep
Borrell lors de sa prochaine visite à Moscou »[7].
Lors de leurs prochaines visites au Maroc, la diplomatie
belge enverra-t-elle un même message fort au Maroc concernant Abdelkader
Belliraj ? Rien n’est plus sûr.
[1] “Aging
Alone: Uncovering the Risk of Solitary Confinement for People Over 45”, UNE
ÉTUDE AMÉRICAINE MONTRE QUE L’ENFERMEMENT EN ISOLEMENT MET LA SANTÉ PHYSIQUE ET
MENTALE DES PERSONNES AU-DESSUS DE 50 ANS GRAVEMENT EN DANGER. http://supermax.be/une-etude-americaine-montre-que-lenfermement-en-isolement-met-la-sante-physique-et-mentale-des-personnes-au-dessus-de-50-ans-gravement-en-danger/
[2] http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.com/2013/10/le-proces-belliraj-en-belgique-appel-la.html
[4] http://supermax.be/morocco-abdelkader-belliraj-3-years-in-abusive-solitary-detention-sentenced-to-life-in-2009-unjust-mass-trial/
[5] Parquet
fédéral Bruxelles, le 14 janvier 2015, Conclusions du Ministère public
[6] Arrêt
2020/4659 Cour d’appel de Bruxelles, Chambre de mises en accusation
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