Opinion - JUSTICE SURPOPULATION DANS NOS PRISONS

(Dans La Libre Belgique des 24-25 décembre 2008)

Le sécuritaire a tout faux. Plutôt que d’augmenter les prisons, il faut revoir les pratiques de la détention provisoire et des prononcés des peines et favoriser les sanctions non privatives de liberté.

Daniël DARIMONT et Luk VERVAET
Respectivement directeur de prison retraité et enseignant en milieu carcéral

A l’heure où nous nous attelons à la rédaction de cette opinion, le Conseil de l’Europe prononce une sentence sans détour : la surpopulation des prisons belges est inacceptable.
Nous le pensons aussi.
La réalité dumonde carcéral intéresse peu le grand public. Le sujet traverse notre actualité dans l’indifférence générale. Mais, aujourd’hui, alors que nous fêtons les 60 ans des Droits de l’homme, nous avons des prisons qui nous font honte, qui nous replongent au Moyen-Age. A l’aube du XXIe siècle, nous avons encore des prisons sans sanitaire dans les cellules. Les détenus y vivent à deux, plus souvent à trois. 23 heures sur 24. Ils sont obligés d’uriner, de déféquer dans un sceau hygiénique devant leurs compagnons. Cette condition est dégradante, indigne denos pays “civilisés”.
Avez-vous regardé le JT de la RTBF le mercredi 10 décembre dernier ?Un sujet y évoque la visite de sénateurs à la prison deForest.Cette visite démontre la situation désastreuse de cette prison. Avez-vous visionné le reportage de la chaîne de tv TV Oost-Vlaanderen, ce 28 novembre ? La réalité de la prison de Termonde nous y apparaît toute aussi catastrophique. Au nord, comme au sud du pays, le même constat s’impose, la surpopulation des prisons est le fléau contre lequel il nous faut nous mobiliser si nous voulons rendre à la prison sa part d’humanité. Notre parc pénitentiaire dispose d’environ 8350 places. Il y a près de 10000 détenus. En découlent des cellules surchargées. Des médecins, des assistants sociaux, des visiteurs de prison débordés. Des directeurs croulant sous la charge administrative. Mais, à côté de cela, des agents pénitentiaires en sous-effectif. Et des éducateurs en dose homéopathique. A la prison de Lantin, par exemple, il n’y a que trois éducateurs pour près deneuf cents détenus.
A l’heure des visites, certaines familles se voient refuser l’entrée parce les parloirs ne sont pas prévus pour accueillir tant de monde. Essentiellement, trois facteurs mènent à cette surpopulation constante : un nombre important de détentions préventives, des libérations conditionnelles en perte de vitesse et un allongement des peines prononcées par les magistrats. Or, comme le précise le Comité européen pour la prévention de la torture, “dans de telles circonstances, investir des sommes considérables dans le parc pénitentiaire ne constitue pas une solution. Il faut, plutôt, revoir les législations et pratiques en vigueur en matière de détention provisoire et de prononcés des peines, ainsi que l’éventail des sanctions non privativesde libertédisponible”.
D’aucun répondront certainement que ce sont “que” des détenus, qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent. Si nous sommes convaincus qu’un délit doit être punit, nous ne pouvons pourtant partager cette analyse. Un homme reste un homme, quoi qu’il ait fait. Un homme a droit à unminimumde respect. Il a droit à reprendre une vie correcte après avoir purgé sa peine. Et nous avons notre responsabilité de citoyen dans la préparation de cette réinsertion. Parce que la prison ne produit pas la réinsertion attendue, il est urgent d’envisager des alternatives à la privation de liberté telle qu’elle est opérée aujourd’hui. Agir sur la réinsertion, c’est agir sur la sécurité de demain. Formations qualifiantes, locaux adaptés, travail mieux rémunéré, entretien du lien familial, accompagnements pré et post-libératoires, autant de dimensions à prendre en considération et à développer pour que demain, pour le bien collectif, cette réinsertion ait une chance d’aboutir et quelle devienne enfin la clé de voûte d’un équilibre que le détenu aura eu déjà tant de mal à identifier et à atteindre.
Parce que les formations peinent à se développer. Parce que les éducateurs travaillent dans des conditions difficiles. Parce que les locaux mis à disposition pour les cours sont réduits auminimum, la réinsertion des détenus est un véritable parcours du combattant, tant pour le détenu que pour le personnel encadrant. Les budgets alloués à la réinsertion sont une goutte d’eau dans l’océan de l’univers carcéral.
Leministre démissionnaire Vandeurzen a plaidé pour un élargissement du parc pénitencier. Dans son “Masterplan 2008-2012”, sa réponse à la surpopulation est la création de 2500 nouvelles places en prison. Qui, assurément, seront remplies en moins de temps qu’il ne faudra pour le dire. Et l’enfer recommencera. Des sommes considérables seront englouties dans la construction de ces bâtiments. Gageons que si ces mêmes sommes étaient engagées dès maintenant dans une réflexion et une mise sur pied d’alternatives à l’enfermement, en commençant par la prévention, des résultats en terme de baisse de population carcérale seraient significatifs. Mais tant que les responsables politiques ne réaliseront pas que le discours sécuritaire qui engendre une politique de répression et d’enfermement ne mènera qu’à davantage de sécuritaire précisément, nous aurons à livrer bataille à l’asphyxie généralisée de nos prisons.

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