L’État belge empêche le mariage de Nizar Trabelsi, prévu pour le 23 septembre



par Luk Vervaet 21 septembre 2013

Cette fois ci, tout était pourtant en ordre.
Malgré tous les efforts et pressions du parquet fédéral de présenter, sans aucune preuve, l'intention de Nizar Trabelsi de se marier comme une nouvelle « opération terroriste »1, la commune d'Ittre avait tenu bon.
Fin août 2013, après plus de deux ans de combat au niveau administratif en Belgique, en Allemagne et en Tunisie, les démarches pour pouvoir se marier légalement en Belgique, avaient enfin abouti. Tous les documents étaient en ordre. La commune d'Ittre, responsable pour les mariages dans la prison se trouvant sur son territoire, avait donné son accord pour que le détenu Nizar Trabelsi puisse se marier. L'officier de l'État civil avait accepté de célébrer le mariage à la prison et non à la maison communale. La commune s'était mise d'accord avec la prison pour la date de la cérémonie, fixée au 23 septembre à 10 heures.

En tant qu'un des deux futurs témoins à ce mariage, j'avais déjà préparé mon costume. J'avais fait une copie supplémentaire de ma carte d'identité et de mon certificat de bonne vie et mœurs, au cas où... On ne se sait jamais de quel document ils auraient encore besoin au moment où je me présenterais à la prison.
Transfert
Mais voilà que deux jours après cette heureuse annonce, tout espoir s'est à nouveau effondré. Nizar Trabelsi est pour la énième fois transféré. Cette fois-ci, à la prison de Bruges.

Ce nouveau transfert est choquant pour plusieurs raisons. Son transfert vers une prison néerlandophone a déjà été dénoncé dans le passé par Maître Nève, parce que M. Trabelsi est francophone. Tout comme les transferts en chaîne dont fait l'objet Nizar Trabelsi, qui ne sont qu'une peine supplémentaire pour ce détenu visant à le déstabiliser et l'isoler au maximum. Pour la seule période de 2011 à 2013, les transferts de Nizar Trabelsi sont les suivants : de la prison de Ittre à la prison de Bruges, de Bruges à Nivelles, de Nivelles à Bruges, de Bruges à Ittre, d’Ittre à Bruges, de Bruges à Hasselt, de Hasselt à Lantin, de Lantin à Ittre et enfin, depuis fin août 2013, d’Ittre à Bruges.

On peut imaginer l'état psychologique (et physique) d'un détenu qui subit ce régime, et les conséquences sur ses relations familiales. La plupart du temps, ces transferts sont suivis d’un régime de mise en observation pendant un certain temps, puis par l'imposition d'un régime d'isolement ou un régime spécial, limitant ses activités en prison ou ses contacts sociaux. Régime imposé, non à cause de son comportement en prison, mais uniquement sur base de sa catégorie administrative de terroriste.
Mais le plus important est que ce transfert-ci arrive deux jours après l'annonce du plan de mariage, qui, dès lors, ne pourra pas avoir lieu. Toutes les démarches administratives sont à recommencer, cette fois, à la ville de Bruges, avec comme risque qu'à la fin de cette nouvelle procédure, il soit à nouveau transféré vers une autre prison.

Raison de son transfert d’Ittre à Bruges ? Aucune. Ni la direction de la prison d'Ittre ni naturellement le détenu n'avaient demandé ce transfert, qui n'est qu'arbitraire. Et qui dit tout sur la manière dont l'État belge et son administration pénitentiaire règlent leurs problèmes. Voyez-vous, nous n’interdisons pas le mariage d'un détenu, ce qui serait contraire à la loi : on le rend tout simplement impossible.

Suite à ce nouveau transfert, j'ai adressé un courrier à la ministre Turtelboom, le 8 septembre, en lui demandant de recevoir la future épouse de monsieur Trabelsi et moi-même en vue d'un entretien pour que le mariage puisse encore avoir lieu. La réponse vint deux jours après : «c'est le tribunal d'application des peines qui est compétent pour se prononcer sur l'exécution de la peine de monsieur Trabelsi... C'est à la direction des prisons qu'il faut adresser votre demande... La séparation des pouvoirs interdit à la ministre d'intervenir dans des affaires qui concernent le pouvoir judiciaire » (sic).

Le 9 septembre, Maître Alexandre Château, avocat de Nizar Trabelsi, engage un procès en référé contre l'État belge (SPF Justice, direction générale des établissements pénitentiaires) pour obtenir le transfert immédiat de Trabelsi vers la prison d'Ittre pour que le mariage puisse encore avoir lieu à la date prévue. Il demande une astreinte de près de 3000 euros tant que l'État belge n'a pas effectué ce transfert. Mais le 18 septembre, le tribunal en référé décide de reporter l'affaire du mariage de Trabelsi au 30 septembre prochain. Soit une semaine après la date prévue pour le mariage. 
 
Pourquoi empêcher ce mariage ?
Il est clair que l'unique raison du dernier transfert de Trabelsi est d'empêcher son mariage. Rappelons une fois de plus que Nizar Trabelsi a purgé l’entièreté de sa peine depuis deux ans ! L'État belge ne veut pas être court-circuité dans sa procédure d'extradition de ce détenu de nationalité tunisienne vers les États-Unis en lui permettant de se marier avec une femme belge. Il est difficile de s'imaginer comment Nizar Trabelsi, après avoir passé 12 ans dans les prisons belges dans les conditions les plus extrêmes, après avoir été présenté comme l'ennemi public numéro un et l'homme le plus surveillé du pays, présenterait un danger terroriste pour notre pays. Par contre, ce mariage, qui lui permet, outre le fait d'avoir une épouse et de fonder une famille, d'avoir un domicile, une résidence et des liens en Belgique, risque en effet de mettre à mal la décision de la Belgique d'extrader Trabelsi.

La NSA et l'hypocrisie belge
Après les récentes révélations sur un cas d'espionnage américain au Brésil, la présidente brésilienne Dilma Rousseff a reporté sa visite aux États-Unis prévu en octobre prochain. Chez nous, la récente découverte de l'espionnage criminel par la NSA (National Security Agency, l'agence officielle américaine pour la sécurité), au nom de la lutte antiterroriste, de leur partenaires européens ou son hacking aussi criminel, depuis 2011, de l'opérateur téléphonique Belgacom ont suscité tout au plus quelques inquiétudes verbales. Tout en rassurant l'opinion publique que la protection de nos données personnelles allait être renforcée. On voit mal Di Rupo ou Reynders faire la même chose que Dilma Rousseff.
Les réactions belges étaient hypocrites parce qu'elles servent à cacher l'iceberg de la complicité belge dans cette même lutte antiterroriste américaine.

Pourquoi la Belgique, contrairement à d'autres pays européens, se doit-elle d'être le dernier pays, avec les Américains, à quitter l'Afghanistan en 2014, après 10 ans de participation à une guerre criminelle, injuste et perdue d'avance ? Pourquoi la Belgique était-elle parmi les premiers pays au monde à apposer sa signature sous un accord engageant la Belgique à transmettre aux États-Unis toutes les données ADN, empreintes digitales, données biométriques et biographiques de criminels et de terroristes potentiels dans notre pays (Belga, 20 septembre 2011). Pourquoi la Belgique se doit-elle d'extrader Nizar Trabelsi aux États-Unis ? Depuis quand une extradition est-elle justifiable quand il s'agit d'une extradition vers un pays qui pratique la peine de mort, qui a justifié et pratiqué la torture dans le cadre de la lutte antiterroriste, qui maintient toujours son camp à Guantanamo, déjà surnommé par Amnesty international en mai 2005 le « Goulag des temps modernes ». ? Pourquoi cette extradition belge quand les Assange ou Snowdon doivent trouver refuge chez d'autres pays pour échapper à leur extradition ? Pourquoi cette extradition quand la Belgique sait pertinemment bien que Trabelsi disparaîtra dans l'isolement total d'une de ces prisons de haute sécurité américaines dont il ne reviendra plus jamais. Soit parce qu'il est jugé coupable pour avoir eu un plan terroriste visant des intérêts américains, soit parce qu'il n'est pas jugé coupable, mais jugé tout simplement trop dangereux pour être laissé en liberté.
Dans un climat islamophobe et sécuritaire, dans une paralysie démocratique généralisée, ces questions sont devenues tabou. 
Ce sont pourtant ces questions qu’il s’agit aujourd’hui de se poser.
1Voir un extrait de l'arrêt de la Chambre du Conseil du Tribunal en première instance de Nivelles du 28 août 2013 qui avait à nouveau rejeté la libération de Nizar Trabelsi avec l'argument que celui-ci «.. est de nationalité tunisienne, qu'il a ni domicile, ni résidence fixe en Belgique ou ailleurs à l'étranger... Qu'il subsiste des indices qu'il a maintenu de liens avec le milieu du terrorisme islamique radical et qu'il est toujours susceptible d'en recevoir aide et appui. Son projet de mariage n'est pas de nature à dissiper ces craintes, au contraire, compte tenu des circonstances dans les quelles madame x est entrée en relations avec lui par l'intermédiaire de Madame Malika El Aroud, alias, Oum Obeyda, qui a été jugée pour avoir participé, en qualité de membre dirigeant aux activités d'un groupe terroriste de la communauté musulmane intégriste et pro djihadiste par arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 1 décembre 2010. » Il suffit de regarder le langage du procureur pour que tout fonctionnaire communal qui s'occupe de l'État civil attrape une crise et que le pays se met en alerte.

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