La vidéo choc d'Ali Aarrass : « odieuse tromperie » ou irréfutable preuve de torture ?


par Luk Vervaet 

Part one : Pourquoi la Belgique ne mérite pas son siège au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies



Le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU. Le Maroc en fait partie pour la période 2014-20161. La Belgique vient d'y être élue pour la période de 2016-2018.
Le 28 octobre 2015, le site de la diplomatiebelgium.be 2 nous communique la joie qui règne au gouvernement belge pour ce nouveau coup de force au niveau international : « une indication de la confiance internationale dans l'expertise et l'expérience de la diplomatie belge à l'ONU et ailleurs ».

Voici quelques extraits de ce communiqué.

« Le Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères Didier Reynders se réjouit de l’élection de la Belgique pour un mandat au Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies pour la période de 2016-2018...
Lors de son mandat de trois ans à Genève, la Belgique continuera de travailler sur des dossiers prioritaires comme la lutte contre l'impunité, l'abolition de la peine de mort, les droits de la femme, le droit des enfants et la liberté d'expression. Nous attachons une grande importance au rôle de la société civile, pour les institutions de l'ONU, dans les Etats membres de l'ONU et bien sûr en Belgique-même. Notre pays travaillera également à renforcer les institutions qui défendent les droits de l’homme sur le terrain, comme le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU et des organisations régionales telles que le Conseil de l'Europe ou l'Union africaine. La Belgique vise une action commune des États membres de l'UE et donne priorité au développement d'une diplomatie européenne des droits de l'Homme.
Pour Didier Reynders, il reste, dans le monde, une longue route à parcourir pour les droits de l'Homme. Ceci est une motivation pour engager notre pays pour les droits de l'homme dans une institution de l'ONU avec un mandat global, qui représente une référence cruciale pour les défenseurs des droits de l'homme partout dans le monde ». Pour ces derniers, et en particulier pour tous ceux et celles qui se battent depuis huit ans contre la torture du Belge Ali Aarrass au Maroc, ce discours de Reynders est tout simplement hallucinant. Jugez vous-même des paroles et des actes de la Belgique dans ce dossier : la Belgique mérite-t-elle sa place dans ce Conseil?


La Belgique et la torture : entre justification, déni et silence complice


Voilà des années que les preuves de la torture et de la maltraitance d'Ali Aarrass, ainsi que les confirmations onusiennes de sa torture, sont sur la table. 
Ali Aarrass a été torturé pendant sa garde-à-vue du 14 au 24 décembre 2010, après son extradition par l'Espagne au Maroc. De sa torture, il existe son propre témoignage et celui de l'avocat marocain, qui l'a rencontré dans sa cellule à la prison de Salé II, brisé physiquement et psychologiquement, après sa sortie des mains des tortionnaires de la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire). Sa plainte contre la torture, sous forme d'un document détaillé, a été déposée le 2 mai 2011 auprès des autorités marocaines3, qui l'ont immédiatement classé sans suite.
Le témoignage d'Ali Aarrass va pourtant être confirmé par Juan Mendez, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, dans son rapport de 2012. Après expertise médicale, Juan Mendez a conclu que les marques sur le corps d'Ali étaient compatibles avec ses allégations.4
Le 1 octobre 2013, les journaux Le soir et De Morgen, publient un article d'une page sur Ali Aarrass, montrant des dessins de sa torture.5
En décembre 2013, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire publie un communiqué de presse déclarant : « c'est sur la base d'aveux obtenus sous la torture que M. Ali Aarrass [...] a été condamné en novembre 2011 à 15 ans de prison ferme ». Plus tard, cette déclaration sera confirmée dans l'avis officiel des experts de ce même Groupe de travail.6
En mai 2014, Amnesty international choisit Ali Aarrass comme une des cinq personnes torturées, portant sa campagne contre la torture au niveau mondial.

Pendant toute cette période, quel que soit le gouvernement et quelle que soit la tendance politique des ministres en fonction, la position de la Belgique n'a pas changé.

Elle se caractérise par quatre éléments.

D'abord,la guerre contre le terrorisme mondial n'a pas seulement créé une politique guerrière en Belgique, jamais vue auparavant. Elle a aussi créé, au sein de la classe politique, des médias et de l'opinion publique belge un courant qui veut aller plus loin et qui veut mettre de côté les jugements de la Cour européenne des droits de l'homme ou les conventions contre la torture, conclus pendant la dernière moitié du siècle passé. Quand il s'agit de suspects de terrorisme, ce courant justifie, parfois ouvertement, la torture, le kidnapping, les extraditions illégales, les exécutions sommaires. Il suffit de reprendre des propos lors de l'extradition illégale de Nizar Trabelsi par la Belgique aux États-Unis en 2013, ou lors des exécutions de deux suspects de terrorisme à Verviers en 2015 pour s'en rendre compte. Ce courant trouve que les droits de l'homme ne valent pas pour les détenus ou suspects de
terrorisme. Ainsi, Monsieur Vanackere, ministre des Affaires étrangères de la Belgique avant Reynders, se permettait de dire à un député bruxellois : « je vous conseille de ne pas vous engager dans la défense d'Ali Aarrass, il s'agit d'un dossier terrorisme. » J'ai écrit sur ce thème dans le livre Guantanamo chez nous ?7 J'y reviendrai plus loin dans cet article.

Deuxièmement, il y a la position officielle de déni de l'existence de la torture chez nos alliés et États amis. Du déni aux louanges de leurs méthodes, il n'y a qu'un pas.
La position de déni a été exprimée à la Commission des Relations extérieures de la Défense en 2011. Le 7 juin 2011, Olivier Chastel (MR), à ce moment ministre du Développement, chargé des Affaires européennes, répond, au nom du ministre des Affaires étrangères, Van Ackere (CD&V), à une interpellation du sénateur Bert Anciaux 
sur la torture d'Ali Aarrass. Olivier Castel déclare : « À partir des dossiers sur lesquels mes collaborateurs travaillent, il n’est pas apparu jusqu’à présent que des prisonniers belges au Maroc ou dans d’autres prisons à l’étranger auraient été torturés.» Pire.
Du déni aux louanges, il n’y a qu’un pas.
Alors que les rapports, dénonçant les violations des droits de l'homme et la torture infligée aux inculpés dans les procès politiques au Maroc, s’entassent 8, des ministres belges font les louanges de « l'efficacité des services de sécurité marocains». Ainsi, en 2014,
Madame Joëlle Milquet, dans la presse marocaine et belge, présente le Maroc comme le modèle à suivre. Dans un article intitulé « Maroc-UE / Lutte contre le terrorisme : Rabat, partenaire clé de Bruxelles », Mme Milquet déclare : « Tout le monde connaît l'efficacité des services de sécurité marocains qui ont réussi à démanteler plusieurs cellules terroristes ces dernières années, et c'est pour cette raison que le Maroc a été invité aux discussions que mènent les pays européens sur la question des combattants étrangers en Syrie »9 . Et l'article poursuit : « La ministre s'est dite intimement convaincue que les pays européens peuvent tirer profit de l'expérience du Maroc dans le domaine de la lutte antiterroriste… La ministre belge a également insisté que le fait d'ouvrir les discussions à des pays clés comme les Etats-Unis et le Maroc est de nature à renforcer l'efficacité des pays européens en matière de lutte contre le terrorisme... Mme Milquet a indiqué que la situation rend la coopération nécessaire entre les deux parties pour prévenir ce phénomène avec des politiques de déradicalisation, de démantèlement des filières et d'échange d'information. »

Un an plus tard, le ministre de l'Intérieur Jambon (N-VA) s’engouffre dans la porte ouverte par son prédécesseur Milquet. Jambon pousse la « coopération nécessaire » à son comble en invitant la police marocaine à entrer dans les quartiers populaires de Bruxelles et d’Anvers pour y contrôler la population issue de l'immigration! « Les policiers marocains seront surtout engagés dans les quartiers qui font face depuis des années à des problématiques d'inégalité des chances, de prédicateurs radicaux et de candidats-combattants en Syrie. La police marocaine a une manière très différente d'aborder cela, qui donne visiblement des résultats », indique le cabinet du ministre de l'Intérieur, Jan Jambon (N-VA) après s’être rendu dans trois pays d'Afrique du nord, dont le Maroc. « C'est connu que nos agents ne réagissent pas toujours de la meilleure manière lors des interventions dans certains quartiers. C'est simplement culturel »10.
Jambon veut donc introduire « les manières culturellement très différentes » de la police marocaine en Belgique. Il s'agit ni plus ni moins que de l'introduction de l'apartheid en Belgique. La population belge sera dorénavant divisée en deux parties : celle surveillée et traitée à la belge et celle « culturellement différente », à la méthode marocaine !4 En attendant l'ouverture d'une prison pour Belgo-Marocains au Maroc proposée par Bart De Wever, allons-nous donc assister dans notre pays aux premiers kidnappings et tortures à la marocaine dès l'année prochaine ?

Troisièmement, et c'est l'élément qui caractérise le plus la position des autorités belges: la complicité dans la torture par le silence et le refus de réagir.

Quatrièmement, la première victime visée par cette politique est la communauté d'origine immigrée et les belges ayant la double nationalité. Ces derniers sont taxés d'être « des Belges entre guillemets » (Anne-Marie Lizin sur les détenus belges à Guantanamo) ou sont traités comme des citoyens de seconde zone, ne disposant pas des mêmes protections que les autres dit de souche. L'affaire Ali Aarrass a démontré qu'il s'agit d'un véritable racisme d'état. Un racisme moderne qui ne veut pas dire son nom, mais qui se cache derrière la question de la nationalité. 
Comment ce racisme institutionnel est vécue au sein de la population d'origine immigrée est exprimé dans une lettre de Khadija, une militante du Comité Free Ali :
«Dans son malheur, du fin fond de sa geôle au Maroc, Ali Aarrass a le mérite d’avoir mis à nu une réalité qui avait peut-être échappé à certains : l’existence concomitante d’une citoyenneté pleine et légitime d’une part, promise à ceux que l’on considère comme faisant naturellement partie du paysage national et d’une citoyenneté reléguée, de seconde zone d’autre part, réservée à ceux dont la présence et l’appartenance à ce pays sont constamment sujettes à caution. Comme si l’on n’était jamais assez Belge lorsqu’on a le malheur d’avoir certaines origines et pire, lorsqu’on possède un second passeport qui est alors perçu comme la preuve matérielle et tangible que l’on n’est pas tout à fait d’ici. Pas plus tard que le mois dernier, la proposition était faite de collaborer avec la police marocaine dans les quartiers dits sensibles de Bruxelles et d’Anvers, sans finalement que cela n’émeuve grand monde. Pourtant, la volonté de sous-traiter la gestion de certaines problématiques sociales au « pays d’origine » révèle une ethnicisation de ces questions de la part de nos dirigeants de même qu’elle dévoile un système de pensée qui fait du citoyen d’origine marocaine (en l’occurrence mais cela pourrait valoir pour d’autres origines) un citoyen à part qui nécessite un traitement particulier. C’est précisément en cela que le cas d’Ali Aarrass est probant dans le sens où il interroge l’égalité de droit de tous les citoyens belges. Il n’est pas seulement le combat des binationaux, belgo-marocains, face à un système judiciaire défaillant au Maroc. Il est aussi et surtout le combat de tous les Belges face aux inégalités structurelles qui frappent les uns et les autres ici, pour autant qu’on soit épris des valeurs de justice et d’égalité. En somme, il ne suffit pas d’afficher une apparente volonté de « diversité » et de « vivre-ensemble », des termes en vogue et tant galvaudés, pour que soit garantie le traitement égalitaire de l’ensemble des citoyens! »


Les images de la vidéo d'Ali Aarrass, montrant ses blessures et son témoignage à la prison de Salé II, rendues publiques lors d'une conférence de presse à Bruxelles 11, ont créé un choc dans l'opinion publique. Sur YouTube et Dailymotion 12 et sur des sites de différents journaux et organisations, les images de sa maltraitance, filmées à l'intérieur d'une cellule à la prison en 2012, deux ans après son arrivée au Maroc, ont été vues et partagées près de 100.000 fois.
La vidéo nous montre Ali Aarrass en short, torse nu, enfermé dans une cellule nue. Dans un cachot immonde. L'homme se soulève difficilement d'un morceau de tissu rayé, un semblant de matelas sur le sol. Il se tient à peine debout. Des bleus, traces de coups de matraques et/ou de coups de pieds couvrent son corps, son dos, sa poitrine, ses jambes, ses mains. Il a le visage gonflé, tuméfié. Ali Aarrass est à peine reconnaissable pour ceux et celles qui le connaissent. D'une manière calme et pesée, il réclame ses droits. Il dénonce les violences qu'il a subies ainsi que les auteurs de ces actes barbares, en nous montrant un papier avec leurs noms.
Après cette vidéo, Ali nous a tout donné. Il nous dit qu'il a subi le même traitement en 2011. Il sait qu'il s'expose à de nouvelles sanctions si ces images sortent de la prison. Il donne une leçon de courage à tous ceux qui disent que pour obtenir sa libération il ferait mieux de se taire, qu'il ferait mieux de disparaître dans l'anonymat. Il nous rappelle que sans briser le silence sur la torture, il n'y aura pas de changement. Après cette vidéo, personne ne pourra encore croire le déni officiel et systémique de l'existence de la torture et de la maltraitance, déni proclamé depuis près de huit ans de la part des autorités marocaines et belges.

Le traitement qu'Ali Aarrass a subi en 2012 constitue un acte de torture 

Bien qu'il ne s'agisse pas d'images de sa torture datant de 2010, on peut clairement définir le traitement qu'a subi Ali en 2012, comme étant de la torture.
L'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 stipule : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Ce qu'est la torture est explicité dans l'article 1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclue à New York le 10 décembre 1984 par l'Assemblée générale des Nations Unies :
« Aux fins de la présente Convention, le terme «torture» désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite... »
Pour surveiller l'application de cette Convention, l'assemblée de l'ONU a décidé de créer un Comité contre la torture. L'article 21 de la Convention prévoit la possibilité pour la Belgique, qui l'a signée le 4 février 1985 et qui l'a ratifiée le 25 juin 1999, de dénoncer le Maroc, signataire depuis le 8 janvier 198613, pour torture auprès de ce Comité : «  Tout Etat partie à la présente Convention peut, en vertu du présent article, déclarer à tout moment qu'il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications dans lesquelles un État partie prétend qu'un autre État partie ne s'acquitte pas de ses obligations au titre de la présente Convention. »

Le Ministère des Affaires étrangères de Belgique cache l'existence de cette vidéo depuis plus d'un an !

Le Ministère des Affaires étrangères de la Belgique a été parmi les premiers à être informé de l'existence de cette vidéo. La vidéo a en effet été projetée le vendredi 27 juin 2014 sur les murs de la salle d'audience du tribunal de la Cour d'appel à Bruxelles. En présence des avocats du Ministère de Monsieur Reynders, lors du procès en appel qui devait se prononcer sur le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 3 février 2014, obligeant le Ministère à accorder la protection consulaire pour Ali Aarrass.
La vision de cette vidéo, qui a contribué à ce que les juges accordent la protection consulaire à Ali Aarrass, n'a provoqué aucune réaction de la part du Ministère. En fait, si, il y a eu une réaction : le Ministère des Affaires étrangères a décidé de se pourvoir en cassation contre le jugement de la cour d'appel !
Personne ne pourra croire que Monsieur Reynders n'a pas été informé du déroulement d'un procès qu'il avait lui même entamé - et perdu. Personne ne pourra croire qu'il n'a pas été mis au courant de l'existence de cette vidéo, preuve accablante pendant ce procès. Mais même si c'était le cas, il y a toujours le journal Le Soir, dont il est un fidèle lecteur. Le journaliste du Soir, Baudouin Loos, était présent à cette audience et il écrivait dans un article le jour suivant 14: « On aurait entendu une mouche voler dans la salle d’audience ce vendredi matin à Bruxelles. La courte vidéo, sans son, projetée sur le mur arrière du tribunal glaçait les sangs : l’on y voyait Ali Aarrass, dans sa misérable cellule marocaine, hébété, sans forces, montrer à la caméra les ecchymoses qui par dizaines lui lardaient tout le corps. Le résultat de coups féroces assenés par des matons. Des images difficiles, qui datent de 2012. »

Un seul coup de téléphone, une seule note... sans mentionner la vidéo d'Ali Aarrass torturé

La Belgique, étant condamnée à « requérir de l’État du Maroc de permettre aux autorités consulaires au Maroc de rendre hebdomadairement visite à Ali pendant une période de six mois », et à payer « une astreinte de 100 euros par jour de retard si elle n'adresse pas cette demande dans le mois de la signification de l'arrêt », ne réagit pas à l'urgence signalée par la Cour de Bruxelles. Dans son jugement celle-ci dit pourtant d'une manière on ne peut plus claire qu'il y a urgence « l'intimé (Ali Aarrass) subit encore à ce jour des atteintes graves à son intégrité physique et à son intégrité morale.. »15
La Belgique va se mettre formellement en ordre. Dans sa démarche, elle ne va pas mentionner la vidéo d'Ali Aarrass torturé. Le 22 septembre 2014, l'ambassade belge téléphone aux autorités marocaines (une « note verbale », dira Monsieur Reynders) et le 17 novembre 2014, elle envoie une demande par écrit pour demander l'autorisation de visiter Ali Aarrass. Les autorités marocaines ne répondent tout simplement pas à cette demande. Et puis plus rien. Plus rien pendant 10 mois, jusqu'à ce qu'Ali Aarrass commence une nouvelle grève de la faim le 25 août 2015, où il demande au Maroc d'accepter la demande de la Belgique de lui rendre visite.

La lettre de Reynders et la phrase qui tue : « le tribunal nous oblige de rendre visite à Ali Aarrass, mais, en fait, nous nous y opposons.. »

La sixième grève de la faim d'Ali Aarrass provoque un sursaut du mouvement de solidarité. Le 6 octobre, sous la pression, Reynders réagit. Il écrit une nouvelle lettre à son homologue marocain. Le contenu de cette lettre diffère sur deux points de la lettre précédente, celle qu'il avait écrite le 5 août 2013 pendant la cinquième grève de la faim d'Ali Aarrass. A ce moment là, il avait insisté sur le fait que la Belgique n'accordait pas une assistance consulaire à Ali Aarrass et que la Belgique ne contestait pas sa condamnation. On peut trouver cette lettre sur le site de la diplomatie belge : « Dans une lettre à son homologue marocain en date du 5 août, le Ministre Reynders a précisé que la Belgique, selon son habitude, ne compte pas intervenir au titre de l’assistance consulaire dans la mesure où l’intéressé possède la double nationalité belge et marocaine. Cette démarche du Ministre Reynders, puisqu’elle ne se fait pas au titre de l’assistance consulaire, est justifiée par le souci permanent qu’a la Belgique que soient respectés pour tous les droits de l’homme et la dignité humaine. Le Ministre a aussi souligné clairement que la Belgique ne conteste aucunement la décision de la Cour d’appel de Rabat. »16 Dans sa lettre du 6 octobre 2015, la dernière phrase est tombée et la phrase qui insiste sur la non-assistance consulaire a été remplacée par ceci : « La famille a obtenu une décision de la Cour d’appel de Bruxelles qui ordonne au gouvernement belge de requérir de votre Etat de permettre aux autorités consulaires belges au Maroc de rendre hebdomadairement visite à Monsieur Aarrass et de s’entretenir avec lui à la prison où il purge sa peine. »
Mais suit la phrase qui montre clairement que la Belgique n'a aucune volonté, ni l'intention, ni l'envie de se rendre chez Monsieur Aarrass : « Cette décision est exécutoire, même si un pourvoi en cassation a été introduit par le gouvernement belge. »17 Le message de la Belgique peut être compris par les autorités marocaines comme suit : tenez bon dans votre refus de nous accorder l'accès, nous, de notre côté, sommes en train d'essayer de casser ce jugement !

Réponses kafkaïennes des autorités belges

Depuis le début de la grève de la faim le 25 août 2015, à nos demandes répétées aux autorités, par mail et par messages facebook, pour une intervention du Ministère pour sauver Ali Aarrass, nous recevons différentes types de réponse. 
 
D'abord de la part de fonctionnaires-robots, qui ne sont même pas au courant de la condamnation de la Belgique, et qui s'intéressent encore moins à la vie d'un homme. Ils nous renvoient le même mail que nous recevons depuis des années. Le fonctionnaire Tom Roose nous répond sans complexes (mail envoyé en septembre 2015, un an après le jugement de la Cour de Bruxelles) :
« Suite à votre mail du 29 juillet 2015 concernant la situation de Monsieur Ali Aarrass, j'attire votre attention qu'il a été condamné comme Marocain au Maroc. Dans ces cas l'Ambassade de la Belgique n'intervient pas dans ce dossier.
Il appartient dès lors à M. Aarrass de s'adresser en direct aux autorités marocaines en ce qui concerne sa situation de détention.
Bien à vous
Tom Roose, C0.0 /DGC, SPF Affaires étrangères et Coopération »

Suit une intervention de Reynders ou de son cabinet pour mettre fin à ce genre de mails, qui risquent de mettre le Ministère dans l'embarras. Reynders nous envoie une version adaptée :
« Chère Madame, Cher Monsieur,
J’accuse bonne réception de votre courriel au sujet de Monsieur Ali Aarrass et les préoccupations dont vous m’avez fait part. Sur le plan humanitaire, j'ai demandé aux autorités marocaines des renseignements au sujet des conditions d'incarcération de Monsieur Ali Aarrass. Je viens encore d'écrire à mon homologue marocain au sujet de son état de santé. Par ailleurs, j'ai demandé à plusieurs reprises que des visites consulaires à Monsieur Ali Aarrass puissent être effectuées, jusqu'à présent sans réaction des autorités marocaines. Cette absence de réponse s'explique sans doute par le fait que les autorités marocaines considèrent que Monsieur Aarrass est ressortissant marocain au Maroc. L'usage international est en effet qu'un état ne peut exercer d'assistance consulaire pour un bipatride qui se trouve dans le pays dont il a également la nationalité.
Salutations cordiales.
Didier REYNDERS, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères,
et européennes,chargé de Beliris et des Institutions culturelles fédérales ».
Remarquez à nouveau la compréhension pour le refus marocain : « L'usage international est en effet... ». Mais de quel usage international parlez-vous, monsieur Reynders ? De votre version de l'usage international qui a été rejetée par la Cour ? De l'usage international de certains pays européens qui visitent les détenus binationaux en prison au Maroc ?

Suit une troisième version d'un autre haut placé qui reprend le même message honteux du premier mail.
« Chère Madame,
Je peux vous confirmer que notre Ambassade autant que notre Consulat général au Maroc fournissent une multitude de services aux ressortissants belges d’origine marocaine pour tous les aspects qui ne nécessitent pas d’intervention auprès des autorités marocaines, tels que la délivrance de passeports et de cartes d'identité à ceux qui sont inscrits à l'Ambassade, la délivrance d’un passeport provisoire lors d’une perte, la légalisation de documents, l’octroi d’une assistance lors d’un accident de voiture, etc.
Pour tout ce qui a trait à la souveraineté du Maroc à l’égard de ses ressortissants , la Belgique s’abstient néanmoins d’intervenir. Tel est le cas notamment dans des procédures judiciaires et des détentions. La Belgique n’accepterait également pas qu’une ambassade étrangère s’immisce dans une procédure belge concernant un Belge sur le territoire belge, par exemple dans un dossier de tutelle pour des enfants bipatrides, un mariage ou une cohabitation légale.
Enfin, permettez-moi de souligner que cette approche ne concerne pas seulement les bipatrides belgo-marocains, mais tous les Belges ayant une autre nationalité. Ainsi, la Belgique est partie à la Convention de La Haye de 131 ( « ! ») sur la double nationalité , qui prévoit la non-intervention au profit de bipatrides dans leur autre pays de nationalité.
Salutations cordiales,
Hans Gryson
Adjunct-kanselarijdirecteur - Directeur adjoint de chancellerie
FOD Buitenlandse Zaken/.SPF Affaires étrangères
Directie Noodbijstand en gerechtelijke zaken – Direction assistance d’urgence et affaires judiciaires
Karmelietenstraat 15 - Rue des Petits Carmes 15
1000 Brussel/Bruxelles
Tel: 02/501 87.25 »

Le Consul belge à Rabat

Le 9 octobre, une délégation de la famille et du Comité Free Ali est reçue à l'ambassade de la Belgique à Rabat par le consul Patrizio Ventura et le conseiller de l'Ambassade. Ils présentent une version del'attitude de la Belgique qui est plus claire. Ils nous disent : « Le Maroc est un Etat de droit. Nous avons des relations excellentes avec le Maroc que nous ne voulons pas mettre en danger. »
A notre invitation de venir avec nous à la prison de Salé et de constater sur place si les autorités pénitentiaires marocaines vont leur refuser l'entrée, ou de faire un communiqué de protestation publique contre l'attitude du Maroc qui refuse l'accès à la prison aux autorités belges, le consul répond : « Pas d'incidents diplomatiques avec le Maroc. »
Face à cette comédie, nous ne pouvons que faire un constat. La convention contre la torture signée par la Belgique est vidée de sens, sacrifiant ainsi Ali Aarrass sur l'autel des "relations excellentes" entre la Belgique et le Maroc.



Notes.

3Voir le texte de la plainte : http://www.freeali.eu/?p=885
4http://www.freeali.eu/?p=4219 Rapport intégral.
14« Le Royaume du Maroc a signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 18 janvier 1986 et l’a ratifiée le 21 juin 1993 » http://www.mission-maroc.ch/fr/pages/246.html
16 Cour d'appel Bruxelles Arrêt 2ème chambre affaires civiles 9 septembre 2014
16 http://diplomatie.belgium.be/fr/Newsroom/actualites/communiques_de_presse/affaires_etrangeres/2013/08/ni_060813_gedetineerde_sale.jsp
17 Voir document pdf dans https://candicevanhecke.wordpress.com/2015/10/19/la-belgique-laissera-t-elle-mourir-ali-aarrass-dans-sa-prison-marocaine/

 


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