Caméra cachée dans l’enfer des prisons marocaines : les « solutions belges » en question
par Luk Vervaet
photos vidéos Prison Maroc
photos vidéos Prison Maroc
Entre 2011 et 2012, M., détenu à la prison d’Oukacha à
Casablanca, a filmé clandestinement la vie carcérale de l’intérieur.
Aujourd’hui libéré, il n’a pas oublié ses codétenus et il s’est attelé au
montage de ses heures de film. Découvrez son projet « Prison Maroc » sur Youtube[1].
Jugez par vous-même. Entrez avec lui dans la prison. Faites
l’expérience de ce monde immonde, de non-droit, de maltraitance et de violence,
de corruption, de surpopulation et de promiscuité.
Ces vidéos confirment les
images de la vidéo réalisée en 2012 et rendue publique en 2015, sur le
traitement d’Ali Aarrass à la prison de Salé II[2].
A ce moment-là, la direction des prisons marocaines avait accusé Ali Aarrass
d’être un imposteur et avait affirmé qu’Ali Aarrass était traité de manière
correcte, comme tous les détenus au Royaume. Les images de la prison d’Oukacha
nous montrent ce que cela signifie en pratique.
Elles confirment aussi le constat global de l’Observatoire marocain des
prisons (OMP) : « En 2013, on dénombrait
70675 prisonniers dans les 65 prisons marocaines, soit 11 436 nouveaux
incarcérés depuis 2012, pour une capacité carcérale estimée en 2011 à 40.000
places. 79,33% des détenus sont analphabètes ou ont un niveau d’étude médiocre
voire inexistant". Et encore selon l’OMP : outre la surpopulation,
"les prisons rencontrent un grand
nombre de problèmes face à la corruption, aux drogues ainsi qu’à la présence de
prisonniers atteints de troubles mentaux"[3].
On arrive difficilement à s’imaginer la situation infernale
qui apparaît dans ces vidéos. Ce que s’en rapproche le plus, ce sont les photos
et les témoignages sur l’état des prisons belges pendant la grève des gardiens.
Pouvons-nous faire quelque chose ? Oui, en nous opposant fermement à la
présentation du Maroc par la Belgique, et d’autres pays européens, comme le
pays faisant « exception dans le
monde arabe », comme « le modèle
à suivre dans la lutte antiterorriste », et, last but not least, comme
le pays offrant la solution à notre propre crise carcérale.
La Belgique et le
retour forcé des détenus au Maroc
Les vidéos rassemblées dans Prison Maroc s’adressent à tous ceux et celles en Belgique ou en
France qui cherchent la solution au désastre carcéral de leur pays par le
bannissement des détenus étrangers. On sait que le gouvernement belge et son
ministre de la Justice Koen Geens n’ont aucunement l’intention de mettre la
politique carcérale actuelle en question.
Ils annoncent au contraire l’imposition
de quatre pistes pour s’en sortir. D’abord, par la continuité de la politique
du Masterplan de construction de nouvelles prisons et/ou de rénovation et d’élargissement
de la capacité existante (Haren, Bourg-Léopold, Vresse-sur-Semois, Verviers,
Ypres, Jamioulx, Ruiselede). Deuxièmement, par la diminution de personnel en
informatisant et en réorganisant le régime carcéral. Avec comme conséquence un isolement de plus en
plus grand pour les détenus. Troisièmement, par l’utilisation du bracelet électronique,
qui n’est rien d’autre qu’une extension de la prison vers les maisons privées.
Et enfin, par ce que j’appelle la purification ethnique de nos prisons par la
déportation forcée des détenus étrangers vers leur pays d’origine, en
particulier vers le Maroc.
La politique du retour forcé au Maroc figure dans l’accord
gouvernemental de 2014. Mais cette politique est en cours depuis 1997 et elle prend
une place de plus en plus importante dans la résolution des problèmes de
justice en Belgique. Elle vaut, pour l’instant, pour trois catégories de
détenus en Belgique : les détenus en séjour illégal, les détenus belgo-marocains,
déchus de leur nationalité belge pour terrorisme, et les détenus de nationalité
marocaine.
Détenus en séjour illégal
En 2013, l’expulsion des détenus en séjour illégal était
passée de 378 à 629 personnes, dont 406 au Maroc[4]. En 2015, Geens s’est vanté d’avoir fait
beaucoup mieux. « Ensemble avec mon collègue
Francken, disait-il, nous avons rapatrié
1.100 détenus d’origine étrangère qui résident illégalement dans notre pays »[5].
Tout en annonçant que cette politique devra encore s’intensifier.
Les déchus de la
nationalité belge
En juillet 2015, l’ensemble du parlement fédéral belge, avec
96 oui, 48 abstentions, 6 absents, et aucune voix contre de la part d’un parti
de l’opposition (cdH, FDF, Ecolo-Groen, PP, PS, PTB-go!, sp.a, VB)[6],
a voté la loi sur la déchéance de la nationalité belge pour les binationaux,
condamnés pour entreprise terroriste. Cette loi, qui élargit radicalement les
possibilités de déchoir un bi-national de sa nationalité belge, a été publiée
au Moniteur belge le 5 août 2015.
Avant cela, la mesure de déchéance de la
nationalité pour des faits graves était limitée aux personnes ayant acquis la nationalité
belge dans les 10 années précédant les faits. Maintenant la limite de la date
d'acquisition a sauté et ne compte plus.
Dorénavant, un jeune, né en Belgique, mais devenu belge au cours de sa
vie, entre en ligne de compte pour être déchu de sa nationalité. Ensuite, sont
visés, non seulement les auteurs, condamnés pour faits de terrorisme à 5 ans de
prison, mais aussi les coauteurs et les complices. Récemment, une maman d’un
jeune volontaire belge tué en Syrie a été inculpée pour soutien à une organisation
terroriste. Parce qu’elle avait donné de l’argent à son fils, tout en
s’opposant radicalement aux départs des jeunes en Syrie. Si elle avait la
double nationalité marocaine, serait-telle déchue de sa nationalité et bientôt
expulsée ?
Cette loi signifie, ni plus ni moins, le bannissement de ces
personnes vers l’arrestation et l’enfermement, si pas la torture, dans les
prisons marocaines. Soit pour y finir sa peine. Soit pour y être rejugé et
condamné une deuxième fois par la justice marocaine. On se souvient du cas du
Belgo-Marocain d’Hicham Zrouil, volontaire pour l’Afghanistan, qui a été
condamné à cinq ans en Belgique, et ensuite, après son extradition au Maroc, à
vingt ans de prison[7].
On se souvient du cas du Marocain Younes Chekkouri, qui, libéré par les
Américains après une détention de 13 ans à Guantanamo, a été inculpé et mis en
prison dès qu’il est rentré au Maroc, et ce malgré les garanties obtenues par
les USA[8].
Les détenus marocains
en Belgique
Enfin, le transfèrement ou le bannissement des détenus
étrangers vers leurs « pays
d’origine » n’est pas le travail de la NV-A ou du Vlaams Blok, mais bien
le fruit de près de dix ans de négociations entre la Belgique et le Maroc par
les respectables partis catholiques, socialistes et libéraux. Déjà en 1997, la
Belgique a conclu un protocole avec le Maroc permettant le retour des
prisonniers marocains. Cependant, vu que de nombreux détenus ne donnaient pas
leur accord pour ce transfert, un protocole additionnel a été conclu le 19 mars
2007, rendant possible le rapatriement forcé. Le 29 janvier 2009, 84 parlementaires du CDH, CD&V, PS, Spa,
Open VLD, MR ont approuvé cet accord. 12 parlementaires de Groen! Et d’ Ecolo ont voté contre. 26
parlementaires, dont la NV-A, se sont abstenus parce que la mesure n’allait pas
assez loin. Deux ans plus tard, fin avril 2011, le parlement marocain ratifiait
le protocole de 2007 sur le transfert forcé. Depuis le 1er mai 2011,
la Belgique, tout en refusant toute assistance consulaire aux détenus
belgo-marocains au Maroc, a banni ainsi des dizaines de détenus de nationalité
marocaine vers un pays où ils n’ont souvent jamais mis un pied, sinon en
vacances.
Arrêter cette
politique, tant qu’il en est encore temps…
Ces trois mesures ne s’arrêteront pas et risquent au
contraire de se renforcer. En ce qui concerne la déchéance de la nationalité,
aussi bien la NV-A que le MR ont déjà fait savoir que cette loi ne va pas assez
loin. Au niveau du transfèrement des détenus marocains, Bart De Wever, le
leader de la NV-A déclarait en septembre 2013 qu’à la place de la ministre de
la Justice, il aurait déjà « essayé
depuis longtemps de construire une prison belge au Maroc ». En ajoutant : «
Il y a près de 1 200 Marocains derrière
les barreaux dans notre pays. De quoi remplir une prison complète… »
Provocation ? Peut-être. Mais en réponse à cette proposition, la ministre de la
Justice Turtelboom a déclaré qu’elle avait déjà « fait examiner la faisabilité » du projet, avant de conclure qu’il
était « irréaliste et inapplicable ».
Mais l’idée se fraie son chemin et est loin d’être abandonnée. L’actuel gouvernement Michel veut intensifier
l’expulsion de détenus étrangers vers leur pays d’origine en essayant de
conclure des accords semblables à celui conclu avec le Maroc avec d’autres pays.
L’Open VLD propose d’ajouter la peine de bannissement comme sixième forme de
peine à part entière pour les personnes qui sont en séjour illégal et qui
seraient accusées de vol ou de trafic de drogues. Au lieu d’une amende, une
peine de prison, la surveillance électronique, une peine de travail ou l’imposition
d’une période d’essai.., le bannissement serait une forme de peine à part
entière.
Puissent les vidéos de la prison d’Oukacha aider à bloquer
cette évolution plus qu’inquiétante.
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