Désastre carcéral et responsabilité syndicale
Luk Vervaet, ex-enseignant dans les prisons
Tous les responsables de l’appareil judiciaire en Belgique, dirigeants
syndicaux du secteur carcéral y compris, devraient être trainés devant un
tribunal pour leur responsabilité dans la situation catastrophique de nos
prisons, en particulier dans les maisons d’arrêt. Quoique ça ne changerait pas
grand-chose. La Belgique a déjà été condamnée maintes fois par des tribunaux
nationaux ou internationaux pour le traitement de ses détenus ; la
dernière condamnation en référé de l’État belge date d’il y a quelques jours[1].
Nos responsables archivent tout simplement les condamnations les unes après les
autres et continuent comme si ne rien était.
Cela fait 25 ans qu’on assiste à une explosion carcérale en
Belgique. Année après année, le nombre de détenus n’a fait qu’augmenter,
pulvérisant tous les records de l’année précédente : de 5.176 en 1980, à 10.320
en 2009, 11.330 en 2012, et 12.697 en 2013.[2]
En dix ans de temps, de 2003 à 2013, la population carcérale en Belgique a
augmenté de 35,6 %. Si le taux de détention en Belgique était de 93,5 sur
100.000 personnes en 2010, il est de 113,8 en 2013.
Cette explosion du nombre
de détenus a des conséquences dramatiques quant à la surpopulation des prisons
et les maisons d’arrêt, ces dernières étant le plus souvent vétustes. Avec des
conséquences au niveau de la santé mentale et physique des détenus, de
l’éducation, des soins, d’hygiène, de la disponibilité du travail, du nombre de
visites ou de promenades…
Ce que je reproche
aux syndicats, ce ne sont pas leurs grèves. C’est leur droit le plus strict.
Mais je souhaiterais bien deux choses.
Nous sommes en droit d’attendre des syndicats qu’ils n’utilisent
pas, lors de leurs grèves, la situation intenable de souffrance et de désespoir
des détenus et de leurs familles pour faire pression et obtenir gain de cause
dans leurs revendications. Qu’ils
arrêtent de prendre les détenus en otage au lieu de leurs patrons du ministère
de la Justice et de la direction générale des prisons. Les grèves peuvent aller
jusqu’à provoquer la mise en feu des cellules ou d’autres formes de suicide.
Ce qu’on attend des syndicats, c’est une grève « au
finish » contre la politique carcérale en Belgique. En adoptant la
position corporatiste « si vous
nous livrez autant de détenus, nous avons besoin d’autant de personnel »,
la politique syndicale se range dans les faits dans le camp patronal. Pourquoi est-ce
à un bourgmestre de menacer de fermer la prison de Forest parce que les
conditions y sont intenables et inhumaines ? Où sont les syndicats ? La
même chose vaut pour les solutions aux problèmes. Au lieu de se s’attaquer à la
source, là aussi les syndicats se sont inscrits dans la logique des
gouvernements successifs : gérer les prisons comme des entreprises
industrielles par l’élargissement et la modernisation du parc carcéral au moyen
de Partenariats Publiques Privés. Ainsi, les seuls partenaires que la Direction
générale des prisons et le ministère de la Justice ont trouvé pour défendre la
construction de la mégaprison à Haren, de sont les syndicats. Les seuls absents
de la plateforme pour sortir du désastre carcéral en Belgique[3],
qui regroupe magistrats, avocats, organisations des droits de l’homme, habitants,
ce sont les syndicats.
On se rappelle de l’émission Pour ou Contre la mégaprison de Haren sur RTL qui opposait (!)
le président de la Ligue des droits de l’Homme Alexis Deswaef à Michel Jacobs, secrétaire
fédéral CGSP Justice.(voir : http://www.rtl.be/info/video/548071.aspx).
La Finlande a prouvé qu’on peut faire autrement. Dans son
livre « Crime Control As Industry:
Towards Gulags, Western Style » le criminologue norvégien Nils
Christie décrit un pays qui a réussi à réduire de manière spectaculaire son
taux d’incarcération, des plus élevés de l’Europe (160 détenus par 100.000
personnes) au niveau du deuxième le plus bas (54 par 100.000), après l’Islande.
Comment ont-ils fait ?
D’abord, en reconnaissant publiquement le taux d’incarcération
comme quelque chose d’anormal, comme un vrai problème. Et non comme quelque
chose qui démontrerait la fermeté et la détermination des autorités de protéger
la population contre le crime et la délinquance. En se réalisant que le taux
d’incarcération n’est pas lié au nombre de crimes et de délits, mais est
déterminé par des décisions culturelles et politiques, basées sur la conception
de la société que nous voulons.
Deuxièmement
par la création d’un front commun entre tous les acteurs concernés : pénitentiaires,
universitaires, syndicales, judiciaires ayant pris la décision de tout mettre
en œuvre pour diminuer et ce par tous les moyens possibles le nombre de
détenus. Ce qui a eu sa répercussion dans les lois et la pratique de tous ces
acteurs. Et ce qui a mené à un bouleversement des tendances.
En Belgique, on attend toujours ce moment.
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