La déradicalisation du PTB : Cuba NO! Churchill YES!

Luk Vervaet – 12 octobre 2016

(Photo : Bush avec la buste de Churchill)

Cela doit tenir à l’air du temps. Depuis le milieu de la première décennie des années 2000, le PTB est occupé avec la déradicalisation du parti. La dernière année, le contraste entre le vieux PTB et le nouveau n’aura échappé à aucun observateur politique, lorsque les élus du PTB n’ont pas voté contre les nouvelles lois antiterroristes, qui retirent la nationalité belge de toute personne qui a eu affaire, de près ou de loin, avec le terrorisme. Ou lorsque dans un communiqué de presse, le parti condamnait « comme moralement et politiquement inacceptable » le coup que le syndicaliste Tanguy Fourez a donné au commissaire de police Vandersmissen (photo)[1]

On est bien loin des années 90 du siècle passé quand le PTB refusait de condamner les coups donnés au curateur de l’entreprise, Alain Zenner, lors du combat des Forges de Clabecq contre leur fermeture. Loin de l’époque de la révolte des jeunes Bruxellois de 1997, après que la police eut abattu un dealer de drogue, quand Xavier De Donnea (MR) qualifiait le PTB d’ « organisation de type terroriste qui mène la guérilla urbaine »[2].
Dans la déradicalisation du PTB, la condamnation de toute forme de violence est une question centrale. Mais pas la seule. La déradicalisation concerne aussi le thème du racisme et de la guerre et du passé communiste. Il y a eu ainsi le sondage inquiétant de la RTBF/La Libre/Dedicated. Celui-ci établissait que 80% des électeurs du PTB à Bruxelles et en Wallonie s’opposait au droit de vote des émigrants aux élections régionales[3].
Début octobre, lors d’un débat RTL intitulé « Le PTB, numéro 1 en Wallonie, c’est possible ? », Sofie Merckx et Marco Van Hees, respectivement élue locale et porte-parole du PTB et élu fédéral, répondaient aux questions : « Qui préférez-vous : Staline ou Churchill ? Cuba ou les États-Unis ? » [4]. Les réponses ont fait tomber de leur siège plus d’un auditeur. Mais arrêtons-nous d’abord sur ce que le parti a présenté comme un renouveau du parti et sa nécessaire adaptation aux temps modernes. Là où il s’agit en réalité de la déradicalisation imposée à et acceptée par l’extrême-gauche.

Le processus de déradicalisation au niveau mondial

Contrairement à l’idée répandue, le concept de déradicalisation ne date pas des attentats de Paris ou de Bruxelles. Le cadre en a été dessiné après la chute du socialisme en 1989 et après la première guerre du Golfe de 1990-1991. Au moment où toute la planète a été transformée en un vaste marché libre et en une jungle de guerres et de violences. C’est à ce moment que le processus de déradicalisation a été lancé. Il s’agissait d’en finir avec tout « extrémisme (violent) de gauche, de droite ou islamique », y compris toute idéologie qui pourrait mener, ou qui pourrait être considérée comme complice du terrorisme violent[5].Qui ne plierait pas aurait à connaître le poing armé de l’impérialisme. 

Ça s’est manifesté sous sa forme la plus visible en Palestine. D’abord toutes les organisations de résistance palestiniennes, - auparavant reconnues – qui refusaient de signer les accords d’Oslo de 1993-1995 ont été placées sur la liste des organisations terroristes. Lorsque la population de Gaza a massivement voté pour une organisation dite « terroriste », in casu le Hamas, elle a été punie collectivement. Israël a transformé Gaza en la plus grande prison à ciel ouvert au monde. Exclue et boycottée par la communauté occidentale et régulièrement agressée à coup de bombes et de missiles.
À Bruxelles, nous nous souvenons des années 90 comme le début de la suspicion collective à l’égard des communautés arabes et musulmanes dans notre pays, en tant qu’ennemi intérieur potentiel. Des stations de radio libre arabes qui « émettaient des commentaires orientés unilatéralement et des discours de Saddam Hussein, et qui condamnaient la complicité des régimes arabes aux côtés de l’Occident » [6] ont été « suspectées de trahison et placées sous surveillance des autorités » [7] ou fermées.

Si la déradicalisation de Gaza n’a pas réussie, celle de l’extrême gauche en Europe a bel et bien abouti. Les partis d’extrême gauche ont soit disparu ou soit, comme le SP des Pays-Bas, fait l’autocritique de leur extrémisme. Où ils se sont fondus dans des formations social-démocrates acceptables comme Syriza, Podemos ou le Front de Gauche. Le PTB fait partie de cette évolution.

Il n’est pas besoin de démontrer que cette déradicalisation ne compte dans la pratique que pour l’extrémisme de gauche ou islamique et non pour l’extrême droite. Les communistes devaient payer le prix pour leur soutien aux « dictatures communistes abjectes » et les islamistes pour leur soutien au tout aussi abject dictateur Saddam Hussein.
En ce qui concerne l’extrême droite, certaines formations musclées se sont intégrées aux formations extrémistes civilisées, comme le nouveau Front National de Marine Le Pen. Mais la tornade de propagande raciste et extrémiste en Europe est telle que l’extrémisme de droite a pu s’installer dans et à la tête et dans la politique légale des partis démocratiques. À ma connaissance, aucun obstacle n’a été posé devant les organisations et partis d’extrême droite en Europe après les attentats meurtriers d’Anders B.Breivik en Norvège en 2011. Et aucune association catholique n’a été fermée, aucun contrôle n’a été organisé sur la façon dont les chrétiens devaient lire la Bible dans la période post-Breivik.

Déradicalisation et racisme

Après le sondage mentionné ci-dessus, j’ai écrit un article sous le titre « Le PTB récolte ce qu’il a semé : 80% de son électoral est opposé au droit de vote des immigrés lors des élections régionales »[8].
Je reçus alors en réponse du PTB une liste de leurs activités antiracistes, sous le titre « La vérité a ses droits »[9]. J’ai répondu que ma critique ne porte pas sur les activités antiracistes ou les efforts des militants, mais sur la capitulation politique du parti face au racisme qui menace aujourd’hui de mener à la guerre civile.
De la formation la plus farouchement antiraciste de ce pays, le parti s’est transformé en un parti qui fuit, tait ou évite autant que possible les thèmes brûlants du racisme, de l’islamophobie, de la guerre, de la terreur de l’antiterrorisme contre Molenbeek et les autres « zones dangereuses ». Pour le PTB, il s’agit surtout de se mettre hors du vent,  et de ne surtout pas se laisser prendre sur la question de l’extrémisme. Le racisme se résoudrait, selon la nouvelle justification politique, par l’unité de la classe travailleuse en lutte pour l’emploi, les pensions, contre les multinationales. Idéologiquement, cette approche est justifiée par le mot d’ordre « écouter quel est le message politique qui peut passer chez les gens ». Pas mauvais, direz-vous. La question est seulement : de quelle sorte d’unité parlons-nous ? De quel prolétariat s‘agit-il ? Si nous admettons que « les gens » n’existent pas comme catégorie homogène, mais se divisent en classes, en pauvres et riches, en racistes et en victimes du racisme, en exploiteurs et exploités, de quels gens parle-t-on précisément ? Plus exactement, si on diffuse auprès des militants le critère de ce qui « peut passer dans la lutte contre le racisme », on joue la politique de l’autruche qui met la tête dans le sable face à la tornade toujours plus puissante de racisme et de fascisme.
Mais il y a encore un autre prix à payer pour le ticket qui donne accès aux médias et aux institutions parlementaires. Ce prix est devenu très clair quand Marco Van Hees et Sofie Merckx ont dû passer le test de déradicalisation de RTL sur les démons du passé. L’enjeu de ce show télévisuel est clair : le PTB est-il aussi fiable et démocratique qu’il le prétend ? Le parti appartient-il toujours au camp abominé du communisme ou a-t-il définitivement choisi celui de la liberté et de la démocratie ?

Déradicalisation et communisme, partie 1 : Staline ou Churchill ?

L’ombre noir du livre du fondateur et président du parti Ludo Martens « Un autre regard sur Staline » planait sur le studio quand le premier choix à opérer fut de choisir entre Staline et Churchill. « Qui préférez-vous ? » a demandé le journaliste. « Churchill » répondit Sofie Merckx, qui ajouta par la suite que le PTB avait fait le ménage des « démons du passé ». « Aucun des deux, ni la peste ni le choléra », répondit Marco Van Hees, qui s’est vaguement souvenu par la suite que Churchill n’avait pas été particulièrement démocratique en Afrique du Sud. « C’était avant qu’il soit premier ministre pendant la deuxième guerre mondiale », a corrigé le journaliste. Sur quoi, la première ronde était terminée.
Qu’il n’y ait rien eu de pire que Staline ou Mao dans l’histoire humaine est profondément martelé dans la conscience collective depuis 1989. Mais qu’en est-il pour un criminel comme Churchill ? Il suffit de taper son nom dans Google. 

Vous y trouverez que même le président américain Obama a renvoyé en Grande-Bretagne le buste de Churchill qui se trouvait à côté du bureau de son prédécesseur Bush. Parce que son grand-père kenyan a été enfermé sans procès dans les camps de concentration de Churchill (photo) destinés au mouvement de résistance Mau Mau et y a été torturé[10]. Le grand-père d’Obama fait peut-être partie de ces « milliers de vieux Kenyans, qui ont été maltraités par les troupes coloniales britanniques, violés et torturés pendant la révolte des Mau Mau (1951-1960), qui ont par la suite revendiqué 200 millions de dédommagement au gouvernement britannique »[11]

Ce procès a débuté en 2016[12]. Et Churchill était bien premier ministre de 1951 à 1955.
Il ne s’agit pas seulement du Kenya. C’est Churchill aussi qui a exterminé l’armée de libération grecque ELAS et le front de libération nationale EAM en Grèce après la seconde guerre mondiale[13]. C’est lui aussi en Inde : « Une famine a éclaté en 1943 en Inde, provoquée, comme le prix Nobel pour l’économie, Amartya, l’a démontré – par la politique impérialiste des Britanniques. Trois millions de personnes sont mortes de faim alors que les fonctionnaires britanniques suppliaient Churchill de fournir une aide alimentaire à la région. Churchill a carrément refusé. Il a affirmé que la famine était due à leur propre faute parce qu’ils se reproduisent comme des lapins » [14]. Churchill alla jusqu’à refuser l’aide humanitaires du Canada et des États-Unis. 
Vous compléterez vous-même la liste des actes génocidaires de ce sinistre personnage en Palestine, en Iran ou en Irlande. Si après avoir établi cette liste, vous décidez d’excuser Churchill, tout comme l’a affirmé Sofie Merckx, parce qu’il « a été un héros de la seconde guerre mondiale », alors ne faut-il pas excuser Staline ? Ne fût-ce que parce que sans l’Union Soviétique, qui a, sous sa direction, payé le plus haut tribut à la guerre, avec ses vingt millions de morts, il n’y aurait pas eu de victoire contre le fascisme ?

Déradicalisation et communisme, partie 2: Cuba ou les États-Unis?

          (photo Assatu Shakur du Black Liberation Army qui trouva refuge à Cuba)
Après la réussite du premier test, - jeter Staline à la poubelle n’était en fait pas trop difficile pour le PTB nouveau – est venue une question plus difficile, comme dans tout programme de quiz qui se respecte. « Qui préférez-vous, a demandé le journaliste, « Cuba ou les États-Unis d’Obama ? ». « En tant que médecin, je choisis quand même Cuba », a répondu Sofie Merckx. En d’autres mots, elle ne répondait pas en tant que porte-parole de son parti politique mais en tant que médecin.
Mais ni Marco Van Hees, ni le journaliste du panel, n’avaient oublié que des déclarations similaires de Raoul Hedebouw sur Cuba avaient déchaîné les critiques de la droite[15]. Van Hees a donc répondu : « Comme pour la question précédente, je réponds : aucun des deux, ni la peste, ni le choléra ». Et avant même que le journaliste lui pose la question, il précise : « Je veux répéter encore et encore que le PTB n’a pas de modèle ».

Jugez vous-même où mène la déradicalisation du PTB. Présenter le petit Cuba, qui s’est libéré jadis de son rôle de bordel et de casino des États-Unis, qui est devenu l’étendard et le refuge du mouvement révolutionnaire un peu partout dans le monde, comme une épidémie aussi mortelle que les États-Unis, le champion toute catégorie en matière de guerres, de goulag pénitentiaire et de meurtres policiers sur sa population noire, rend tout réplique superflue.

Seulement encore ceci : les déclarations des deux élus du PTB ne sont pas seulement une gifle pour Aleida Guevara, la fille du Che, que le PTB a déjà invité deux fois en vedette à Manifiesta. C’est surtout une gifle pour la jeune génération d’aujourd’hui et d’alors. Pour la jeune génération de révolutionnaires du dernier quart du siècle passé qui s’est engagée sans compromis aux côtés des damnés de la terre. Aux côtés des révolutionnaires du tiers-monde, qui ont tenté, souvent dans des conditions extrêmement difficiles, de faire quelque chose contre ce système que nous appelons le plus criminel, le plus cruel et le plus inhumain de cette planète : l’impérialisme. Une gifle aussi pour la jeune génération d’aujourd’hui à qui le vide idéologique actuel enseigne qu’il n’y a plus d’alternative au système capitaliste. Il ne faut dès lors pas s’étonner qu’une partie de la jeunesse radicalisée n’imagine plus d’autre perspective que le kalifat.








[5] Pour une meilleure compréhension de la lutte contre la radicalisation, voir : https://www.counterextremism.org/ , http://www.google.com/ideas/projects/network-against-violent-extremism/ , http://www.againstviolentextremism.org/  (Ce dernier fut lancé par Google Ideas lors du sommet contre l'extrémisme violent à Dublin en 2011. Il s'agissait d'un projet commun entre des partenaires privés comme the Institute for Strategic Dialogue (ISD), ISD, Google Ideas, the Gen Next Foundation et rehabstudio).

Commentaires

Patrice a dit…
Aaaah ! Super article rempli d'informations que je m'en vais ranger dans mon dossier "arguments" sur le bureau de mon ordinateur en plus d'une critique que je comprends mais que je voudrais quand même pondérer.

Quelle est la différence entre un son et un bruit ? Le son est désiré, le bruit ne l'est pas. On voit donc que seul le jugement subjectif de l'homme détermine ce phénomène physique. En français, il n'existe pas de mot reprenant cet événement de façon objective. A partir de là, un philosophe a posé la question : "Sur une île déserte, sont-ce des bruits ou des sons ?" La réponse est "Sur une île déserte, il n'y a ni bruit ni son. C'est donc le silence". Je pense qu'il en va de même pour la vérité ou le mensonge. Ces deux mots traduisent des concepts absolument subjectifs. Prétendre connaître la vérité contre les pipelines médiatiques affirmant le contraire revient à mentir car dans la vraie vie, dans les faits, ce n'est pas le contenu qui importe mais sa perception.

Le PTB fait-il preuve d'intelligence médiatique ou s'est-il réellement corrompu ? Je n'en sais rien. Faut-il virer sa cuti auprès de 10.000 personnes afin d'acquérir le pouvoir d'être intransigeant auprès de 10.000.000 ? Je n'en sais rien. Mais je pense que les dégâts causés dans l'opinion publique par le patronat via les médias depuis près de 30 ans maintenant avec des moyens colossaux exigent de louvoyer si l'on veut être audible un jour. Le PTB le sera-t-il ? Et ce jour là, se rappellera-t-il de l'essence même de son existence ? Je n'en sais rien.






Luk Vervaet a dit…
Merci Patrice pour votre réflexion ! Pourtant je ne partage pas votre raisonnement:
"Prétendre connaître la vérité contre les pipelines médiatiques affirmant le contraire revient à mentir car dans la vraie vie, dans les faits, ce n'est pas le contenu qui importe mais sa perception". Il faut se battre pour le contenu et pour la vérité qui est bien là, dans les faits : condamner Tanguy ou le défendre ? Voter contre la déchéance de la nationalité, que même le socialiste Vervoort a appelé une mesure fasciste, ou s'abstenir ? Cuba ou US ? Se battre contre l'islamophobie ou éviter le sujet ? Toute la question est là : qu'est-ce que ça veut dire être révolutionnaire aujourd'hui ? Si on ne veut pas poser le problème ainsi, il faut aller chez le PS ou Ecolo, qui eux font aussi des bonnes choses, et dont les derniers ont parfois plus de courage politique que le PTB.

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