Covid-19 et binationaux : le racisme d’État, sans masque

Devant le palais de justice à Bruxelles, janvier 2016
 Pendant douze années, manifestations, pétitions, grèves de la faim, conférences, procédures en justice nationales et internationales, livres, bandes dessinées, chœur, etc. ont rythmé un combat sans relâche pour qu'Ali Aarrass soit considéré comme un citoyen belge et protégé en tant que tel par la Belgique. Et non comme un citoyen de seconde zone,  sous prétexte qu'il possède la double nationalité belgo-marocaine.

Tout était là, avec Ali Aarrass, pour que la Belgique intervienne sans délai : il s'agissait d'un homme innocent (innocenté par le juge espagnol Balthazar Garzon), torturé (torture confirmée par Jan Mendez, le rapporteur de l'ONU), extradé par l'Espagne (contre l'avis du Comité des droits de l'homme). Il s'agissait d'un homme qui a fait sa vie en Belgique, il y a fait ses études, il y a travaillé et fait son service militaire, il s'y est marié, il y a ses attaches familiales.

Tout au long de ces douze années, la Belgique s'est débattue comme un diable, par tous les moyens,  pour ne pas devoir venir à l'aide à ce Belgo-marocain. 
Uniquement, disaient le ministre Reynders et son prédécesseur Van Ackere, parce qu'il s'agissait d'une personne ayant une seconde nationalité, marocaine, même s'il n'a jamais vécu dans ce pays et qu'il n'y a aucune attache. 
Voyons comment la Belgique a mené une véritable guerre d'épuisement contre l'aide à un binational. 

À deux reprises, un tribunal belge a condamné l’État belge à fournir immédiatement une assistance consulaire à Ali Aarrass. À deux reprises, l'État belge est allé en appel et en cassation contre ce jugement. 

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains et dégradants », stipule l'article 3 de la Convention européenne des Droits de l'homme. Ce seul article aurait dû suffire à la Belgique pour intervenir, en laissant tomber toute autre considération diplomatique ou économique. 

La Belgique a choisi l'opposé : pour se défaire de son obligation, elle a recouru, devant les tribunaux, à la Convention de La Haye du 12 avril 1930 qui dispose qu'un État ne peut exercer sa protection diplomatique au profit d'un de ses nationaux à l'encontre d'un État dont celui-ci est aussi le national. La Belgique savait pertinemment que cette convention n'était pas d'application, puisque le Maroc ne l'a jamais signée. 

Ensuite, la Belgique a rejeté les juridictions de droit international qui demandent aux États d'intervenir pour un binational, en prenant en compte « la nationalité prépondérante, la nationalité effective », c'est-à-dire la nationalité belge dans le cas d'Ali Aarrass et de dizaines de milliers d'autres binationaux dans notre pays.

Elle a aussi refusé d'appliquer l'article 36, c, de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires qui dit que « les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d'un ressortissant de l'État d'envoi, qui est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s'entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice. Ils ont également le droit de se rendre auprès d'un ressortissant de l'État d'envoi qui, dans leur circonscription, est incarcéré ou détenu en exécution d'un jugement...».


Enfin, pour mettre définitivement fin à la contestation d'Ali Aarrass, la Belgique est allée jusqu’à inscrire dans la Loi de mai 2018 la discrimination entre les Belgo-belges et les Belges ayant la double nationalité. Dorénavant la non-assistance ne pourra plus être contestée, elle est devenue légale. 
La protection consulaire, c’est quoi ? Cela signifie qu'en cas de problèmes lors d’un séjour à l’étranger, un citoyen belge peut s’adresser au poste consulaire ou à l’ambassade de la Belgique se trouvant dans ce pays. Il s’agit des situations suivantes : un décès ; un accident grave; un crime grave dont est victime un Belge ; une disparition inquiétante ; l’arrestation ou la détention ; une situation de détresse extrême; une crise consulaire majeure ; l’enlèvement international d’enfants lorsque l’enfant et/ou un des parents de celui-ci sont belges. Dans tous ces cas, un citoyen belge peut solliciter une aide consulaire de la part de la Belgique. Mais, selon cette nouvelle loi, pas les binationaux !!!

Cette politique raciste, qu’Ali et ses compagnons de lutte ont combattue pendant douze ans,  s'abat aujourd'hui de plein fouet sur des milliers de Belgo-marocains bloqués au Maroc en pleine crise du Covid-19, montrant sa dimension criminelle. 

La manière dont la Belgique traite les Belgo-marocains permet au Maroc de les retenir sur son territoire sauf… pour des raisons sociales ou de santé. Un vrai marchandage s’est mis en marche. La Belgique s’est engagée à vérifier les raisons, à faire la sélection, à faire le tri, comme s'il s'agissait de bétail. Comme si tous ces Belgo-marocains ne vivent pas vraiment dans ce pays et qu’il leur faut des « raisons valables » pour justifier leur retour à la maison et dans la famille en Belgique.

Face à cette situation, qu'est-ce qui a empêché la Belgique de revendiquer le retour sans conditions de ses citoyens binationaux ? 
En rappelant que la Belgique a signé en 1970 le Protocole 4 de la Convention européenne pour le sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales, dont l’article 3.1 dit que : « Nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire du pays dont il est ressortissant ».  Cet article est absolu. Il ne fait aucune distinction entre un Belge et un Belge ayant la double nationalité. La Belgique n'a jamais demandé une dérogation à cet article. Elle ne peut donc pas accepter une sélection entre personnes qui pourraient entrer et d'autres qui ne le pourraient pas.  

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