Isolement, cages en verre, fouilles à nu, caméra dans les toilettes, transferts sous des conditions interdites : au procès des attentats, le traitement de Nizar Trabelsi revisité


Un procès dans les bâtiments de l’ancien siège de l’OTAN, barbelés et policiers cagoulés tout autour, loin de la ville. Dans la salle d’audience, des « box », ces cages en verre pour les accusés. Des constructions jamais vues dans une salle d'audience, ni en Belgique ni en France. C’est dans l’obsession sécuritaire que « le procès historique des attentats de Bruxelles de 2016 » a débuté.  

Sous le titre « Démolissons les cages de la honte », deux avocats de la défense ont écrit :« Nous ne nous attendions pas à constater la présence de ces effroyables boîtes de verre qui devaient constituer "le banc" des accusés. Une boîte de verre, sans contact physique, à peine auditif, avec le monde extérieur, sorte d’échafaud moderne ; des justiciables, présumés innocents, enfermés comme des bêtes en cage qu’il faudrait observer espérant que le gardien ait bien verrouillé l’enclos. » . Et encore : « Ces cages de verre qui sonnent incontestablement la chronique d’un échec annoncé. Comment un jury pourra-t-il se convaincre en toute impartialité que des accusés, qui ne tiendront pas un an dans de telles cages de verre, sont présumés innocents ? » (1). 

Finalement, les cages ont dû être démontées, ce qui a entraîné un délai de plusieurs semaines et des coûts supplémentaires, la responsabilité pour ces frais étant mise sur le dos des accusés.

Les transferts code 3

Puis, il y a les fouilles à nu devant trois hommes et une caméra dans les toilettes. Un avocat posait la question : « Mon client est dans une cellule du département de haute sécurité, où il n'y a littéralement rien à part un lit. Pourtant, chaque jour, il doit se pencher nu lors de son transfert et se faire examiner l'anus. Ils pensent qu'il cache une arme dans son anus ? »

Enfin, il y a les mesures belges de transfert, « code 3 », appliquées dans le passé à des prisonniers comme Nizar Trabelsi. 

Un des accusés dans le procès a déclaré au tribunal : « On me transfère les yeux bandés de la prison au tribunal avec de la musique satanique (c.-à-d. du hard rock allemand) dans les écouteurs. Je suis attaché dans une sorte de gilet pare-balles ». Objectif : la désorientation temporelle et spatiale complète du prisonnier. Un prisonnier qui n’est même pas encore jugé. Un traitement qui se pratique quel que soit l’état de santé du détenu. 

J’ai vu ce genre de traitement appliqué à un des jeunes accusés dans le procès de ce qu’on appelait les « kamikazes de l’Irak ». La tête recouverte d’une capuche noire, une paire de lunettes de soudeur empêchant toute vue, enchaîné à une ceinture à la taille et aux pieds. Il a accepté ce traitement, à l’exception des yeux bandés parce qu’il souffrait d’une maladie. Son refus s’est soldé par un retour brutal en cellule et l’interdiction de suivre encore des cours en prison (2). Même traitement pour les transferts de Nizar Trabelsi : les yeux rendus aveugles par une paire de lunettes de soudeur et des écouteurs diffusant une musique assourdissante. 

Le conseil de l’Europe : un traitement inhumain et dégradant

« Il est vrai, écrit un journaliste, que les suspects de terrorisme et les gros gangsters considérés comme dangereux dans notre pays sont chaussés d'une sorte de lunettes lors de leur transfert de la prison au palais de justice, ce qui les empêche de voir. Ils reçoivent également des écouteurs avec de la musique heavy-métal dans les oreilles. L'intention est de désorienter ainsi l'accusé s'il tente de s'échapper. Cette pratique est utilisée dans notre pays depuis de nombreuses années et a été contestée sans succès par des avocats à plusieurs reprises au fil des ans » (3) 

Le journaliste a oublié de mentionner que cette forme d’ « escortes de “niveau  3” » a non seulement été dénoncée par des avocats, mais aussi par le Conseil de l’Europe depuis plus d’une décennie(4). Pour le Conseil de l’Europe, il s’impose « d’en interdire immédiatement l’utilisation » dès lors que le recours à « ces deux techniques, seules ou combinées, (est) à assimiler - a fortiori si elles sont appliquées pendant une période prolongée - à l’utilisation de techniques de désorientation spatiotemporelle, lesquelles ne répondent en aucune manière aux principes généraux régissant le recours à la force, et s’apparentent à un traitement inhumain et dégradant »(5).

La cruauté et l’inhumanité des attentats justifient-elles des pratiques inhumaines et dégradantes envers leurs présumés auteurs ? La toute grande majorité des victimes attendent du procès de pouvoir situer, voire de donner un sens au malheur qui les a frappées. Précisément pour elles, il importe de créer un climat dans lequel une certaine forme de dialogue puisse s’ébaucher. 

Sinon, à quoi peut servir ce « procès historique » ?

À suivre.


Notes

 (1) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/09/10/proces-du-22-mars-demolissons-les-cages-de-la-honte-AP6XXGMITNBQZI3X34NMTLH45M/

 (2) Guantanamo chez nous ?, Luk Vervaet, Antidote 2014, p. 82

 (3) Mark Eeckhaut dans De Standaard, 06.12.2022

 (4) Voir le rapport établi suite à la visite, courant 2009, du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (Conseil de l’Europe), par. 42 et sv. (Disponible via www.cpt.coe.int)

 (5) Cité dans Guantanamo chez nous ? Luk Vervaet, préface Marc Nève, page 10, Antidote 2014


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