La famille d’un prisonnier décédé dans une cellule d’isolement à Leuven Centraal porte plainte
des morts en prison Assez ! |
En avril 2022, une autre enquête a été lancée,
cette fois sur les maltraitances en matière de garde d’enfants. Le journal Het Laatste Nieuws a placé à la une la
déclaration d’une famille à propos de leur enfant maltraité : « Abus dans
les gardes d’enfants : pas de témoins, pas de caméra et Arne (un an et demi) ne
peut rien dire. Nous sommes donc impuissants » (1)
En ce qui concerne les prisons, il n’y pas
grand-chose à changer au titre de cet article : « Mort en prison: pas
de témoins, pas de caméra et X ne peut plus le dire. Nous sommes donc
impuissants ». C’est le sort des familles des prisonniers morts dans les
prisons belges.
Pour savoir ce qui est arrivé exactement à
votre plus proche parent, il faut connaître les voies administratives et
juridiques. Vous êtes seul. Contrairement à d’autres pays, comme le Collectif Les Morts de la Prison en
France ou Inquest et la United Families
& Friends Campaign (UFFC) en Grande-Bretagne, il n’existe pas
d’association de familles de détenus décédés en Belgique.
Vous devez être capable de rassembler le
courage et l’énergie nécessaires pour intenter un procès alors que le monde
extérieur est indifférent et qu’aucun « succès » n’est assuré. Il
faut aussi avoir l’argent pour entamer ces démarches.
Pourtant, des familles essaient. Comme la
famille de Faycal Chaaban, décédé en septembre 2006 dans une cellule
d’isolement à Forest. La famille est allée de tribunal en tribunal et jusqu’à
la Cour européenne des droits de l’Homme. Comme la famille de Yassine Sidali de
Hoboken, décédé dans la nuit de samedi à dimanche 30 octobre 2022 dans une
cellule d’isolement de la prison de Leuven Centraal. La famille a déposé une
plainte civile auprès du juge d’instruction.
Elle demande une enquête sur « homicide
involontaire, négligence coupable et traitement inhumain ayant entraîné la mort
».
Yassine et les autres
Dans la prison de Leuven Centraal, trois
prisonniers ont trouvé la mort dans des « circonstances suspectes », en
seulement deux ans. Yassine avait 30 ans lorsqu’il est mort, un homme de 56 ans
y est décédé le 18 juillet 2020 et le 26 avril 2021, un détenu de 48 ans est
décédé. Tous jeunes ou relativement jeunes.
Et ailleurs.
Dans la prison de Bruges, un Irakien de 30 ans
est mort dans la nuit du mardi au mercredi 28 juillet
Le 5 décembre 2019, le corps d’un détenu
interné (un détenu du service psychiatrique, « annexe » de la prison) a été
retrouvé mort dans sa cellule de la prison de Saint-Gilles. Il aurait été tué
par son compagnon de cellule. Un autre détenu interné s’est suicidé le 23 mars
2020. Le 22 novembre 2022, un prisonnier a allumé un incendie dans sa cellule
et est décédé de ses brûlures, a rapporté le parquet de Bruxelles.
Quatorze
jours plus tard, un autre prisonnier s’est pendu dans sa cellule.
Ce ne sont
là que quelques exemples tirés d’une liste macabre. Et nous ne parlons pas des
morts (suspectes) qui restent sous le radar.
Trois fois plus de suicides dans les
prisons belges que la moyenne européenne
En Europe, 5 à 6 détenus se suicident en
moyenne en un an et sur un groupe de 10 000 détenus (rapport 2021 du Conseil de
l’Europe)(3). En Belgique, il y en a trois fois plus en un an : 15 à 16 détenus
sur 10 000 se suicident dans nos prisons, plaçant la Belgique à la cinquième
place sur les 48 pays étudiés.
À ce jour, ce chiffre record spectaculaire n’a
fait l’objet ni de débats ni d’examen parlementaire. Le couvercle reste
fermement posé sur les oubliettes.
Dans quelle mesure la surpopulation, la
détention provisoire (4), la pénurie ou l’absence totale de soins, le manque de
personnel, le milieu carcéral, l’isolement et le désespoir jouent-ils un rôle ?
Cela reste une question sans réponse, et surtout, sans conséquence pratique.
Monsieur Van Quickenborne, quand une enquête
sur le nombre de morts dans les prisons belges sera-t-elle menée?
En Grande-Bretagne, une enquête de deux
semaines sur la mort de Floyd Everton Carruthers, un patient psychiatrique de
58 ans, a été entamée, le 12 décembre devant un tribunal de Birmingham. L’homme
est décédé le 14 juin 2021 à la prison de Birmingham. L’enquête doit apporter
toute la clarté sur les circonstances de sa mort. Floyd a été retrouvé mort
dans sa cellule après ne pas l’avoir quittée pendant quatre jours. Dans la même
prison, cinq autres prisonniers sont également morts en 2021. Les questions qui
seront posées au cours de cette enquête sont pertinentes pour toutes les «
morts suspectes » dans n’importe quelle prison. (5)
Dans l’affaire Yassine Sidali, les codétenus,
le personnel, les médecins et la direction doivent être appelés à témoigner et
à clarifier les questions suivantes. Cela éclairera peut-être l également les
autres décès survenus à Louvain Central. Quelle est la cause médicale du décès ?
Y avait-il un dossier médical de la personne ? Quel était l’état de santé
médical de l’intéressé avant son décès ? Les problèmes auraient-ils pu être
évités si des conclusions antérieures avaient été faites? Comment se sont passés
son arrivée et son séjour en prison ? Quelqu’un parmi les codétenus, le
personnel ou le service médical a-t-il identifié des problèmes de santé ou
autres? Le personnel et la direction ont-ils réagi à cette situation? Les
codétenus ou le personnel pénitentiaire ont-ils averti d’un transfert du détenu
dans une cellule d’isolement plutôt que dans une clinique ? Le personnel
pénitentiaire aurait-il dû signaler une urgence médicale aiguë plus tôt et,
dans l’affirmative, un transfert à l’hôpital aurait-il pu empêcher sa mort?
Après cet examen, qu’a dit le médecin qui a examiné Yassine avant sa mort à un
membre du personnel ? Son refus de l’emmener à l’hôpital en ambulance a-t-il
entraîné sa mort ?
À suivre.
(3) https://www.coe.int/en/web/prison/space ; SPACE - Council of Europe Annual Penal Statistics
(5) https://www.inquest.org.uk/floyd-everton-carruthers-inquest
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