Corruption, Vuitton, prison : Ce qui a été, sera.

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illustration The Economic Times

 
Luk Vervaet, 1 mai 2023

 On les avait presque oubliés, tous ces scandales du passé : Agusta, affaire Publifin, Kazakhgate ou affaire Khodiev, Samusocial... Et puis, en ce début d'année, une nouvelle vague : le Quatargate/Marocgate, le scandale de corruption au Parlement européen. Un million et demi d'euros ont été saisis. Puis ce fut le scandale des cinq millions d'euros que huit hauts fonctionnaires fédéraux belges ont reçus en plus de leur pension. Vient ensuite l'affaire des « dépenses excessives et des contrats publics douteux » au sein du parlement wallon. Aujourd'hui, les députés se seraient octroyé une prime de 20 % en plus d'une pension maximale (8 000 euros bruts). Il y a aussi le financement excessif des partis. Ou le fait que des politiciens belges de haut niveau reçoivent en cadeau un emploi bien rémunéré au niveau européen après la fin de leur carrière en Belgique ou un poste surpayé dans une banque ou une institution internationale.  

Bien sûr, ce ne sont que des affaires mineures comparées à ce que les multinationales et les grandes entreprises font pour s'enrichir illégalement. Ou que Louis Vuitton and co, le plus grand groupe de luxe au monde, soit devenu « la première et la plus précieuse entreprise d'Europe avec 242 milliards de dollars ».  Ou encore que l'industrie de l'armement n'ait jamais été aussi florissante. Alors que l'économie et la population mondiales subissent les effets de la pandémie de covid, les 100 plus grandes entreprises d'armement (dont 41 américaines) ont vendu pour 470 milliards d'euros d'équipements en 2020.  Depuis la guerre en Ukraine, ce même secteur a enregistré les marges bénéficiaires les plus élevées de son histoire.

Le contraste entre l'enrichissement légal et illégal au sommet politique et les CPAS qui croulent sous le manque de personnel, de places et de moyens, face à une demande d'aide toujours plus importante de la population, est pour le moins choquant.  

L'enquête

Comme dans les cas précédents de corruption parlementaire, il y aura une enquête. À tous les niveaux - les élections approchent – on va faire le ménage dès que possible et une fois pour toutes. Désormais, la transparence sera garantie. Cette sorte d'"enquête indépendante" sera menée par les parlementaires eux-mêmes, et non par des personnes extérieures, tout comme dans le cas de la police, c'est la police qui vérifie si la police a commis des infractions. Lorsque J. M. Moore, historien et sociologue britannique, parle de ce type d'enquêtes, il écrit qu'elles « tentent d’expliquer les manquements et qu'elles ont pour principal objectif de restaurer la légitimité des institutions de l'État ». En d'autres termes, leur principal objectif est d'éviter de remettre en question le système. Un système capitaliste dont ils font partie et qui porte dans ses gènes la soif de profit maximum et la corruption qui l’accompagne. C'est précisément cette idéologie dominante dans notre société qui est à l'origine de nombreux problèmes sociaux.      

Et pendant ce temps, on continue à pointer du doigt les jeunes qui veulent faire de "l'argent facile" en vendant de la drogue, attirés par les vêtements de marque et les voitures de luxe. Comme le disait Sarkozy dans une de ses citations préférées de 2009 : « La délinquance vient tout simplement de l'appât du gain, très rarement de la misère sociale ». Dix ans plus tard, ce moraliste est lui-même reconnu coupable de "corruption active" et de "trafic d'influence", ce qui lui a valu une peine d'un an de prison effective et de deux ans avec sursis en 2021. Depuis, il n'a pas eu à passer un seul jour en prison. Ce qui nous amène à un autre privilège. 

Justice de classe

Pour ceux qui appartiennent aux riches et aux puissants de notre société de classes, il existe aussi une justice de classe. Je pense aux grévistes de Delhaize. Les huissiers et la police ne s'attaquent pas aux patrons de Delhaize qui veulent assurer leurs profits en livrant leur personnel à l'incertitude, à des heures de travail plus longues pour un salaire moindre. Ils s'en prennent aux grévistes qui tentent de protéger leur emploi et leur famille. 

Dans une de ses fables, Jean de Lafontaine écrit « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Quatre cents ans après Lafontaine, ses mots résonnent toujours aussi fort. Les riches et les puissants échappent souvent au châtiment, grâce à de grands avocats, des failles juridiques, des manœuvres ou des tractations financières. Combien de dirigeants politiques cités dans les affaires de corruption susmentionnées ont été emprisonnés ? Si certains d'entre eux y finissent (coupables ou innocents), ils en ressortent rapidement avec ou sans bracelet électronique, comme Panzeri, Tarabella ou Kaili. Ou bien ils bénéficient d'un sursis et d'une amende qui ne leur coûte rien. Comme cela s'est passé récemment avec Kubla dans l'affaire Duferco. Au sujet du temps qu'ils ont éventuellement passé en prison, ils disent généralement que c'est la pire expérience de leur vie.  

Impuissants, sauf lorsqu'il s'agit de prisons 

Si l'État et ses institutions se déclarent impuissants à résoudre les inégalités criantes, le trafic de drogue ou à créer des centres d'accueil pour les enfants en difficulté, il n'en est pas de même pour les prisons. C'est l’endroit idéal pour reléguer les problèmes sociaux que l'on n'arrive pas à résoudre, en donnant la fausse impression que ces problèmes n'existent plus et que la population est ainsi protégée par les gouvernants. 

Prisons vétustes ? Alors construisez-en de nouvelles. Mais en dehors des centres- villes, gentrification oblige. Surpopulation carcérale ? Créez de nouvelles places : quatre nouvelles prisons verront le jour d'ici 2030.  Pas d'argent pour les financer ? Tournez-vous vers le privé et vers un groupe financier australien comme Macquarie qui a découvert dans les prisons un produit marchand comme un autre. Et payez à ces requins de la finance, comme à Haren, quelque 140 millions d'euros de nos impôts pendant 25 ans. La prison vous rappelle-t-elle un concept dépassé ? Alors rebaptisez-la en village pénitentiaires, les cellules en kots pour étudiants moderne et remplacez les barreaux par des fenêtres de 7 cm d'épaisseur impossibles à ouvrir. Les prisons accueillent environ 60 % de récidivistes ? Dites que c’est la faute de vos prédécesseurs et que vous produirez désormais des prisonniers réinsérables. Moins de prisonniers, alors ? Non, non. Pas si vite. Pour y parvenir, nous allons à l'avenir enfermer plus de personnes : contrairement au passé (bracelet électronique), les peines de moins de trois ans seront désormais exécutées par l'enfermement en prison. Ainsi, les juges n'auront plus à prononcer des peines de prison supérieures à trois ans pour s'assurer que quelqu'un soit enfermé. Une telle mesure dissuadera également les gens de commettre d'autres délits et nous aurons donc, à terme, moins de prisonniers. Ce faisant, les maisons de détention ne serviront pas, comme c'était l'intention à l'origine, d'alternatives aux grandes prisons : elles deviendront un moyen d'accueillir l'afflux supplémentaire de prisonniers. Pour les cas les plus difficiles, nous nous inspirerons désormais du modèle italien 41bis, le régime d'isolement le plus strict d'Europe. Le ministre s'en est réjoui après une visite à Rome.   

Tels sont, en résumé, quelques aspects de la nouvelle politique carcérale révolutionnaire (sic) de Van Quickenborne. Une politique que tous les ministres de la Justice antérieurs observent avec stupéfaction. Après tout, ce sont eux qui ont conçu et mis en œuvre ce « nouveau » concept il y a déjà vingt ans plus tôt avec leur « Masterplan pour une détention humaine ». Van Quickenborne n'a pas inventé la poudre. Ce qui a été sera : pas de réduction du nombre de prisonniers ou du nombre de prisons, pas de bouleversement, juste plus de la même chose.

Bouchez and co

Si l'on veut se faire une place sur l'échiquier politique d’aujourd'hui, il est de bon ton d'être le plus dur possible en ce qui concerne les prisons. Une façon comme une autre de faire oublier les scandales évoqués plus haut. 

Par la voix de Georges-Louis Bouchez, le MR veut faire payer aux détenus leur séjour en prison. Bouchez n'a manifestement aucune idée du fonctionnement d'une prison, de ce que paie déjà un détenu pour regarder la télévision, téléphoner ou acheter de la nourriture à la cantine. Quant à savoir si les prisonniers qui devraient payer pour leur séjour recevraient soudainement un salaire minimum pour leur travail en prison au lieu d'un salaire d'esclave comme au Bangladesh, Bouchez n'en pipe mot. Le MR veut aussi supprimer les 100 euros par semaine que reçoit un détenu avec un bracelet électronique. Il faut savoir que celui-ci est une forme de prison : votre résidence devient votre prison. Vous êtes autorisé à la quitter dans certains cas, dans d'autres pas du tout. Le montant misérable que reçoit un détenu avec bracelet électronique n'a pas été indexé depuis 15 ans, il ou elle n'a pas droit à des allocations de chômage ou du CPAS ni à quoi que ce soit d'autre. De nombreuses familles de détenus sont souvent déjà pauvres ou appauvries en raison de la détention d'un des leurs. Elles en supportent également le poids social et psychologique. Le MR n’en a rien à cirer. Le bracelet électronique ne peut être destiné qu'à ceux qui peuvent subvenir à leurs besoins, dit le MR. En d’autres termes, pour les Marc Tarabella et les Eva Kaili. 

Pour la NVA, le bracelet électronique est un exemple du laxisme de la politique fédérale.  « Les punitions sous bracelet devraient être une faveur. Aujourd'hui, nous constatons que le gouvernement fédéral en fait la règle. Néfaste, estime la ministre NVA Zuhal Demir. Les bracelets électroniques ne doivent pas servir à lutter contre la surpopulation carcérale : nous ne voulons pas donner aux criminels davantage d'occasions de poursuivre leurs actes délictueux ». Elle plaide pour une séparation du système judiciaire, pour une Flandre « avec ses propres prisons, ses propres dispositions pénales et son propre code pénal ». Sur sa page Facebook, elle organise un véritable référendum : « Radicalisé ? Purgez votre peine ! D'accord ou pas d'accord ? » Le résultat se devine sans peine et les commentaires sont à l'avenant.  

Pour ses concurrents du Vlaams Belang, les projets du MR soient irréalistes. Comme on pouvait s'y attendre, leur solution est d’expulser tous les détenus qui n'ont pas la nationalité belge. De la pure démagogie. Car cela se fait déjà systématiquement, alors que ces personnes sont souvent nées ici ou sont arrivées en Belgique dans leur enfance. Le VB est nostalgique de l'époque coloniale où les prisonniers étaient déportés par milliers vers les colonies. Aujourd'hui, les déportations ne sont possibles qu'avec l'accord des pays dits d'origine. 

En fin de compte, chacun a sa prison : une prison en leasing, une prison payée par les détenus, une prison flamande et une prison sans migrants.

Pour conclure, un dernier chiffre. Au début de l'année 2023, l'Organisation mondiale de la santé (OMS Région européenne) a publié son rapport sur la situation dans les prisons en 2020. Dans les 36 pays étudiés, quelque 613 000 personnes étaient incarcérées. Selon le rapport, un tiers ( !) de ces détenus souffrent de troubles mentaux. Trente-trois pour cent, contre environ 13 % de la population générale de ces pays. Le rapport qualifie la question de la santé mentale de « plus grand problème de santé parmi les personnes incarcérées dans la région étudiée ». Le rapport ajoute que la cause de décès la plus fréquente dans les prisons est le suicide. De plus, l'accès aux soins médicaux et l'accès aux traitements ne sont pas satisfaisants.

J'ajouterais que ces accès sont également saturés à l'extérieur des prisons, ce qui a pour effet de remplir à nouveau les annexes psychiatriques de celles-ci. Les nouvelles prisons résolvent-elles ce problème de santé ? Tout le monde sait que non. D'ailleurs, où est le bilan des nouvelles prisons construites au cours des quinze dernières années ? Il n'existe pas. 

Peut-être devrions-nous nous débarrasser de la corruption, des sacs à main Vuitton et des munitions FN. Pour faire place à l'égalité, à la justice et aux soins.  



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