Avec Trump, le camp de torture de Guantanamo deviendra une prison pour 30 000 migrants



 Le 11 janvier 2002, il y a exactement vingt-trois ans, George W. Bush, le président des États-Unis, ouvre le camp de prisonniers pour terroristes présumés sur la base militaire de Guantanamo Bay. Comme c'est le cas depuis des années, cet anniversaire de la prison la plus controversée au monde a été complètement ignoré, à l'exception de quelques militants, tels que les membres du comité Free Assange Belgique (1) Maintenant qu'il ne reste plus que quinze prisonniers (sur 790 à l'origine) à Guantanamo, le camp ne fait plus du tout parler de lui.

À tort.

Avant-poste du fascisme moderne

La prison de Guantanamo Bay a été créée en dehors du territoire américain, sur l'île de Cuba, dans une zone sous occupation militaire américaine. Depuis la révolution de 1959, Cuba réclame en vain la restitution de cette partie de son territoire. L'installation à Cuba d'un camp de prisonniers pour des centaines de musulmans proclamait au monde que Guantanamo était une construction en dehors de tout cadre légal. Ni les lois américaines, ni les conventions et accords humanitaires internationaux, adoptés depuis la Seconde Guerre mondiale, ne s'y appliqueraient. Si nous voulons comprendre pourquoi aucune résolution internationale n'a d'effet à propos du génocide à Gaza, il faut en revenir à l'illégalité totale de Guantanamo. 


Comment Biden a déroulé le tapis rouge pour Trump

Avant de disparaître de la Maison Blanche, l'ancien président américain Joe Biden a libéré onze prisonniers yéménites à la mi-janvier et les a fait transférer à Oman. Un mois plus tôt, il avait libéré Ridah Bin Saleh al-Yazidi, un Tunisien de 59 ans, et l'avait transféré en Tunisie. Cet homme a passé vingt ans à Guantanamo sans n’être inculpé ni jugé. En décembre dernier, il a libéré un prisonnier kenyan et l'a transféré au Kenya. Cet homme a passé quatorze ans à Guantanamo. À la suite de ces libérations, l'armée américaine a fait savoir qu'il y restait désormais quinze prisonniers, dont trois sont susceptibles d'être libérés. Trois autres doivent comparaître devant le Periodic Review Board, un comité qui statue sur la libération ou la poursuite de la détention sans inculpation.

Tout comme Obama, Biden n'a pas fait ce qu'il avait promis solennellement et ce que ses derniers jours en tant que président lui permettaient de faire : fermer le camp de la honte de Guantanamo une fois pour toutes, évacuer la base et accorder des réparations pour les souffrances et les tortures infligées à des centaines de détenus innocents. Les administrations Obama et Biden ont libéré plus de prisonniers de Guantanamo qu'au cours du premier mandat de Trump, mais les démocrates ont non seulement permis à Guantanamo de continuer à exister, ils ont également veillé à son expansion et à son perfectionnement. 


En 2022, par exemple, ils ont décidé de construire un tout nouvel hôpital à Guantanamo pour la somme hallucinante de près d'un demi-milliard de dollars (454 millions). Un hôpital au service des plus de 5 000 militaires et autres personnels de Guantanamo. La construction devrait être achevée en août 2027.

Comme sous les administrations précédentes, Obama et Biden ont également enfermé à Guantanamo des réfugiés cubains et d'autres réfugiés des Caraïbes. Il ne s'agit « que » de quelques dizaines de personnes - leur nombre exact n'est pas connu, tout comme leurs conditions de détention-, qui sont détenus dans une section séparée des personnes soupçonnées de terrorisme, dans le « Migrant Operations Centre » (MOC). En août 2024, Biden a confié la gestion de ce centre de détention à une entreprise privée pour un coût de 163,4 millions de dollars (2).

Comme les personnes soupçonnées de terrorisme, ces migrants détenus se trouvent également dans un no man's land juridique, sur une base militaire, en dehors des lois en matière d'immigration. Ils sont également confrontés à des pratiques telles que écoute des conversations téléphoniques avec leurs avocats, obligation de porter des lunettes de soudure lors de leur transport à travers la base, et dans certains cas, hébergement dans des pièces inhabitables avec des rats et des toilettes qui débordent.(3)

En ne touchant pas à l'existence même de Guantanamo, mais au contraire en le perfectionnant, les démocrates ont déroulé le tapis rouge pour que Trump et son entourage fasciste fassent aujourd'hui à Guantanamo ce qu'ils proclamé depuis des années.

Un discours fasciste  


Des années auparavant, les déclarations de Trump et Cie auraient dû nous alarmer sur le fait qu'ils ne fermeraient jamais Guantanamo et qu’ils ne mettraient pas fin aux pratiques de torture.

Quelques exemples.

En février 2016, le Washington Post titrait : « Trump dit que la torture fonctionne et qu'il soutient la pratique du waterboarding (simulations de noyade) et bien plus encore » (4).

La même année, lors d'une séance de questions-réponses au Sleep Inn Conference Center, on pouvait entendre ce qui suit de la bouche d'un soldat ayant servi à Guantanamo de 2004 à 2005. En lisant ses déclarations, il faut garder à l'esprit que c'est précisément en 2004 que les inspecteurs de la Croix-Rouge ont accusé l'armée américaine à Guantanamo d'« actes d'humiliation, d'isolement, d'exposition à des températures extrêmes et d'utilisation de postures intolérables ». En mai 2005, Amnesty International a qualifié Guantanamo de « goulag moderne ». Mais voici ce que le militaire avait à dire à ce sujet : « Quiconque a vu Guantanamo sait qu'en tant qu'Américains, nous faisons toutes sortes de contorsions pour veiller au bien-être de ces terroristes islamiques radicaux. Le diabète est la maladie dont ils souffrent le plus à Guantanamo Bay parce qu'ils sont si bien nourris. Ils bénéficient de soins de santé de classe mondiale, de 300 chaînes de télévision par satellite, d'écouteurs sans fil et de temps de loisirs. On s'occupe très bien d'eux. D'après les responsables de la prison, Guantanamo Bay est aussi bien, voire mieux, que n'importe quelle autre prison des États-Unis. On y est en sécurité et les gardiens font un travail fantastique. La gauche perpétue le mythe selon lequel Guantanamo Bay est une sorte de goulag, un péché, quelque chose qui peut être utilisé comme propagande contre l'Amérique. Mais si nous sommes en guerre contre l'islam radical, contre l'islamisme, il n'y a pas de meilleur endroit pour héberger et interroger ces personnes que Guantanamo Bay, nous ne devrions pas en avoir peur et ceux qui ont vu le camp le comprennent »(5).

L'orateur était Pete Hegseth, un vétéran des guerres contre l'Afghanistan et l'Irak, dont l'unité militaire avait également servi dans le camp de Guantanamo. C'est précisément cet homme, accusé à de multiples reprises d'agression sexuelle et d'ivresse, qui deviendra le nouveau secrétaire à la défense de Trump en 2025.

Le 26 janvier 2017, quinze ans après l'ouverture de Guantanamo et quelques jours après son entrée à la Maison Blanche en tant que 45ème président des États-Unis, Trump a de nouveau déclaré, cette fois dans une interview à la chaîne ABC, à propos de la torture à Guantanamo : « J'ai parlé à des gens au plus haut niveau des services du renseignement et je leur ai posé la question : est-ce que ça marche ? La torture fonctionne-t-elle ? Et la réponse a été : Oui, absolument ! »(6).

En janvier 2018, dans son discours sur l'état de l'Union, Trump a annoncé qu'il reléguait aux oubliettes l'intention de son prédécesseur Obama de fermer Guantanamo, qu'il considérait comme « un signe de mollesse dans la lutte contre le terrorisme ». « J'ai demandé à mon secrétaire à la défense, James Mattis, de revoir notre politique de détention militaire et de maintenir ouvertes les installations de détention de Guantanamo Bay », a déclaré M. Trump. Il a ajouté qu'il s'attendait à ce qu'à l'avenir, « dans de nombreux cas, de nouveaux terroristes capturés soient envoyés au camp »(7). 


 En 2025, toutes les vannes sont ouvertes

L'arrestation et l'expulsion d'immigrés clandestins ne datent pas d'hier. Au cours de la dernière année de l'administration Biden, par exemple, 310 personnes par jour en moyenne ont été expulsées (8). Mais depuis que Trump est arrivé au pouvoir, il a lancé une chasse aux sans-papiers sans précédent. Avec des slogans nazis comme « Ils empoisonnent notre sang, ils sont l'ennemi intérieur », il a annoncé son plan d'arrêter et d'expulser un million d'immigrés clandestins en un an. L'administration Trump exige désormais que l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) augmente le nombre d'arrestations à 1 800 par jour(9).

Les scènes sont poignantes.

Quelques jours après son investiture, 4 500 sans-papiers ont déjà été arrêtés lors de rafles dans des grandes villes comme New York, Denver, Chicago, Los Angeles et Boston, menottés et mis dans des avions militaires à destination des pays d'Amérique du Sud. Il s'agit de raids au niveau national qui impliquent également l'intrusion dans des écoles, des hôpitaux et des édifices religieux. Tous les sans-papiers accusés d'un délit mineur tel qu'un vol à l'étalage, y compris ceux qui n'ont jamais été condamnés pour cette accusation, sont susceptibles d'être expulsés. La chasse aux migrants a été introduite dans une loi appelée Laken Riley Act, du nom de Laken Riley, une étudiante universitaire de 22 ans qui a été assassinée en 2024 par un Vénézuélien sans papiers alors qu'elle faisait son jogging. La loi a été adoptée grâce au soutien de 12 sénateurs et 46 représentants démocrates.

Le 29 janvier 2025, Trump a ordonné à son ministère de la défense et de la sécurité intérieure de créer une prison à Guantanamo pour « 30 000 étrangers illégaux criminels »(10) où s'appliqueront les mêmes règles que dans le Guantanamo d'aujourd'hui. Détention illimitée incluse. Trump : « Nous avons 30 000 lits à Guantanamo pour détenir les pires étrangers illégaux criminels qui menacent le peuple américain. Certains d'entre eux sont si mauvais que nous ne faisons même pas confiance à d'autres pays pour les détenir. Parce que nous ne voulons pas qu'ils reviennent, nous les envoyons à Guantanamo. Là, il est difficile d'en sortir ».

Comme toujours, c'est une annonce à la Trump : il est tout simplement impossible de détenir autant de migrants à Guantanamo, le centre de détention a actuellement une capacité maximale de 400 personnes. Mais le signal est donné.

Ce qui se passe à Guantanamo nous apprend au moins deux choses.

D'abord, quelque chose sur la fameuse opposition entre la gauche et la droite, entre les Démocrates et les Républicains et, par extension, entre les Travaillistes et les Conservateurs et d'autres variations sur le même thème. Les premiers arrondissent les arêtes vives du système. Mais ce qui tient et lie les deux, c'est de maintenir le système intact et de le faire durer. 

Deuxièmement, Guantanamo est un avertissement : l'oppression et le fascisme commencent toujours par inciter le peuple à s'en prendre aux « monstres », aux « pires parmi les pires », pour ensuite se retourner contre un groupe toujours plus grand d'indésirables.

Les travaux à Guantanamo peuvent commencer. 

La résistance à ce chantier aussi.

 

 

[1]https://www.andyworthington.co.uk/2025/01/13/photos-and-report-close-guantanamo-vigils-marking-the-23rd-anniversary-of-the-prisons-opening-january-11-2025/

[2]https://www.dropsitenews.com/p/trump-guantanamo-immigration-cuba-detention

[3]https://www.nytimes.com/2024/09/19/us/politics/migrants-guantanamo-bay-cuba-detention

[4]https://www.washingtonpost.com/politics/trump-says-torture-works-backs-waterboarding-and-much-worse/2016

[5]https://www.minotdailynews.com/news/local-news/2016/09/military-vet-says-guantanamo-bay-prison-should-not-close/

[6]https://abcnews.go.com/Politics/president-trump-tells-abc-news-david-muir-absolutely/story?id=45045055

[7]https://www.theguardian.com/us-news/2018/jan/30/guantanamo-bay-trump-signs-executive-order-to-keep-prison-open

[8]https://politicalwire.com/2025/01/28/trump-ramps-up-deportation-effort-after-slow-start/

[9]https://nypost.com/2025/01/28/us-news/trump-admin-gives-ice-quota-of-1800-arrests-per-day/

[10]https://thehill.com/homenews/administration/5113897-trump-guantanamo-bay-migrants/;

 

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