Contre la criminalisation de l’engagement (Lettre ouverte aux partis politiques)
La criminalisation de l’engagement constitue un des effets les plus troublants de la « guerre contre la terreur ». Voilà que le militantisme est abordé sous un angle répressif, et même implicitement lié au terrorisme. L’irruption d’activistes de Greenpeace au sommet bruxellois pré Copenhague en constitue l’illustration parfaite : dans le compte rendu médiatique qui en a été fait, il n’a pas été prêté attention au message que ces activistes souhaitaient avancer par leur action spectaculaire, mais seulement aux questions liée à la surveillance des lieux… et à son défaut. Comme de bien entendu, des poursuites sévères ont été entamées à l’encontre des activistes. Mais on peut également penser au traitement des actions syndicales par Carrefour, à la mise sur écoute d’activistes liégeois pacifiques, à la triple condamnation de Bahar Kimyongur comme chef d’une organisation terroriste, ou au retrait de l’autorisation de Luk Vervaet, enseignant en milieu pénitentiaire et activiste, d’accéder aux prisons. Ils sont légion, les exemples de cette appréhension répressive d’actions sociales et politiques.
Les soussignés souhaitent dès lors connaître votre position sur quelques points essentiels. Les membres de la direction de Greenpeace font encore et toujours l’objet d’une enquête pour association de malfaiteurs, entamée suite à des actions menées sur des sites d’Electrabel. Que fera votre parti pour éviter à l’avenir de tels mésusages des dispositions de la loi concernant l’association de malfaiteurs ? Êtes-vous prêts à soutenir une modification législative qui rendrait ce type de situation impossible à l’avenir ?
Les échanges téléphoniques, de mails et de SMS d’altermondialistes liégeois, qui avaient le seul tort d’organiser une manifestation en prévision du Sommet européen de 2001, ont été surveillés pendant des semaines en se fondant sur l’accusation absurde qu’ils étaient membres d’une organisation criminelle. Les victimes ont finalement été dédommagées mais il est certain que, depuis lors, de nombreux activistes ont encore été mis sur écoute. Que fera votre parti pour éviter à l’avenir de pareils mésusages des dispositions de la loi en matière d’organisation criminelle – qui, pour rappel ont été adoptées en vue de lutter contre la maffia ? Êtes-vous prêts à soutenir une modification législative qui rende ces violations grossières impossibles à l’avenir ? Votre parti est-il prêt à modifier les lois en matière de Méthodes particulières de recherche (MPR) et de Méthodes de recueil de données (MRD), qui autorisent écoutes téléphoniques et autres formes d’intrusion, de façon à ce qu’elles soient mises en œuvre pour lutter contre des activités criminelles, et plus pour espionner des militants politiques ?
Quant à la loi réprimant le terrorisme, elle a été mise en œuvre à quelques reprises, notamment en vue de poursuivre Bahar Kimyongur. Les faits justifiant cette poursuite se limitent à la traduction du turc vers le français d’un communiqué de presse et à la tenue d’un bureau de renseignement bruxellois offrant des informations quant à la situation en Turquie : ils ne constituent en rien une menace contre la sécurité du citoyen belge. Bahar Kimyongur a certes été définitivement acquitté après cinq années de procès – la Cour d’appel de Bruxelles jugeant qu’il n’avait rien fait d’autre que faire usage de sa liberté d’expression – mais la procédure a dû être répétée à trois reprises, tant le libellé de la loi est incertain. Dont coût pour le contribuable : quelques dizaines de milliers d’euros…. Votre parti est-il prêt à poursuivre rapidement l’évaluation de la loi en matière de terrorisme, qui avait été entamée sous la précédente législature ? Votre parti peut-il s’engager à refuser toute extension de ces lois anti-terrorisme controversées jusqu’à ce que cette procédure d’évaluation soit menée à son terme ? Votre parti est-il disposé à adopter les modifications légales nécessaires pour éviter que ces lois ne soient encore détournées pour bâillonner la liberté d’expression, et éviter que les moyens limités des pouvoirs publics, bien nécessaires dans la lutte contre le véritable terrorisme, ne soient encore gaspillés de cette manière ?
Les militants syndicaux sont de plus en plus souvent confrontés à des décisions judiciaires d’imposition d’astreintes, qui limitent le droit de grève et la liberté syndicale. Cette pratique contrevient aux principes de notre modèle social, selon lesquels les pouvoirs publics doivent jouer un rôle d’intermédiaire entre employeurs et employés lors d’un conflit collectif de travail, mais pas intervenir en faveur de l’une ou l’autre des parties. Votre parti s’engage-t-il à soutenir toute modification législative visant à soustraire de la censure préventive du juge de référé, l’examen des actions menées dans le cadre de conflits collectifs ?
Bref, nous demandons aux partis politiques de protéger énergiquement le droit à l’engagement. La criminalisation de l’engagement et de l’activisme constitue en effet une menace contre l’État de droit. Et, dans la mesure où le militantisme contribue au débat politique, sa criminalisation constitue également une menace contre la démocratie. Le droit à l’engagement politique est désormais menacé de toute part : par le détournement de certaines procédures, par la poursuite pénales contre des actions militantes, par l’élargissement des moyens d’enquête de la police et des services de renseignement, par des requêtes unilatérales qui imposent de mettre un terme à des actions de grève, par des chantages ou des plaintes en calomnie et diffamation, par des arrestations et des perquisitions. Nous espérons que votre parti perçoit le danger que recèlent ces tendances et entreprendra les démarches nécessaires pour mettre un coup d’arrêt à cet excès de répression.
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