Mensonges et double jeu dans l'affaire Ali Aarrass : combien de temps encore ?
Photo : Jeremy Corbyn avec une délégation belge devant l'ambassade marocaine à Londres
Luk
Vervaet, Campagne Free Ali
Le 7
mai prochain, Ali Aarrass comparaîtra à nouveau devant la Cour
d'Appel de Rabat, section terrorisme. Cette audience a un enjeu
particulier. Cette Cour aura-t-elle le courage de mettre fin, une
fois pour toutes, aux mensonges et au double jeu de la part (d'une
partie ?) de l'appareil de l'État marocain ?
Le
calvaire d'un innocent
Arrêté
par la police espagnole le 1er
avril 2008 à la demande du Maroc, Ali Aarrass a été détenu en
Espagne pendant près de trois ans dans des conditions extrêmement
pénibles et inhumaines, liées à l'isolement total, réservé aux
personnes accusées de terrorisme. Pendant tout ce temps, Ali Aarrass
ne fait que clamer son innocence. Il entame trois grèves de la faim
consécutives pour exiger justice. Pendant sa détention et après
enquête minutieuse, la justice espagnole lui donne raison. Elle
innocente Ali Aarrass de toute implication dans une entreprise
terroriste et déclare qu'il n'y a pas matière pour poursuivre Ali
Aarrass. Ce jugement espagnol ne va rien changer à la demande
d'extradition de la part du Maroc. Le 14 décembre 2010, L'Espagne
extrade le Belgo-Marocain Ali Aarrass au Maroc, tandis qu'elle refuse
l'extradition d'un Espagnol-Marocain, pour qui le Maroc exigeait
l'extradition sur base des mêmes accusations. L'extradition d'Ali
Aarrass fut une violation de toute règle élémentaire du droit
international. Un mois auparavant, le 26 novembre 2010, le Comité
des droits de l’Homme de l’ONU avait demandé à l’Espagne de
ne pas procéder à l’extradition d’Ali Aarrass. L'Espagne s'en
fiche.
Une
fois arrivé au Maroc, Ali Aarrass disparaît dans les bureaux de la
BNPJ (le Brigade nationale de la Police judiciaire). Après douze
jours en garde à vue, un homme brisé physiquement et
psychologiquement fait sa réapparition. En main, un papier en arabe
qu'il ne sait ni comprendre, ni lire, mais signé par lui. Ce sont
ses prétendus aveux, dans lesquels il se déclare coupable de toutes
les accusations contre lui. Ce ne sera qu'un bref moment de victoire
pour ses bourreaux. Une fois qu'il a repris des forces, Ali répètera
ce qu'il a répété pendant trois ans en Espagne : « Je
suis innocent ».
Et, le 2 mai 2011, avec ses avocats, dans
un document détaillé, il dépose plainte pour torture.
Les
autorités marocaines : « La
plainte d'Ali Aarrass est classée sans suite ».
Sans
surprise, cette plainte contre la torture va être balayée et
classée sans suite par les autorités marocaines en septembre 2011.
Deux mois plus tard, le 24 novembre 2011, Ali Aarrass est condamné à
quinze ans de prison, uniquement sur base de ses aveux. Mais Ali
Aarrass et ses avocats ne lâchent pas. Le 3 octobre 2011, ils
s'adressent au Comité contre la Torture des Nations Unies, demandant
l'intervention du Comité auprès du Maroc pour la torture subie,
pour l’absence de recherche sérieuse de ses auteurs et pour une
condamnation sur base d’aveux extorqués par la force. Quand ce
Comité s'adresse au Maroc, les autorités marocaines paniquent. Il
faut savoir que le Maroc est signataire de la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants depuis le 18 janvier 1986 et qu'il l’a ratifiée le 21
juin 1993. Le Maroc va essayer de se préserver d'une mise en examen
et d'une condamnation internationale. Dans une lettre du 10 décembre
2011, les autorités marocaines s'opposent à toute intervention du
Comité contre la Torture.
Les
autorités marocaines : « Une
enquête est en cours sur la plainte d'Ali Aarrass »
Le
Maroc va refuser une intervention du Comité contre la Torture pour
les raisons suivantes : « Les
recours internes ne sont pas épuisés et une enquête sur cette
affaire est en cours sur l'ordre du Procureur général de Rabat,
suite à la plainte pour torture introduite par M. Ali Aarrass le 2
mai 2011».
C'est
une bonne nouvelle ! Et en effet, Ali reçoit la visite d'agents
qui l'interrogent et il doit passer un examen médical. Mais, ni Ali
ni ses avocats ne seront mis au courant des résultats de ces
examens.
Les
autorités marocaines : « Il
n'y a pas d'enquête en cours sur la plainte d'Ali Aarrass »
Consternation
le 9 avril 2012, lors de la première audience du procès en appel.
Les avocats de la défense, Maîtres Cohen et Dadsi, demandent au
tribunal d'attendre le résultat de l'enquête en cours, annoncée
par le Maroc dans sa lettre du 10 décembre, avant de poursuivre le
procès. Dans leur communiqué du 12 avril, les avocats de Juscogens
justifient cette demande ainsi : « Il
est en effet indispensable de connaître le résultat de ces
investigations pour pouvoir juger Ali Aarrass. À défaut, il serait
condamné sur base d’éléments de preuve entachés d’une
illégalité dirimante : il est interdit d’utiliser en justice des
preuves obtenues par la force ».
La
demande est à peine formulée par la défense que le procureur au
procès se déchaîne. Il crie haut et fort que cette lettre adressée
au Comité contre la Torture sur une enquête en cours n'est qu'une
invention de la défense. Qu'il n'est pas au courant et qu’une
telle chose n’existe pas. Maître Cohen, qui plaide aussi bien en
Belgique qu'en France, doit en passant encaisser quelques insultes de
la part du tribunal, quand un juge lui lance en arabe que « ce
ne sont pas les étrangers qui viendront nous donner des leçons ».
Mais
Maîtres Cohen et Dadsi montrent aux juges la lettre sur l'enquête
en cours, signée par les autorités marocaines. Le tribunal est
clairement dans un embarras total. Il est obligé de reporter
l'audience, en attendant de la défense « des
preuves qu'il
y a bien une enquête en cours »
(sic).
Le
deuxième cas de consternation est pour Jeremy Corbyn.
Ce
député socialiste anglais se mobilise depuis plus d'un an pour Ali
Aarrass avec dix-huit de ses collègues parlementaires de différents
partis. Le 2 avril 2012, Jeremy Corbyn s'adresse à l’ambassadrice
marocaine à Londres, Madame Laila Joumala Alaoui, et demande une
réponse à sa lettre du 16 décembre 2011. Dans cette dernière, il
avait demandé des explications sur le sort d'Ali Aarrass, sa torture
éventuelle et son procès inéquitable. Jeremy Corbyn insiste sur
l’urgence vu que le procès en appel aura lieu le 9 avril. Deux
jours après, le 4 avril, l'ambassade marocaine à Londres envoie un
accusé de réception. Et le 10 avril, la réponse des autorités
marocaines, arrive, signée par Monsieur Othmane Bahnini, « deputy
head of Mission »
de l'ambassade du Maroc à Londres. Sa réponse est absolument
hallucinante. Monsieur Othmane Bahnini écrit que l'Ambassade a
demandé des explications sur l'affaire Ali Aarrass au Maroc et
qu'ils ont reçu « un
rapport détaillé »
sur cette affaire. Voici la traduction. «Ali
Aarrass a été interrogé et jugé selon tous les règles et normes
légales. Il a toujours disposé d'un avocat et il n'a jamais demandé
un examen médical, il ne s’est plaint ni de torture ni de mauvais
traitements. Pendant le procès, l'avocat n'a jamais mis en cause la
légalité de ce procès et il n'a pas dit non plus que les aveux
d'Ali Aarrass avaient été obtenus par une forme de pression ou de
violence. La première fois qu'on a commencé à en parler, ce n'est
qu'après sa condamnation à 15 ans de prison, basée sur des preuves
de constitution d'une association criminelle en vue de préparer et
de commettre des actes terroristes. L'avocat de Monsieur Aarrass a
fait appel de ce jugement et a présenté une demande formelle à la
Cour afin qu’elle examine les accusations de torture. La Cour
d'appel a récemment reporté le jugement final au 7 mai 2012, en
réponse à la demande de la défense d'Ali Aarrass de faire une
expertise médicale et d'examiner les accusations de torture et de
maltraitance. Ces éléments montrent bien que Monsieur Aarrass
bénéficie d'un procès équitable et que ses droits sont garantis,
comme prévus par le système judiciaire marocain. »
Voilà,
Monsieur Corbyn, il n'y a aucune raison de vous inquiéter, tout se
déroule comme dans le meilleur des mondes.
Il ne
faut pas avoir assisté aux onze audiences de ce procès pour savoir
que tout cela est faux du début à la fin. Il suffit de taper le nom
Ali Aarrass dans Google pour savoir que la plainte contre la torture
date du 2 mai 2012, c'est-à-dire sept mois avant sa condamnation. Il
suffit de lire les communiqués de presse du bureau d'avocats
Juscogens pour savoir que depuis plus d'un an les avocats d'Ali
Aarrass exigent un examen sur la question de la torture sans jamais
recevoir de réponse. Il suffit de lire les nombreuses pétitions
signées par des dizaines de personnalités belges adressées au
ministre belge des Affaires étrangères pour demander son
intervention sur la question de la torture d'un citoyen belge. Et
quant aux merveilleuses garanties que donne le système judiciaire
marocain, celles-ci ne vont apparemment pas plus loin que les murs
des prisons. Ali Aarrass ne reçoit toujours pas le courrier qui lui
est envoyé, il ne peut pas s'entretenir seul avec son avocat, il lui
est interdit de signer un papier destiné à l'extérieur. Depuis
deux mois, il ne sort plus du tout de sa cellule, après une attaque
violente de la part d'un codétenu pendant le préau. Opération
orchestrée ou tolérée par certains fonctionnaires ? La
question se pose. Quoi qu'il en soit, nous demandons des mesures pour
protéger l'intégrité physique de notre concitoyen.
La
lettre de Jeremy Corbyn nous montre aussi qu'il faut continuer à
écrire aux autorités marocaines et belges et à demander des
explications. Cette pression internationale est un désaveu permanent
pour les bourreaux et un encouragement pour tous ceux qui, aussi au
sein de l'appareil d'État marocain, veulent que les pratiques de
torture et la mascarade de la justice antiterroriste prennent fin,
une fois pour toutes.
Commentaires