Retour à la prison de Forest (part one)


Un non-lieu pour des actes de torture et de maltraitance, commis en 2009, par la police de la Zone de Bruxelles Midi !

Luk Vervaet

Ce qui s'est passé il y a cinq ans à la prison de Forest rappelle des pratiques dignes de Guantanamo ou d'Abu Ghraib. Il y avait un rapport détaillé de la très officielle «  Commission de surveillance de la prison de Forest » sur ces événements, qui se sont déroulés à cette prison en septembre et octobre 2009. Puis, sur les mêmes faits, il y a eu le rapport de 2010 du Comité pour la prévention de la torture (CPT) de l'Europe concernant la Belgique. Les gardiens de la prison étant en grève pendant plusieurs jours en
septembre et octobre 2009, c'est une équipe de la police qui a assuré le service à la prison. Composée de plusieurs volontaires pour ce genre de jobs, cette équipe avait littéralement pris possession de la prison, en mettant même de côté la directrice et des gardiens qui essaieront d'intervenir pour protéger des détenus. Des extraits de ce rapport du CPT seront repris par le journal Le Soir du 8 août 2010 sous le titre approprié  : « Quand la police « fait régner la terreur » à Forest ». Pour rappel, je vous invite à relire l'original de ce rapport du CPT de 2010.

«  Toutefois, ce ne sont pas les évènements de Lantin qui paraissent les plus préoccupants, mais bien ceux qui se seraient déroulés fin septembre et fin octobre 2009 à la Prison de Forest[40].

Le premier incident remonte au 22 septembre 2009, lors de la distribution du repas du soir au rez-de-chaussée de l’aile D de la prison. Un détenu interné, S.A, fragile sur le plan psychique, aurait reçu un coup de matraque de l’un des deux policiers de la Zone de Police Bruxelles Midi qui escortaient le détenu « servant », alors qu’il se penchait pour recevoir sa ration de pain, puis aurait été violemment repoussé dans sa cellule (N° 1026). Alerté par le bruit, deux autres policiers, qui se trouvaient au niveau supérieur, seraient descendus. Une policière serait restée dans le couloir en demandant au détenu servant de se tenir à l’écart et un autre serait entré dans la cellule. Le détenu aurait alors été frappé avec violence. Roué de coups, le détenu aurait tenté de se réfugier dans le fond de sa cellule, près de son armoire, et des tâches de sang au mur, à hauteur de la tête du détenu, témoigneraient de la violence des coups portés. Le détenu précisa en outre que toute sa cellule aurait été saccagée.

Le détenu « servant », témoin direct de l’incident, a indiqué que seul l’un des deux policiers qui accompagnaient la distribution du repas aurait frappé le détenu concerné, rejoint par l’un des policiers venu de l’étage. Le détenu « servant » a en outre précisé qu’avant de quitter la cellule, l’un des deux policiers se serait lavé les mains au lavabo de la cellule, alors que S.A. gisait à terre, inconscient. A deux reprises, le détenu « servant » aurait demandé aux policiers présents d’appeler un médecin, sans réaction. Finalement, un peu plus tard, le médecin de garde de l’établissement vint sur place, constata que le détenu se trouvait dans un état critique, et ordonna son transfert immédiat à l’hôpital d’Uccle. Le détenu serait revenu à la prison dans la nuit et mis au cachot, où il fut vu par le Commissaire du mois le lendemain, porteur de plusieurs points de suture à la tête. Il y resta deux jours, selon la direction de la prison, pour sa propre sécurité. Etant donné la grève en cours, le détenu concerné n’aurait pas eu la possibilité de s’entretenir rapidement avec son avocat (l’accès à l’établissement leur ayant apparemment interdit par la police pendant la grève).

85. Une deuxième série d’incidents se seraient déroulés les 30 et 31 octobre 2009. Une nouvelle fois, des policiers de la zone de Police Bruxelles Midi furent appelés en renfort afin d’assurer la sécurité dans la prison. Selon les propres termes du rapport de la Commission de surveillance, les policiers « se rendirent maîtres de la prison, en y faisant régner la terreur. Ils n’hésitèrent pas à exercer des menaces sur les directeurs et les agents pénitentiaires présents dans l’établissement qui voulaient s’interposer ». De plus, « certains policiers se seraient promenés cagoulés dans l’établissement afin qu’on ne puisse pas les reconnaître ». Ce rapport (daté de novembre 2009) énumère avec force détail plusieurs éléments s’apparentant à l’évidence à des mauvais traitements très graves et à des traitements dégradants :

- des policiers seraient entrés à cinq ou six dans la cellule de A. M., à l’aile D, pour l’emmener au cachot, tout en le frappant et en écartant une directrice qui voulait intervenir. Au cachot, ils l’auraient forcé à se déshabiller entièrement et à se mettre accroupi, tandis qu’ils le frappaient avec des matraques dans le dos et sur les testicules. Ils l’auraient alors obligé à répéter après eux des propos injurieux et blasphématoires, sans quoi ils continuaient à le frapper. Devant ses sanglots, ils se gaussèrent de lui : « Tu pleures comme une femme, maintenant ! » ;

- M.V. et K.V., deux détenus de l’aile D, auraient été emmenés au cachot, obligés de se déshabiller complètement, de se mettre accroupis, et auraient reçu de multiples coups de la part de policiers présents ;

- F. M., un détenu de l’aile A, aurait interpellé des policiers qui jouaient avec le jeu de cartes qu’il avait oublié dans l’aile. Leur ayant fait remarquer que c’était le sien et leur ayant dit « Vous pourriez le demander », il s’est entendu répondre « ferme ta gueule, chien ! », ce à quoi il aurait répliqué « vous n’êtes pas là pour jouer aux cartes … ramenez mon jeu de carte … vous êtes là pour faire du désordre ! » Il allègue qu’un policier féminin aurait voulu lui rendre son jeu de carte, mais que ses collègues masculins s’y seraient opposés et seraient rentrés dans sa cellule avec des boucliers et des matraques. Un surveillant serait alors rentré dans sa cellule pour calmer le détenu, mais aurait été écarté par des policiers qui l’auraient plaqué au mur et les policiers auraient mis des « colsons » au détenu et l’auraient emmené au cachot, en usant de violence, devant deux directrices. Selon les informations, l’une des deux directrices, qui aurait demandé de prendre une pince pour enlever les « colsons » au cachot, se serait fait agresser par les policiers. Le détenu aurait par la suite frappé au guichet de la cellule du cachot et aurait demandé un matelas. Une directrice et un surveillant seraient restés devant la porte de la cellule pour éviter que les choses ne dégénèrent. Ceux-ci partis, les policiers seraient alors rentrés dans la cellule, en auraient sorti le matelas, auraient forcé le détenu à se mettre à genoux et l’auraient insulté en utilisant des propos injurieux et blasphématoires. Le détenu aurait ensuite été changé de cellule de l’aile D à l’aile C - où il se serait retrouvé sans matelas ni couverture - par des policiers casqués et cagoulés qui lui auraient donné des coups de bouteille d’eau au visage, coups que le détenu aurait fait constater par le médecin de la prison ;

- des policiers s’en seraient également pris à l’un des leurs, détenu, L.M., qu’ils auraient harcelé toute la nuit, en criant aux détenus de son aile « voulez-vous qu’on vous livre un pédophile ? » et, n’en pouvant plus, ce dernier se serait ouvert les veines. Etant donné que les policiers auraient interdit aux surveillants présents d’effectuer leurs rondes la nuit, ce ne serait qu’à la reprise du travail, le lendemain à 6 heures du matin, qu’un surveillant aurait découvert le détenu gisant dans son sang.

86. Suivant les informations à disposition du CPT, le Collège de Police de Bruxelles Midi aurait fermement condamné, dans un communiqué de presse, les événements des 22 septembre et 30 et 31 octobre 2009. En outre, les faits incriminés feraient l’objet de cinq enquêtes différentes : une plainte avec constitution de partie civile du détenu dont question au paragraphe 84 ; une information judiciaire ouverte par le Parquet du Procureur du Roi de Bruxelles ; une enquête du « Comité P », menée à la demande du Ministre de l’Intérieur ; une enquête de l’Inspection Générale de la Police Fédérale et de la Police Locale, et une enquête disciplinaire interne de la Zone de Police de Bruxelles Midi.

87. Le CPT considère, à la lumière des informations recueillies lors de sa visite à la Prison de Lantin et lors de l’entretien de sa délégation avec un représentant de la Commission de surveillance de la Prison de Forest, qu’il est crucial que les autorités belges mettent rapidement en oeuvre sa recommandation, formulée à l’issue de la visite en 2005, visant à l’instauration d’un « service garanti » dans le secteur pénitentiaire. Il y va à la fois de la protection de l’intégrité physique et psychologique des détenus, dont les autorités belges portent l’entière responsabilité, mais aussi de la crédibilité de l’institution pénitentiaire et de son personnel, dans son ensemble. Le CPT en appelle aux autorités belges afin qu’elles mettent en place sans autre délai un « service garanti » au sein du secteur pénitentiaire.

De plus, le CPT souhaite recevoir des informations détaillées s’agissant des résultats des différentes enquêtes dont il a été fait mention ci-dessus ».1


Le 25 février 2014, le CPT vient de recevoir la réponse qu'il demande depuis 4 ans. En effet, cinq ans après les faits, et cinq commissions d'enquêtes plus tard, l'affaire passe devant la chambre du conseil du tribunal à Bruxelles. Le verdict tombe : il n'y a rien à reprocher à la Brigade de la terreur ! D'un revers de la main, ce tribunal a balayé les rapports de la commission de surveillance et du CPT. « Le parquet ne voyait aucune raison de poursuivre les policiers : il n'y avait pas assez de preuves que les agents avaient outrepassé leurs fonctions. Les images des caméras de surveillance de la prison auraient aussi contredit la version des détenus », peut on lire dans la presse.2 Résultat : les neuf policiers inculpés, dont deux avaient été suspendus de leur fonction après les incidents, ont bénéficié d'un non-lieu. 
S'il fallait une nouvelle preuve que du côté de l'appareil de répression c'est l'impunité qui règne, dans un climat d’indifférence de l'opinion publique lorsqu'il s'agit de la maltraitance des détenus, en voilà une. 
 

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