Charlie Hebdo, après le massacre et l'horreur : réflexions sur la guerre et la paix
(photo : )
".. La guerre et ses conséquences
Nous sommes encore trop près du présent pour évaluer à leur juste valeur toutes les conséquences de plus dix ans de guerre mondiale contre le terrorisme, de « nous » contre « eux », lancée après le 11 septembre 2001.
Néanmoins, tout observateur objectif témoignera déjà que cette guerre a causé un recul dramatique de civilisation dans le monde, et ce à tous les niveaux. Bien sûr, hormis l’industrie des inventions militaires ou l’industrie sécuritaire : dans ces domaines le nombre de sociétés, spécialisées dans la sécurité et la protection, explose, et elles produisent du matériel technologique de plus en plus sophistiqué et offrent des services de consultance et d’entraînement ou encore du personnel qualifié.
Au lieu de rendre le monde plus juste ou plus paisible, cette guerre a attisé toutes les contradictions, toutes les injustices, toutes les haines, tous les conflits.
Elle a rendu quasi impossible toute réconciliation ou tout processus de paix qui était en cours dans le monde, en désignant « les autres » comme les « forces du mal» à abattre.
On peut affirmer que la « global war on terror » et le traitement des prisonniers ont été les meilleurs outils de recrutement qu’Al Qaida aurait pu s’inventer.
Que les attentats de Londres en 2005, ou de Madrid en 2004, ont eu lieu après que la guerre ait commencé et non avant.
Que la guerre a sans doute provoqué aussi bien les meurtres commis par Mohamed Mehra en France en 2012 que le meurtre du soldat Lee Rigby en Grande-Bretagne en 2013.
Qu’en Europe, cette guerre a suscité des vagues de solidarité parmi des jeunes, dont des centaines se sont portés volontaires pour aller combattre les Américains et leurs alliés en Afghanistan, en Irak ou maintenant en Syrie : pour se battre ou pour apporter de l’aide humanitaire à leurs frères et sœurs musulmans.
Que cette guerre a été un facteur important dans la montée de l’extrême droite en Europe, où les populations d’origine immigrée et musulmane sont de plus en plus traitées comme l’ennemi intérieur et sont de plus en plus victimes de campagnes racistes et islamophobes.
Qu’elle a créé ou encouragé des assassins de l’extrême droite comme Anders B.Breivik en Norvège ou Béate Zschäpe du NSU en Allemagne.
Que de l’autre côté de la Méditerranée, elle a été une des raisons pour lesquelles les révolutions arabes ont pris un caractère islamiste, ne fût-ce que du fait de la haine anti-occidentale que la guerre contre l’Islam a suscité.
Qu’elle a causé la mort de centaines de milliers d’innocents dans les pays agressés,
qu’elle a rendu handicapés à vie, physiquement ou mentalement, des milliers de soldats des pays agresseurs,
qu’elle a rendu veuves des millions de femmes et orphelins des millions d’enfants.
Que dans le monde entier, elle a fait disparaître des dizaines de milliers d’ innocents derrière les barreaux.
....
Backlash
Les « blitzkriegs » contre l’Afghanistan - pays parmi les plus pauvres du monde - et contre l’Irak - pays complètement affaibli et à bout de souffle au moment de l’attaque - de la part d’une coalition disposant d’une force militaire jamais vue auparavant dans l’histoire, étaient annoncées comme des guerres où la victoire serait facile et rapide. Comme on le sait, une fois sur le terrain, la réalité s’est avérée tout autre. Les forces de l’invasion se sont heurtées à une résistance farouche, mais surtout à une guérilla prolongée.
Et puis, au sein même des États-Unis et des pays alliés, cette guerre de longue durée a eu un effet boomerang.
La guerre régionale contre le peuple palestinien et sa résistance - taxée de terroriste - en cours depuis des décennies, constituait déjà un facteur déterminant dans la colère des populations opprimées, en particulier dans le monde arabe et musulman, ainsi qu’au sein des populations issues de l’immigration.
Depuis le 11 septembre 2001, cette guerre a été mondialisée, les rapports de force étant quasi les mêmes qu’en Palestine, c’est-à-dire un rapport de Goliath à David.
Au sein de nos pays, cette situation de guerre a créé des vagues dans les deux camps.
D’un côté, au sein de la majorité blanche et non-musulmane, le soutien à la guerre contre la barbarie, une montée du racisme, une réaction collective de défense contre les musulmans « qui nous envahissent ». Fer de lance dans ce camp : l’extrême droite, arrivée à un niveau de popularité qui n’avait plus été atteint depuis les années trente du siècle passé.
De l’autre côté, l’opposition à la guerre qui a rassemblé des millions de personnes, mais qui est restée à un niveau symbolique du « Not in Our Name ». En réalité, l’opposition de masse des démocrates contre la guerre s’est estompée et le mouvement pour la paix et la gauche n’ont offert aucune piste pour atteindre leurs objectifs.
Après dix ans, ce mouvement est pour ainsi dire mort.
Ce n’est qu’au sein des populations issues de l’immigration que l’opposition à la guerre a continué et ce, à différents niveaux. Au niveau de la masse, la solidarité s’est exprimée par le biais de manifestations pacifiques contre la guerre, par des prières ou par des œuvres de charité musulmane, par exemple en collectant des fonds pour les orphelins à Gaza. Il y a aussi eu une minorité, surtout parmi les jeunes, qui ne s’est pas contentée d’un soutien verbal. Des volontaires sont partis apporter de l’aide humanitaire aux populations en guerre. D’autres ont rejoint la résistance afin de combattre les Américains par les armes. Enfin, une minorité parmi ces derniers en est revenue avec l’intention de ramener la guerre à l’intérieur des pays occidentaux. Ou encore, quelques-uns ne sont pas partis à l’étranger, mais ont préparé des attaques pour venger les populations bombardées ou pour protester contre les massacres. Tout ce spectre de manifestations de solidarité a été mis dans un seul et même sac :celui du soutien au terrorisme islamiste. Autre effet notable : celui de resserrer les rangs au sein de ces populations, face aux guerres et aux discriminations qu’elles subissent, ces dernières étant encore aggravées par les guerres. Des tendances à se replier, à affirmer son appartenance à sa communauté ou à son identité religieuse, des discours pour la construction d’une ouma de tous les musulmans dans le monde, en rejetant toutes les valeurs des autres, jugées mensongères, ont gagné en soutien au sein d’une partie de la jeunesse musulmane.
Même si la guerre civile en Syrie est d’une autre nature que la guerre en Afghanistan ou en Irak, le phénomène du départ de centaines de jeunes
volontaires européens allant se battre en Syrie s’inscrit lui aussi dans la réalité d’une guerre ininterrompue de dix ans contre les musulmans, et témoigne du désir qu’ont les volontaires de protéger ces musulmans en participant au Jihad.
Enfin, comme dans tout mouvement large de solidarité et de résistance, il y a aussi ceux pour qui c’est l’occasion de se créer une échappatoire à leurs frustrations personnelles, de pouvoir déverser une haine primaire et pathologique, ou de recruter des jeunes pour les envoyer sans scrupules au combat. Des messages sur YouTube soi-disant religieux ont été bien utilisés par les services antiterroristes, afin de coller l’étiquette de fous-religieux-dangereux sur le front de tout jeune qui rejoint les rebelles...
....
La paix et la justice
S’il y a un pays en Europe qui pourrait adopter une position pacifique dans le monde en guerre, c’est bien la Belgique.
Ce petit pays trilingue, zone de transit pour ses grands voisins européens, a été leur champ de bataille pendant les deux guerres mondiales du siècle passé. En 2014, on commémore le début de la guerre 1914-18, une des guerres les plus monstrueuses de l’histoire.
Cent ans après, les traces de cette guerre sont toujours tangibles dans les mémoires des familles et elles sont encore visibles dans les cimetières, dont je vous conseille la visite : ces soldats belges,britanniques, indiens, chinois, sénégalais, enterrés en Flandre Occidentale, morts dans une guerre pour le partage du monde entre les puissances impérialistes d’antan. Quand j’y suis allé en 1994, j’ai été tellement bouleversé par cette visite et par la statue de l’artiste allemande Kathe Kollwitz au cimetière de Vladslo, - statue qui symbolise la souffrance des mères qui ont perdu leur fils au front-, que j’ai pris l’initiative d’y organiser chaque année la Course pour la Paix Kathe Kollwitz. La Belgique aurait la légitimité et l’autorité morale pour refuser toute implication dans la nouvelle guerre impérialiste déclenchée par les guerriers des temps modernes.
Créer une dynamique de paix pourrait se traduire au niveau de la justice et au niveau des relations nationales et internationales.
La loi antiterroriste devrait être abrogée comme étant une acte de guerre et parce qu’il y a déjà assez de lois pour punir des délits ou des crimes.
Au lieu de punir et de criminaliser, la Belgique pourrait s’inspirer de la formule des Commissions de vérité et de réconciliation sud-africaines, afin de traiter du problème du terrorisme.
Le dialogue entre les communautés pourrait être repris et la Belgique pourrait se faire connaître internationalement pour ses efforts afin de renouer le dialogue au niveau international.
Il faut continuer à rêver..."
(Extraits du livre "Guantanamo chez nous ?, pages 68,69/ 86,87/ 71,72)
".. La guerre et ses conséquences
Nous sommes encore trop près du présent pour évaluer à leur juste valeur toutes les conséquences de plus dix ans de guerre mondiale contre le terrorisme, de « nous » contre « eux », lancée après le 11 septembre 2001.
Néanmoins, tout observateur objectif témoignera déjà que cette guerre a causé un recul dramatique de civilisation dans le monde, et ce à tous les niveaux. Bien sûr, hormis l’industrie des inventions militaires ou l’industrie sécuritaire : dans ces domaines le nombre de sociétés, spécialisées dans la sécurité et la protection, explose, et elles produisent du matériel technologique de plus en plus sophistiqué et offrent des services de consultance et d’entraînement ou encore du personnel qualifié.
Au lieu de rendre le monde plus juste ou plus paisible, cette guerre a attisé toutes les contradictions, toutes les injustices, toutes les haines, tous les conflits.
Elle a rendu quasi impossible toute réconciliation ou tout processus de paix qui était en cours dans le monde, en désignant « les autres » comme les « forces du mal» à abattre.
On peut affirmer que la « global war on terror » et le traitement des prisonniers ont été les meilleurs outils de recrutement qu’Al Qaida aurait pu s’inventer.
Que les attentats de Londres en 2005, ou de Madrid en 2004, ont eu lieu après que la guerre ait commencé et non avant.
Que la guerre a sans doute provoqué aussi bien les meurtres commis par Mohamed Mehra en France en 2012 que le meurtre du soldat Lee Rigby en Grande-Bretagne en 2013.
Qu’en Europe, cette guerre a suscité des vagues de solidarité parmi des jeunes, dont des centaines se sont portés volontaires pour aller combattre les Américains et leurs alliés en Afghanistan, en Irak ou maintenant en Syrie : pour se battre ou pour apporter de l’aide humanitaire à leurs frères et sœurs musulmans.
Que cette guerre a été un facteur important dans la montée de l’extrême droite en Europe, où les populations d’origine immigrée et musulmane sont de plus en plus traitées comme l’ennemi intérieur et sont de plus en plus victimes de campagnes racistes et islamophobes.
Qu’elle a créé ou encouragé des assassins de l’extrême droite comme Anders B.Breivik en Norvège ou Béate Zschäpe du NSU en Allemagne.
Que de l’autre côté de la Méditerranée, elle a été une des raisons pour lesquelles les révolutions arabes ont pris un caractère islamiste, ne fût-ce que du fait de la haine anti-occidentale que la guerre contre l’Islam a suscité.
Qu’elle a causé la mort de centaines de milliers d’innocents dans les pays agressés,
qu’elle a rendu handicapés à vie, physiquement ou mentalement, des milliers de soldats des pays agresseurs,
qu’elle a rendu veuves des millions de femmes et orphelins des millions d’enfants.
Que dans le monde entier, elle a fait disparaître des dizaines de milliers d’ innocents derrière les barreaux.
....
Backlash
Les « blitzkriegs » contre l’Afghanistan - pays parmi les plus pauvres du monde - et contre l’Irak - pays complètement affaibli et à bout de souffle au moment de l’attaque - de la part d’une coalition disposant d’une force militaire jamais vue auparavant dans l’histoire, étaient annoncées comme des guerres où la victoire serait facile et rapide. Comme on le sait, une fois sur le terrain, la réalité s’est avérée tout autre. Les forces de l’invasion se sont heurtées à une résistance farouche, mais surtout à une guérilla prolongée.
Et puis, au sein même des États-Unis et des pays alliés, cette guerre de longue durée a eu un effet boomerang.
La guerre régionale contre le peuple palestinien et sa résistance - taxée de terroriste - en cours depuis des décennies, constituait déjà un facteur déterminant dans la colère des populations opprimées, en particulier dans le monde arabe et musulman, ainsi qu’au sein des populations issues de l’immigration.
Depuis le 11 septembre 2001, cette guerre a été mondialisée, les rapports de force étant quasi les mêmes qu’en Palestine, c’est-à-dire un rapport de Goliath à David.
Au sein de nos pays, cette situation de guerre a créé des vagues dans les deux camps.
D’un côté, au sein de la majorité blanche et non-musulmane, le soutien à la guerre contre la barbarie, une montée du racisme, une réaction collective de défense contre les musulmans « qui nous envahissent ». Fer de lance dans ce camp : l’extrême droite, arrivée à un niveau de popularité qui n’avait plus été atteint depuis les années trente du siècle passé.
De l’autre côté, l’opposition à la guerre qui a rassemblé des millions de personnes, mais qui est restée à un niveau symbolique du « Not in Our Name ». En réalité, l’opposition de masse des démocrates contre la guerre s’est estompée et le mouvement pour la paix et la gauche n’ont offert aucune piste pour atteindre leurs objectifs.
Après dix ans, ce mouvement est pour ainsi dire mort.
Ce n’est qu’au sein des populations issues de l’immigration que l’opposition à la guerre a continué et ce, à différents niveaux. Au niveau de la masse, la solidarité s’est exprimée par le biais de manifestations pacifiques contre la guerre, par des prières ou par des œuvres de charité musulmane, par exemple en collectant des fonds pour les orphelins à Gaza. Il y a aussi eu une minorité, surtout parmi les jeunes, qui ne s’est pas contentée d’un soutien verbal. Des volontaires sont partis apporter de l’aide humanitaire aux populations en guerre. D’autres ont rejoint la résistance afin de combattre les Américains par les armes. Enfin, une minorité parmi ces derniers en est revenue avec l’intention de ramener la guerre à l’intérieur des pays occidentaux. Ou encore, quelques-uns ne sont pas partis à l’étranger, mais ont préparé des attaques pour venger les populations bombardées ou pour protester contre les massacres. Tout ce spectre de manifestations de solidarité a été mis dans un seul et même sac :celui du soutien au terrorisme islamiste. Autre effet notable : celui de resserrer les rangs au sein de ces populations, face aux guerres et aux discriminations qu’elles subissent, ces dernières étant encore aggravées par les guerres. Des tendances à se replier, à affirmer son appartenance à sa communauté ou à son identité religieuse, des discours pour la construction d’une ouma de tous les musulmans dans le monde, en rejetant toutes les valeurs des autres, jugées mensongères, ont gagné en soutien au sein d’une partie de la jeunesse musulmane.
Même si la guerre civile en Syrie est d’une autre nature que la guerre en Afghanistan ou en Irak, le phénomène du départ de centaines de jeunes
volontaires européens allant se battre en Syrie s’inscrit lui aussi dans la réalité d’une guerre ininterrompue de dix ans contre les musulmans, et témoigne du désir qu’ont les volontaires de protéger ces musulmans en participant au Jihad.
Enfin, comme dans tout mouvement large de solidarité et de résistance, il y a aussi ceux pour qui c’est l’occasion de se créer une échappatoire à leurs frustrations personnelles, de pouvoir déverser une haine primaire et pathologique, ou de recruter des jeunes pour les envoyer sans scrupules au combat. Des messages sur YouTube soi-disant religieux ont été bien utilisés par les services antiterroristes, afin de coller l’étiquette de fous-religieux-dangereux sur le front de tout jeune qui rejoint les rebelles...
....
La paix et la justice
S’il y a un pays en Europe qui pourrait adopter une position pacifique dans le monde en guerre, c’est bien la Belgique.
Ce petit pays trilingue, zone de transit pour ses grands voisins européens, a été leur champ de bataille pendant les deux guerres mondiales du siècle passé. En 2014, on commémore le début de la guerre 1914-18, une des guerres les plus monstrueuses de l’histoire.
Cent ans après, les traces de cette guerre sont toujours tangibles dans les mémoires des familles et elles sont encore visibles dans les cimetières, dont je vous conseille la visite : ces soldats belges,britanniques, indiens, chinois, sénégalais, enterrés en Flandre Occidentale, morts dans une guerre pour le partage du monde entre les puissances impérialistes d’antan. Quand j’y suis allé en 1994, j’ai été tellement bouleversé par cette visite et par la statue de l’artiste allemande Kathe Kollwitz au cimetière de Vladslo, - statue qui symbolise la souffrance des mères qui ont perdu leur fils au front-, que j’ai pris l’initiative d’y organiser chaque année la Course pour la Paix Kathe Kollwitz. La Belgique aurait la légitimité et l’autorité morale pour refuser toute implication dans la nouvelle guerre impérialiste déclenchée par les guerriers des temps modernes.
Créer une dynamique de paix pourrait se traduire au niveau de la justice et au niveau des relations nationales et internationales.
La loi antiterroriste devrait être abrogée comme étant une acte de guerre et parce qu’il y a déjà assez de lois pour punir des délits ou des crimes.
Au lieu de punir et de criminaliser, la Belgique pourrait s’inspirer de la formule des Commissions de vérité et de réconciliation sud-africaines, afin de traiter du problème du terrorisme.
Le dialogue entre les communautés pourrait être repris et la Belgique pourrait se faire connaître internationalement pour ses efforts afin de renouer le dialogue au niveau international.
Il faut continuer à rêver..."
(Extraits du livre "Guantanamo chez nous ?, pages 68,69/ 86,87/ 71,72)
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