En mémoire de Albert Woodfox (The Angola Three), Pour Julian Assange

 
Albert Woodfox at Lake Pontchartrain in New Orleans,
Feb. 2021.
(Image: William Widmer for the Innocence Project)
Extrait de l'essai à paraître chez Antidote en septembre 2022 : Luk Vervaet "Ni parmi les vivants, ni parmi les morts, Ce qui attend Julian Assange".



La prison à sécurité maximale d’Angola (Louisiane) et l’incarcération jusqu’à la mort 

Le mot d’ordre « Sauvons la vie de Julian Assange » a tout son sens. Il y a (eu), comme nous l’avons déjà évoqué, des plans sérieux pour le kidnapper et l’empoisonner. Mais avec ce qui se passe, encore aujourd’hui, pour de nombreux prisonniers politiques noirs, arrêtés il y a un demi-siècle et condamnés à des dizaines d’années de prison ou à la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, on comprend que la menace de mort ne s’arrête pas là. L’enfermement et l’isolement jusqu’à la mort font partie de la politique carcérale impitoyable du goulag étasunien. Prenons quelques exemples. 

La plus grande prison à sécurité maximale des États-Unis, avec 6 300 prisonniers et 1 800 agents pénitentiaires et agents d'entretien, se trouve dans l'État de Louisiane. Ouverte en 1901, elle était connue comme « la prison la plus dure et la plus sanglante d'Amérique ». Elle reçut le nom d’Angola, d’après le pays africain d’où venaient les esclaves pour travailler sur l'ancienne plantation de coton qui occupait ce terrain. Au cours des dernières décennies, disent les autorités pénitentiaires, la prison a été transformée en « une prison modèle avec des programmes de formation confessionnelle et professionnelle ». Examinons cette prison-modèle de plus près à travers l’expérience d’Albert Woodfox.

Albert Woodfox est né le 19 février 1947 à la Nouvelle-Orléans. Après une jeunesse extrêmement difficile, il arrive en prison à l’âge de 26 ans. Il fait son premier séjour à la prison d’Angola en 1965 après avoir été reconnu coupable d'une série de délits mineurs. Le régime pénitentiaire y ressemblait à celui des jours de l'esclavage. Les prisonniers noirs, comme Woodfox, effectuaient des travaux agricoles à la main, sous la surveillance de gardiens de prison blancs à cheval, fusils de chasse sur les genoux. Les nouveaux détenus tombaient souvent sous un régime d'esclavage sexuel encouragé par les gardiens.  


Albert sort de prison, mais en 1969, il y entre à nouveau, cette fois pour vol à main armée. Avant de retourner à Angola, il passe des mois à la prison de Tombs où il devient membre des Black Panther Party (BPP).  « C'était comme si une lumière s'allumait dans une pièce à l'intérieur de moi dont j'ignorais l'existence », écrit-il. « J'avais une morale, des principes et des valeurs que je n'avais jamais eus auparavant. Plus jamais je ne serai un criminel ».

 En 1971, il est renvoyé à Angola. Il y met sur pied une section du BPP avec Herman Wallace et Robert King. Ensemble, ils organisent des manifestations et des grèves pour de meilleures conditions de vie, contre le racisme et contre la cueillette non rémunérée du coton par les prisonniers enchaînés.  Un an après, suite à une émeute dans la prison, Woodfox et Wallace sont accusés et condamnés pour le meurtre d’un gardien. L’année suivante, King sera accusé d’un autre meurtre en prison. Tous les trois clament leur innocence. Il n’y a pas de preuves, il n’y a que les témoignages de quelques détenus en échange d’une promesse de diminution de peine. Woodfox et ses camarades risquent la peine de mort. Sauf que, par pur hasard, cette même année, la Cour suprême déclare la peine de mort inconstitutionnelle. Ne pouvant pas les exécuter, les autorités de la prison décident alors de les enterrer vivants dans une cellule en isolement total. 

Ainsi, depuis le 18 avril 1972, Woodfox est mis dans une cellule de 1,83 mètre sur 2,74 mètres pendant 23 heures par jour, jusqu’au jour de sa libération, le 19 février 2016. Soit pendant près de quarante-quatre (44 !) ans. Ces décennies en isolement font de lui le prisonnier le plus longtemps soumis à ce régime de toute l’histoire des États-Unis. 

« Le confinement solitaire en prison est l’attaque non physique la plus horrible et la plus brutale contre un être humain », a déclaré Albert Woodfox dans une interview à Democracy Now, le 29 mars 2022. « Au cours de plus de quatre décennies de confinement solitaire, j’ai vu des hommes devenir fous, j’ai vu des hommes s’automutiler, vous savez, en essayant de faire face à la pression d’être confinés dans une cellule de 2 mètres de large sur 3 mètres de long, 23 heures sur 24. Étant libre, je souffre encore d’attaques claustrophobes. Je suis en mesure de mieux les contrôler maintenant, car mes mouvements physiques dépassent désormais 3 mètres ».

Woodfox n’a pas été brisé. Il est resté sain d’esprit, gardant sa fierté, sa dignité et sa combativité : « Nos cellules étaient censées être des chambres de la mort, mais nous les avons transformées en école ». Ils se sont enterrés dans les livres sur l’histoire des Noirs, ils ont organisé des jeux, des tests de mathématiques et des quiz en criant ou en frappant sur les tuyaux. Et Woodfox est surtout fier d'avoir appris à lire à plusieurs jeunes prisonniers. 

Entretemps, les trois détenus sont devenus connus dans le monde entier sous le nom des « Angola Three ». Herman Wallace a été libéré pour des raisons médicales en 2013, après une bataille juridique et la déclaration de médecins qu’il n’avait plus que quelques semaines à vivre à cause d’un cancer du foie. Même à ce moment-là, un juge fédéral s’y est opposé, affirmant que Wallace devait mourir en prison. Mais un autre juge a ordonné sa libération et Wallace est sorti de prison le 1er octobre 2013… pour mourir à peine trois jours après, à l’âge de 71 ans. Robert King, lui, a été libéré après 29 ans en isolement après qu’un tribunal a rejeté sa condamnation.

Pendant toutes ces décennies en isolement, Albert Woodfox a obtenu plusieurs fois gain de cause devant les tribunaux qui ont reconnu son innocence. Une dernière fois en juin 2015, lorsqu’un tribunal du cinquième circuit a conclu qu'Albert devait être libéré immédiatement et sans condition. Mais comme à chaque fois, les autorités pénitentiaires de l'État de Louisiane ont fait appel et Albert a été maintenu en isolement. Woodfox se préparait alors à entamer un quatrième procès pour prouver son innocence et réclamer sa libération. Mais, il change d’avis et il accepte ce qu’on appelle un Alford deal en échange de sa libération immédiate. Woodfox sait que ses problèmes de santé et son âge lui réservent le même sort que son ami Wallace. Après sa libération à l’âge de 69 ans, il  déclare : « Bien que j'attende avec impatience un nouveau procès pour prouver mon innocence, des inquiétudes concernant ma santé et mon âge m'ont amené à mettre fin à cette affaire maintenant et à obtenir ma libération. J’ai maintenu mon innocence tout en acceptant la non-contestation des charges moindres. » 


Woodfox, souffrant toujours de terribles périodes de claustrophobie, fait paraître un livre  « Solitary », dans lequel il explique qu’il a transformé sa douleur en compassion. Comme on lui demande souvent ce qu'il changerait dans sa vie si c’était à refaire, il écrit : « Ma réponse est toujours la même : ‘Pas une seule chose.’ Tout ce que j’ai traversé a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui. Pour survivre, j’ai dû devenir une meilleure personne, une personne plus sage, une personne plus disciplinée. J'ai payé un lourd tribut ». Et son frère le décrit ainsi : « Il n'était pas amer et en colère. Il voulait juste du changement. Il voulait la justice. Ce n'était pas la justice seulement pour lui-même. C'était pour chaque détenu là-bas. »

Albert a fait le tour des États-Unis, et au-delà, pour témoigner contre l’isolement carcéral. Ses craintes sur son âge et sa santé se sont malheureusement avérées justes, quand, atteint mais guéri du COVID 19, plusieurs organes ont été touchés et ont commencé à faire défaut. « Tous les abus infligés à son corps par son incarcération à Angola sont revenus », a commenté son avocat. Six ans après sa libération, Albert Woodfox est décédé le 4 août 2022, à l’âge de 75 ans. 

La longue liste macabre de détenus politiques

Photo Truthdig,
Herman Wallace à sa sortie de prison, Free at last

 
L’exécution des détenus politiques se fait donc ainsi : par la détention jusqu’à la mort en prison ou par leur libération uniquement lorsqu’ils sont gravement malades et sur le point de mourir. Herman Wallace est mort à 71 ans, trois jours après sa libération, Woodfox à 75 ans, après six années de liberté. La prisonnière politique Marilyn Buck est morte en 2012, à 62 ans, un mois après sa libération de la prison où elle avait passé 25 ans. 
Delbert Africa avait 73 ans. En tant que membre des Move-9, il a passé 42 ans de sa vie en prison. Six mois après sa libération en janvier 2020, il est mort d'un cancer. Russell Maroon Shoatz, prisonnier depuis 1973, a obtenu une libération pour des raisons médicales à 2021. Il est décédé 52 jours après sa libération, le 17 décembre 2021. Sundiata Acoli a été libéré en 2022, après avoir passé 49 ans en prison. Il a 85 ans, il souffre « de démence à un stade précoce, de maladies cardiovasculaires, d'hypertension, d'emphysème, de symptômes post-COVID 19 persistants et de glaucome ». Romaine « Chip » Fitzgerald, membre du Black Panther Party, est mort en prison à l’âge de 71 ans après une incarcération de plus 51 ans.

Et cette liste n’est pas complète. Ne leur permettons pas d’y ajouter le nom de Julian Assange.


ANNONCE

Luk Vervaet

Ni parmi les vivants, ni parmi les morts

Ce qui attend Julian Assange

À paraître chez Antidote http://www.antidote-publishers.be/ (septembre 2022)

Préface : Marie-France Deprez, Comité Free Assange Belgium ; Dessins : Michel Soucy Jr, www.soucymichel.com ; Correction : Nadine Rosa-Rosso ; Conception graphique : Cédric Rutter, La Guillotine, les éditions qui tranchent, www.assolaguillotine.wordpress.com 

ISBN : 978-2-930802-34-3  Dépôt légal : D/2022/13452/4

© Antidote Publishers 2022

208 pages, prix : 10 euros

Pour commander :  merci de verser 13 euros (frais d‘envoi inclus) sur le compte d’Antidote : 

IBAN : BE20 0004 2359 4956   avec communication « Assange » ET votre « adresse postale ». 

« … Cet essai apporte de façon précise et documentée les éléments nécessaires qui démontrent et confirment que nous avons raison et qu'il faut absolument empêcher que Julian Assange ne soit extradé. Ses conditions d'incarcération aux États-Unis seraient terribles – pires encore qu'à Belmarsh- et aucune des garanties données par le États-Unis n'est crédible. Son extradition signifierait pour lui une mort certaine et pour l'ensemble des journalistes, l'affirmation par les États-Unis qu'ils ont le droit de contrôler l'information, de décider de ce qui peut et doit être dit aux citoyens pour au final les contrôler.

Cet essai aidera à ne pas laisser faire ! » 

Marie France Deprez, co-fondatrice Comité Free.Assange.Belgium


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