En mémoire de Albert Woodfox (The Angola Three), Pour Julian Assange
Albert Woodfox at Lake Pontchartrain in New Orleans, Feb. 2021. (Image: William Widmer for the Innocence Project) |
La prison à sécurité maximale d’Angola (Louisiane) et
l’incarcération jusqu’à la mort
Le mot d’ordre « Sauvons la vie de Julian Assange »
a tout son sens. Il y a (eu), comme nous l’avons déjà évoqué, des plans sérieux
pour le kidnapper et l’empoisonner. Mais avec ce qui se passe, encore
aujourd’hui, pour de nombreux prisonniers politiques noirs, arrêtés il y a un
demi-siècle et condamnés à des dizaines d’années de prison ou à la perpétuité
sans possibilité de libération conditionnelle, on comprend que la menace de
mort ne s’arrête pas là. L’enfermement et l’isolement jusqu’à la mort font
partie de la politique carcérale impitoyable du goulag étasunien. Prenons
quelques exemples.
La plus grande prison à sécurité maximale des États-Unis,
avec 6 300 prisonniers et 1 800 agents pénitentiaires et agents
d'entretien, se trouve dans l'État de Louisiane. Ouverte en 1901, elle était
connue comme « la prison la plus dure et la plus sanglante
d'Amérique ». Elle reçut le nom d’Angola, d’après le pays africain d’où
venaient les esclaves pour travailler sur l'ancienne plantation de coton qui
occupait ce terrain. Au cours des dernières décennies, disent les autorités
pénitentiaires, la prison a été transformée en « une prison modèle avec des
programmes de formation confessionnelle et professionnelle ». Examinons
cette prison-modèle de plus près à travers l’expérience d’Albert Woodfox.
Albert Woodfox est né le 19 février 1947 à la Nouvelle-Orléans. Après une jeunesse extrêmement difficile, il arrive en prison à l’âge de 26 ans. Il fait son premier séjour à la prison d’Angola en 1965 après avoir été reconnu coupable d'une série de délits mineurs. Le régime pénitentiaire y ressemblait à celui des jours de l'esclavage. Les prisonniers noirs, comme Woodfox, effectuaient des travaux agricoles à la main, sous la surveillance de gardiens de prison blancs à cheval, fusils de chasse sur les genoux. Les nouveaux détenus tombaient souvent sous un régime d'esclavage sexuel encouragé par les gardiens.
Albert sort de prison, mais en 1969, il y entre à nouveau,
cette fois pour vol à main armée. Avant de retourner à Angola, il passe des
mois à la prison de Tombs où il devient membre des Black Panther Party
(BPP). « C'était comme si une
lumière s'allumait dans une pièce à l'intérieur de moi dont j'ignorais
l'existence », écrit-il. « J'avais une morale, des principes et des
valeurs que je n'avais jamais eus auparavant. Plus jamais je ne serai un
criminel ».
En 1971, il est
renvoyé à Angola. Il y met sur pied une section du BPP avec Herman Wallace et Robert
King. Ensemble, ils organisent des manifestations et des grèves pour de
meilleures conditions de vie, contre le racisme et contre la cueillette non
rémunérée du coton par les prisonniers enchaînés. Un an après, suite à une émeute dans la
prison, Woodfox et Wallace sont accusés et condamnés pour le meurtre d’un
gardien. L’année suivante, King sera accusé d’un autre meurtre en prison. Tous
les trois clament leur innocence. Il n’y a pas de preuves, il n’y a que les
témoignages de quelques détenus en échange d’une promesse de diminution de
peine. Woodfox et ses camarades risquent la peine de mort. Sauf que, par pur
hasard, cette même année, la Cour suprême déclare la peine de mort
inconstitutionnelle. Ne pouvant pas les exécuter, les autorités de la prison
décident alors de les enterrer vivants dans une cellule en isolement total.
Ainsi, depuis le 18 avril 1972, Woodfox est mis dans une
cellule de 1,83 mètre sur 2,74 mètres pendant 23 heures par jour, jusqu’au jour
de sa libération, le 19 février 2016. Soit pendant près de quarante-quatre
(44 !) ans. Ces décennies en isolement font de lui le prisonnier le plus
longtemps soumis à ce régime de toute l’histoire des États-Unis.
« Le confinement solitaire en prison est l’attaque non physique la plus horrible et la plus brutale contre un être humain », a déclaré Albert Woodfox dans une interview à Democracy Now, le 29 mars 2022. « Au cours de plus de quatre décennies de confinement solitaire, j’ai vu des hommes devenir fous, j’ai vu des hommes s’automutiler, vous savez, en essayant de faire face à la pression d’être confinés dans une cellule de 2 mètres de large sur 3 mètres de long, 23 heures sur 24. Étant libre, je souffre encore d’attaques claustrophobes. Je suis en mesure de mieux les contrôler maintenant, car mes mouvements physiques dépassent désormais 3 mètres ».
Woodfox n’a pas été brisé. Il est resté sain d’esprit,
gardant sa fierté, sa dignité et sa combativité : « Nos cellules
étaient censées être des chambres de la mort, mais nous les avons transformées
en école ». Ils se sont enterrés dans les livres sur l’histoire des Noirs,
ils ont organisé des jeux, des tests de mathématiques et des quiz en criant ou
en frappant sur les tuyaux. Et Woodfox est surtout fier d'avoir appris à lire à
plusieurs jeunes prisonniers.
Entretemps, les trois détenus sont devenus connus dans le
monde entier sous le nom des « Angola Three ». Herman Wallace a été
libéré pour des raisons médicales en 2013, après une bataille juridique et la
déclaration de médecins qu’il n’avait plus que quelques semaines à vivre à
cause d’un cancer du foie. Même à ce moment-là, un juge fédéral s’y est opposé,
affirmant que Wallace devait mourir en prison. Mais un autre juge a ordonné sa
libération et Wallace est sorti de prison le 1er octobre 2013… pour
mourir à peine trois jours après, à l’âge de 71 ans. Robert King, lui, a été
libéré après 29 ans en isolement après qu’un tribunal a rejeté sa condamnation.
Pendant toutes ces décennies en isolement, Albert Woodfox a obtenu plusieurs fois gain de cause devant les tribunaux qui ont reconnu son innocence. Une dernière fois en juin 2015, lorsqu’un tribunal du cinquième circuit a conclu qu'Albert devait être libéré immédiatement et sans condition. Mais comme à chaque fois, les autorités pénitentiaires de l'État de Louisiane ont fait appel et Albert a été maintenu en isolement. Woodfox se préparait alors à entamer un quatrième procès pour prouver son innocence et réclamer sa libération. Mais, il change d’avis et il accepte ce qu’on appelle un Alford deal en échange de sa libération immédiate. Woodfox sait que ses problèmes de santé et son âge lui réservent le même sort que son ami Wallace. Après sa libération à l’âge de 69 ans, il déclare : « Bien que j'attende avec impatience un nouveau procès pour prouver mon innocence, des inquiétudes concernant ma santé et mon âge m'ont amené à mettre fin à cette affaire maintenant et à obtenir ma libération. J’ai maintenu mon innocence tout en acceptant la non-contestation des charges moindres. »
Woodfox, souffrant toujours de terribles périodes de claustrophobie, fait paraître un livre « Solitary », dans lequel il explique qu’il a transformé sa douleur en compassion. Comme on lui demande souvent ce qu'il changerait dans sa vie si c’était à refaire, il écrit : « Ma réponse est toujours la même : ‘Pas une seule chose.’ Tout ce que j’ai traversé a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui. Pour survivre, j’ai dû devenir une meilleure personne, une personne plus sage, une personne plus disciplinée. J'ai payé un lourd tribut ». Et son frère le décrit ainsi : « Il n'était pas amer et en colère. Il voulait juste du changement. Il voulait la justice. Ce n'était pas la justice seulement pour lui-même. C'était pour chaque détenu là-bas. »
Albert a fait le tour des États-Unis, et au-delà, pour
témoigner contre l’isolement carcéral. Ses craintes sur son âge et sa santé se
sont malheureusement avérées justes, quand, atteint mais guéri du COVID 19,
plusieurs organes ont été touchés et ont commencé à faire défaut. « Tous
les abus infligés à son corps par son incarcération à Angola sont
revenus », a commenté son avocat. Six ans après sa libération, Albert
Woodfox est décédé le 4 août 2022, à l’âge de 75 ans.
La longue liste
macabre de détenus politiques
Photo Truthdig, Herman Wallace à sa sortie de prison, Free at last |
L’exécution des détenus politiques se fait donc ainsi : par la détention jusqu’à la mort en prison ou par leur libération uniquement lorsqu’ils sont gravement malades et sur le point de mourir. Herman Wallace est mort à 71 ans, trois jours après sa libération, Woodfox à 75 ans, après six années de liberté. La prisonnière politique Marilyn Buck est morte en 2012, à 62 ans, un mois après sa libération de la prison où elle avait passé 25 ans.
Et cette liste n’est pas complète. Ne leur permettons pas
d’y ajouter le nom de Julian Assange.
ANNONCE
Luk Vervaet
Ni parmi les vivants, ni parmi les morts
Ce qui attend Julian Assange
À paraître chez Antidote http://www.antidote-publishers.be/ (septembre
2022)
Préface : Marie-France Deprez, Comité Free Assange Belgium ;
Dessins : Michel Soucy Jr, www.soucymichel.com ;
Correction : Nadine Rosa-Rosso ; Conception graphique : Cédric Rutter, La
Guillotine, les éditions qui tranchent, www.assolaguillotine.wordpress.com
ISBN : 978-2-930802-34-3
Dépôt légal : D/2022/13452/4
© Antidote Publishers 2022
208 pages, prix : 10 euros
Pour commander :
merci de verser 13 euros (frais d‘envoi inclus) sur le compte
d’Antidote :
IBAN : BE20 0004 2359 4956
avec communication « Assange » ET votre « adresse
postale ».
« … Cet essai apporte de façon précise et documentée
les éléments nécessaires qui démontrent et confirment que nous avons raison et
qu'il faut absolument empêcher que Julian Assange ne soit extradé. Ses
conditions d'incarcération aux États-Unis seraient terribles – pires encore
qu'à Belmarsh- et aucune des garanties données par le États-Unis n'est
crédible. Son extradition signifierait pour lui une mort certaine et pour l'ensemble
des journalistes, l'affirmation par les États-Unis qu'ils ont le droit de
contrôler l'information, de décider de ce qui peut et doit être dit aux
citoyens pour au final les contrôler.
Cet essai aidera à ne pas laisser faire ! »
Marie France Deprez, co-fondatrice Comité
Free.Assange.Belgium
Commentaires