A propos de Samira et des jeunes détenus.

Elle me fait penser aux mères de la Playa de Mayo en Argentine.
Samira Benallal : c’est le genre de femmes qui peut faire tomber une dictature. Elle se bat en premier lieu pour l’avenir de ses propres enfants. Elle habite à Bruxelles, avec sa famille et envoie ses enfants dans une école néerlandophone, pour leur « donner un maximum de chances dans ce pays ». Elle-même ne parle pas néerlandais, ce qui ne lui facilite pas la vie dans ses contacts avec l’école. Elle mobilise autour d’elle toute personne qui peut aider ses enfants dans leur suivi scolaire.
Mais son asbl Declik, elle l’a mise sur pied pour les jeunes des quartiers populaires de Bruxelles. Et comme si cela ne suffisait pas, cela fait des années qu’elle remue ciel et terre pour la protection de son plus jeune frère, Nordin. Nordin est en prison. Quand la police le recherchait, elle l’avait baptisé « l’ennemi public N°1 ».
Samira n’a pas d’exigences déraisonnées.
Elle ne conteste pas l’incarcération de son frère, ni même sa condamnation. Elle demande seulement qu’on lui donne une seconde chance ainsi que du respect pour tous les prisonniers, ne serait-ce que dans l’intérêt de la société elle-même.
En tant qu’éducateur en prison, je ne peux que souscrire à la lettre de Samira.
Les transferts arbitraires et inattendus vers d’autres prisons déstabilisent les détenus. Ils rendent impossibles plannings et perspectives. Ils interrompent les formations. Les raisons invoquées pour ces transferts sont soit la surpopulation carcérale, soit le comportement du détenu, jugé négatif ou (trop) positif. Les transferts sont légion après un incident en prison. Mais, plus étrangement, trop de comportement positif inquiète. Si quelqu’un commence à se sentir « comme chez soi », si des liens d’amitié se nouent (pour autant que cela soit possible en prison), alors le transfert menace... Tout cela fait partie de la punition, même si cela ne sera jamais exprimé ainsi lors de la condamnation.
J’aimerais ajouter quelques points sur la situation dans les prisons. Les délinquants à qui nous avons affaire sont de plus en plus jeunes. Il s’agit de la « génération perdue » des enfants du peuple, le plus souvent dépourvus d’un diplôme du secondaire, souvent issus de famille de l’immigration, même s’ils ont aussi peu avoir avec l’immigration que vous ou moi. Leur seul lien est le plus souvent leur patronyme et la couleur de leur peau. Mais cela suffit pour leur faire porter un stigmate. Ajoutons à cela l’échec scolaire et le statut socio-économique, tout est là pour en faire glisser certains sur la pente de la délinquance.
L’unique réponse de la société est l’enfermement des délinquants dans les prisons. Pratiquement tous les partis politiques ont affirmé lors de la campagne électorale belge du 10 juin 2007 « qu’il faut davantage de prisons et de cellules ». Les uns à partir de « considérations humanitaires » car les prisons seraient décidément (trop) surpeuplées ; les autres pour des raisons purement répressives. A ce sujet, pas question de « cordon sanitaire ». Les seules divergences portent sur le nombre de cellules à créer.
Une fois de plus la “gauche” s’affiche sur un thème qui réussit à la droite. Quel que soit le nombre de cellules, il y a fort à parier qu’elles seront plus vites remplies qu’elles ne seront construites. Et, l’expérience d’autres pays nous le montre, la sécurité de la société n’en sera pas pour autant mieux garantie.
Un autre thème couru de la campagne électorale était la peine en elle-même.
Ici aussi règne la quasi-unanimité : « Il faut en finir avec les libérations conditionnelles des détenus grâce à la loi Lejeune ». Ici encore, de petits différends pour la forme. Pour les uns la loi Lejeune existe à peine dans la pratique et il n’est même pas nécessaire de la supprimer, pour les autres il faut formellement abroger la loi. Des peines plus longues et plus dures ? Personne ne peut réellement croire que cela résoudra quelque problème que ce soit. C’est une surenchère électorale de plus pour plaire à l’opinion publique. Une opinion publique qui se forme de plus en plus, non pas au travers de son expérience propre, d’analyses objectives ou des prises de positions d’une organisation syndicale ou associative, mais au travers de « ce qu’on voit à la télévision ou ce qu’on lit dans le journal ». Cela fait des années que jour après jour chaque délit d’y étale, en gros plan ; on peut véritablement parler de la création d’une culture de la peur.
La détention commune et de longue durée des délinquants est pour eux soit la meilleure école du crime, soit une manière de les briser et de les détruire psychologiquement.
Un seul exemple : l’organisation française Ban Public vient de révéler que cinq suicides ont eu lieu en une semaine dans les prisons françaises en juin 2007. Elle signale que le nombre suicides dans les prisons est sept fois plus élevé que la moyenne nationale dans le reste de la société (http://prison.eu.org/article.php3 ?id_article=9748).
Si vous pensez que cela ne concerne que la France, voici un chiffre de la prison d’Andenne, prison sur laquelle Samira écrit : en 2003, on y a signalé sept suicides sur quinze mois de temps ! Combien d’autres depuis, je ne le sais pas. Seulement ceci : il y a juste deux semaines, le détenu Domingos D.C. s’y est pendu dans sa cellule, un peu avant minuit. Mais ce fait divers, on ne l’a pas étalé sur les chaînes de télévision ou dans les colonnes des journaux.

http://www.lereporter.ma/article.php3?id_article=4108

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