Interview de Khadija Ryadi à l’occasion de la douzième audience du procès Ali Aarrass
Rabat, le 9 mai 2012
Khadija Ryadi est la présidente de l'Association marocaine des droits humains (AMDH )
Khadija Ryadi est la présidente de l'Association marocaine des droits humains (AMDH
Luk Vervaet (LV) : Le
procès d'Ali Aarrass a de nouveau été reporté au 21 mai. Ali
était dans un état pitoyable – il souffre d'une allergie extrême
; il a été victime d'une agression en prison et ne sort plus de sa
cellule depuis quelques mois. Il était extrêmement faible parce
qu'il a fait une grève de la faim d'une semaine contre ses
conditions de détention.
Khadija Ryadi (KR) :
C'est d'autant plus grave quand on sait qu'il n'y a pas de preuves
contre lui et que son dossier est vide. Son extradition à partir de
l'Espagne était illégale. Si, en plus, sa santé et ses conditions
de détention en prison se détériorent, on peut vraiment dire que
ses droits sont bafoués.
LV : Sa situation de
détention est-elle particulière ?
KR : Il règne une
situation moyenâgeuse au sein des prisons. L'arme de la grève de la
faim est souvent utilisée comme ultime défense par les détenus. Il
faut savoir que le nouveau délégué général de l’administration
pénitentiaire et de la réinsertion est un monsieur qui figurait
dans la liste, publiée en 2000, des personnes à propos desquelles
nous disposons des indications fortes sur leur responsabilité dans
la torture de détenus. Il a été l’ancien patron de la Sûreté
Nationale. Il a été nommé à son nouveau poste après les évasions
spectaculaires des prisons. Sa nomination était clairement un choix
pour le tout sécuritaire. En plus, depuis sa nomination,
l'administration pénitentiaire ne dépend plus du ministère de la
Justice. Elle dépend directement du chef du gouvernement. Mais, dans
les faits, l'administration ne dépend que de lui-même et ne rend de
comptes à personne.
LV : Quelles sont les
conséquences de ces changements au sommet ?
KR : La réponse à
tous les problèmes du monde carcéral est devenue une question
d'immobilier, de construction de nouvelles prisons. Quand on soulève
un problème, on vous répond avec les nouvelles règles et normes
qui seront mises en application et par des maquettes de nouvelles
prisons à construire. Entretemps, la situation au sein des prisons
s'aggrave. Également pour les militants politiques et les dossiers à
caractère politique, dont fait partie l'affaire Ali Aarrass. Des
actes de violence, de vengeance et de torture des détenus sont de
retour. Les ONG qui visitaient les prisons ne peuvent plus y mettre
un pied. Il y a quelques jours une instance suprême pour la réforme
de la justice vient d'être créée, composée d'une quarantaine de
personnes. Quelques personnes des ONG comme l'observatoire marocain
des prisons en font partie. On verra ce que cela va donner.
LV : À combien
estimez-vous le nombre de détenus politiques au Maroc ?
KR : Il n'y a pas de
chiffres exacts. Mais il s'agit d'un grand nombre de dossiers qu'on
peut estimer à quelques centaines. Il y a d'un côté les détenus
politiques pour prétendue association ou délit terroriste, qui
n'ont pas eu droit à un procès équitable. Puis, il y a les membres
de l'UNEM, les Sahraouis, les participants au Mouvement du 20
février, les syndicalistes dans les luttes sociales. Dans ces
derniers cas, il s'agit souvent de courtes peines. Il est difficile
de tenir des statistiques, parce qu'au moment de leur publication,
ils sont parfois déjà sortis de prison. Mais on sort quand même
chaque année un rapport avec la liste de tous ceux et celles, qui
ont été en prison pendant cette année-là.
LV : Comment
voyez-vous l'état du mouvement démocratique au Maroc. En marchant
vers ici nous avons rencontré une manifestation de quelques
centaines d'universitaires chômeurs qui demandent que le
gouvernement tienne ses promesses sur l'engagement des chômeurs
diplômés.
KR : ils sont là
chaque semaine depuis plus d'un an. Les manifestations continuent.
Chaque mois, il y a des marches dans les grandes villes. Il faut
savoir que dans les zones rurales, les démonstrations continuent
aussi, comme à Ifni1.
Là il y a souvent plus de violence et de répression que dans les
grandes villes où on tolère plus facilement une manifestation quand
il y a beaucoup de monde.
En même temps, on peut
dire qu'après les élections, il s'est installé une phase
d'attente. On veut donner toutes les chances au nouveau gouvernement
d'entamer le changement. En tant qu’AMDH, nous n'avions pas pris
position s'il fallait oui ou non boycotter le scrutin d'il y a
quelques mois. C'est l’affaire des partis politiques. Mais on a
élaboré une critique sérieuse de la nouvelle constitution.
Vous pouvez la retrouver dans nos
publications2.
De toute façon, s'il n'y a pas de changement pour les grands
problèmes que rencontre le peuple marocain au niveau des salaires,
du chômage, de la vie chère, etc., le mouvement va reprendre
toute son ampleur.
LV : Vous avez pris
la décision de mettre sur pied des vraies sections de l'AMDH en
Europe. Pourquoi cette démarche ?
KR : D'abord, il faut
souligner que l'AMDH est ouverte à tous les citoyens, marocains ou
pas. Les sections dans des pays comme la Belgique, doivent faire un
travail avec les Belges et les non-Belges. S'adresser aussi bien aux
autorités belges que marocaines concernant tous les problèmes que
rencontrent les personnes d'origine immigrée. Ensuite, il faut
établir des relations et des collaborations avec les ONG d'Europe.
Ceci est important quand on sait qu’au siècle passé les
démocrates européens ont joué un rôle très important dans la
lutte contre la dictature au Maroc.
LV : Justement, ne
peut-on pas dire que, contrairement au passé, on est en retard,
aujourd'hui en Europe, sur les mouvements démocratiques dans le
monde arabe ?
KR : Nous avons
constaté une très mauvaise connaissance de ce qu'on appelle le
printemps arabe dans les pays européens. Nous ne pouvons qu'être
déçus quand on entend des démocrates européens parler et soutenir
la thèse de « l'exception marocaine ». Ce qu'on cherche,
c’est un soutien européen à la lutte menée ici. Et qu'en même
temps, ils luttent contre leurs gouvernements occidentaux qui
continuent à avoir des relations privilégiées avec le Maroc. Le
printemps arabe a mis au clair comment ces régimes occidentaux ont
profité financièrement des despotes comme Ben Ali ou Moubarak, mais
aussi comment ils ont utilisé ces régimes pour se protéger contre
le terrorisme et l'immigration. Un des éléments pourquoi le soutien
dans les pays européens est moindre est que dans les années
soixante ou soixante-dix, l'immigration était dominée par les
militants, tandis que maintenant on est plutôt face à une masse non
politisée.
LV : Quel regard
portez-vous sur l'Europe à partir d'ici ?
KR : La crise
économique européenne nous inquiète. Il y a l'effet
d'appauvrissement pour les citoyens européens. Il y a aussi l'effet
indirect pour toutes ces familles marocaines, qui ont moins de
revenus parce qu'il y a moins d'argent transféré par l'immigration
à cause de la crise. Les ONG européennes ont moins de moyens
financiers pour nous venir en aide. Et puis, en parallèle avec
cette crise, il y a bien évidemment la crise politique où on voit
que l'extrême droite européenne progresse partout.
1http://www.lesoir-echos.com/retour-au-calme-a-sidi-ifni/presse-maroc/48572/
2http://www.yabiladi.com/articles/details/7041/marocaines-critiquent-nouvelle-constitution-volet.html
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