Ali Aarrass : 1555 jours de détention !
Où en est-on dans l’affaire Ali Aarrass ?
Le 18 juin 2012, la
Cour d’appel du Tribunal de Salé a été définitivement composée de 5
juges, dont une femme, pour juger l’affaire Ali Aarrass. La défense
d’Ali Aarrass, Maitres Cohen, Dadsi et Jallal, ont plaidé pendant
presque trois heures devant ces juges pour que des éléments
complémentaires soient ajoutés au dossier de leur client. Ces éléments
sont indispensables pour garantir un procès équitable. Les avocats ont
ensuite déposé leurs demandes par écrit, en français et en arabe, sous
forme de conclusions devant la Cour. Le résultat de semaines de travail
acharné de la part de la défense, dont nous espérons qu’il convaincra la
Cour d’appel.
Un dossier à caractère international et…incomplet
Les avocats ont
d’abord rappelé à la Cour que si la défense d’Ali Aarrass était composée
aussi bien d’avocats marocains que belges et espagnols, c’était pour
être à la hauteur d’un procès à dimension internationale, qui concerne
le Maroc, l’Espagne et la Belgique. En avril 2012, le Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies a publié une résolution qui est
parfaitement applicable au dossier Ali Aarrass. Le Conseil y met en
garde et se dit vivement préoccupé quant aux violations des droits de
l’homme dans la lutte contre le terrorisme. Il demande un engagement
clair de la part des états qu’ils agiront conforme aux droits
internationaux, qui visent à protéger les libertés et les droits de
l’homme dans la lutte antiterroriste. Le texte insiste à ce que tous les
inculpés bénéficient d’un procès équitable. Ceci n’est manifestement
pas le cas pour Ali Aarrass, tant qu’on ne dispose pas de tous les
éléments qui manquent dans ce dossier et dont la défense demande à la
Cour d’ordonner leur jonction au dossier. En voici les principaux.
Ali Aarrass a-t-il été jugé pour les faits pour lesquels il a été extradé par l’Espagne ?
Il s’agit d’abord du
document du mandat d’arrêt international marocain et le résumé des faits
reprochés. Ces documents ne se trouvent toujours pas dans le dossier,
malgré la demande de la défense depuis un an d’obtenir ces documents. Il
s’agit de savoir si Ali a bien été jugé pour les faits pour lesquels il
a été extradé ou pour quelque chose de tout à fait différent. Cette
dernière possibilité serait une violation d’un des principes clé de la
législation sur l’extradition qui dit qu’une personne extradée ne peut
être jugée que pour les faits pour lesquels l’extradition a été
sollicitée et obtenue.
Deuxièmement, la
défense demande à la Cour d’ordonner l’ajout au dossier du procès-verbal
d’expertise des armes dont on accuse Ali Aarrass d’avoir été le « transporteur ».
« Des aveux concordants avec des déclarations »…qui ne se trouvent pas dans le dossier
Troisième élément : le juge d’instruction a dit que les soi-disant aveux d’Ali sont « concordants avec les déclarations de monsieur Belliraj et Benyattou ». En ce qui concerne les « aveux »
d’Ali Aarrass, la défense demande une expertise graphologique
contradictoire de la signature d’Ali Aarrass, qui figure sur son
audition de décembre 2011. En ce qui concerne les déclarations de
Belliraj et Benyattou : elles ne se trouvent même pas dans le dossier !
Or, il existe un article formidable dans le code pénal marocain, qui ne
se trouve pas dans le code pénal français, disant que le dossier contre
un inculpé doit avoir obligatoirement un caractère contradictoire. La
défense demande dès lors que toutes les auditions réalisées avec
Abdelkader Belliraj et Bin Rabeh Benjettou dans d’autres procédures et
non uniquement celles qui pourraient contenir des éléments à charge
contre Ali Aarrass soient ajoutées au dossier. La défense demande que
monsieur Belliraj soit confronté à Ali Aarrass devant le tribunal.
Des armes… qui n’ont jamais été trouvées
Une autre épisode ne
se trouve elle non plus dans le dossier, comme si elle n’avait jamais eu
lieu. Pendant sa garde à vue, sous la responsabilité du procureur
général, Ali Aarrass a été amené à Nador pour y trouver des armes. Pour
échapper à une des sessions de torture, Ali « a avoué » qu’il y
avait des armes à Nador. Ils l’amènent là-bas, creusent tout un jardin,
sans rien trouver. Tout ceci ne se trouve pas dans le dossier. La
défense demande à la Cour d’entendre monsieur Abdelhakim Alisbai, un
journaliste qui a assisté à toute cette scène et qui y a consacré un
article en première page d’un journal.
L’examen médical par trois médecins légistes de la plainte d’Ali Aarrass sur la torture est de la vaste blague
Lors de la dernière
audience de 21 mai 2012, le procureur a déclaré que Ali Aarrass n’a pas
été torturé et qu’un rapport de trois médecins légistes le confirme et
le prouve. Or, ce rapport des trois médecins légistes, Fatima Ait
Boughima, Nezzar El Fattemi et Fayçal Dlimi, qui ont examiné Ali le 8
décembre 2011 sur sa plainte sur la torture n’est pas digne de ce nom et
doit être rejeté.
Maitre Cohen a présenté à la Cour un gros document, intitulé « Protocole
d’Istanbul : Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Ce
document des Nations Unies établit la méthode à suivre pour déterminer,
même des mois après les faits, si quelqu’un a été torturé. Ce document
permet aussi de juger si une enquête sérieuse a été menée. Ceci n’est
manifestement pas le cas. « L’expertise » des trois médecins ne
donne aucune précision sur les examens neurologiques,
ostéo-articulaires, thoraciques et cutano-muqueux qui ont été réalisés
sur Ali Aarrass. Où sont les résultats ? Quelles méthodes ont été
utilisées ? De plus, aucun psychiatre n’a rencontré Ali Aarrass pour
examiner ses séquelles psychologiques.
La lecture du rapport
médical présenté par la procureur sert à disculper les tortionnaires et
à prouver la culpabilité d’Ali Aarrass. Pour rejeter ce rapport il n’y a
pas seulement le Protocole d’Istanbul, il y a aussi les conclusions du
Docteur Beynon après sa lecture du rapport marocain. Ce docteur est un
expert indépendant sur la torture pour le IRCT (International
Rehabilitation Council for Torture victims, qui réunit 140 organisations
indépendantes dans 70 pays). Avant, le docteur Beynon était le
coordinateur sur la santé en détention pour le Comité international de
la Croix Rouge à Genève. Les conclusions du Docteur Beynon sont sans
équivoque : le rapport est totalement incomplet et réalisé selon une
méthodologie non-conforme aux standards internationaux.
Pour conclure Maitre
Cohen a appelé les juges à refuser de juger une personne qui
vraisemblablement a été soumise à la torture. « Vous ne pouvez pas
juger quelqu’un sans enquête véritable sur sa plainte contre la
torture. Vous avez ici l’occasion de rendre un jugement qui fera
jurisprudence dans la justice marocaine », a lancé Maitre Cohen à la Cour.
La prochaine audience du procès aura lieu le lundi 24 septembre.
Nous vous appelons à assister à cette audience importante.
Pour pouvoir y
assister vous devez compter 3 jours : départ le samedi/dimanche,
assister à l’audience le lundi, retour le mardi.
Luk Vervaet et Farida Aarrass
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