Introduction à : « Du maoïsme à la gauche respectable : le prix à payer » (à paraître aux éditions Antidote)
(Photo : Emile Roemer, président du SP (Pays-Bas) et Peter Mertens, président du PTB (Belgique)
Luk Vervaet, 19 mai 2014
Luk Vervaet, 19 mai 2014
En
réponse à l’appel à voter PTB-go de Guy Leboutte1, qui cite en même temps le SP des Pays-Bas comme
« l'exception notable»
parmi
les partis socialistes européens,
je ne peux que faire entendre une autre voix sur le PTB et sur le SP
néerlandais.
Je
fais encore partie de ceux et de celles qui ne croient pas que le
changement tant désiré dans nos sociétés viendra des parlements.
Ce texte ne poursuit pas un objectif électoral. Loin de moi
cependant de m'opposer aux appels électoraux de voter « à
gauche ». Pas plus que je ne m'oppose pas à ceux à voter pour
Zoé Genot ou Zakia Kathabi, deux élues engagées qui ont fait un
travail parlementaire remarquable sur des sujets difficiles sur
lesquels aucun parti de gauche ne s'est aventuré. Je pense ici aux
interpellations courageuses de ces femmes pour défendre les droits
des inculpés pour terrorisme ou des binationaux. Ou pour Groen !
ou Vega etc., qui ont un programme au moins autant à gauche, voire
plus, que PTB-go. A chacun et à chacune de faire son choix parmi des
partis aux programmes assez semblables.
Je
ne plaide pas ici pour le retour au « bon vieux temps de la
gauche radicale», définitivement révolu. Tout comme celui d'un
«réformisme social, modéré
et démocratique», dont
rêvent le PTB ou le SP, ne reviendra plus.
Dans
un climat politique où règne le désintérêt pour les "vieilles
histoires du passé", où tout est dans l’apparence, la
formule bien trouvée et l'art de la communication, ce texte propose
la réflexion sur quelques éléments de l'histoire du mouvement
révolutionnaire des trente dernières années en Europe. Il essaie
surtout d’analyser le prix payé par d’anciens partis
révolutionnaires afin de se rendre acceptables pour le système
capitaliste et présentables sur les plateaux de télévision de nos
pays, parmi les plus riches au monde.
Une
histoire commune
Le
SP (Pays-Bas) et le PVDA/PTB (Belgique) ont une histoire commune.
D'abord, par leur origine marxiste-léniniste et maoïste. Ensuite
par leur transformation en partis de gauche (socialistes), et, enfin,
par leurs percées électorales dans leur plat pays respectif. Avec
cette différence que le PTB, longtemps considéré comme un des
derniers bastions du marxisme-léninisme et du maoïsme en Europe, a
attendu 2004, vingt années de plus que le SP, pour s’engager sur
la voie social-démocrate. Ce tournant n'a pu se produire qu'après
l'exclusion en 2004 d’un groupe de cadres autour de l'ancienne
secrétaire-générale Nadine Rosa-Rosso du PTB. Et ce n'est qu'après
la maladie et la mort du fondateur et président du PTB, Ludo
Martens, sept ans plus tard, que Peter Mertens et Raoul Hedebouw ont
enfin eu « le courage » de dénoncer publiquement Staline
et Mao. Ce qu'ils n'avaient jamais osé faire dans le parti
auparavant alors qu’ils étaient déjà cadres à l’époque de
Nadine et de Ludo.
En
2014, le changement du PTB se résume par la phrase où toute
référence au communisme ou au socialisme est effacée et le choix
parlementaire et réformiste clairement affiché : « Le
PTB (Parti du Travail de Belgique) est un parti national et bilingue
(connu sous le nom de PVDA en néerlandais), fondé en 1979. Son
programme électoral en 25 points est intitulé « Les gens d’abord,
pas le profit ».2
Une
adaptation aux temps modernes ?
La
« modernisation » de ces deux partis ne signifie pas un
renouveau de leurs origines : ils n'ont en rien élaboré une
ligne révolutionnaire moderne ou nouvelle. La modernisation a
consisté essentiellement dans la négation et le rejet, non pas du
capitalisme et de l'impérialisme monstrueux, mais de leur propre
passé communiste et révolutionnaire. Ils n'ont fait aucun
bilan des expériences communistes et révolutionnaires du XXème
siècle. Ils les rejettent en bloc, tout en soulignant que nous,
Européens, n'avons rien à voir avec ces expériences « exotiques »,
traduisez barbares ou arriérées, de la Chine de Mao ou du Cuba du
Che.
Ainsi,
quand on observe leur évolution dans un cadre plus large, ces partis
s'alignent objectivement sur le nettoyage politique social-démocrate
qui a accompagné la liquidation de toute expérience communiste dans
le monde3.
Ils se soumettent de fait à la récente opération mondiale de
criminalisation, pudiquement appelée campagne de "dé-radicalisation"
de "l'extrémisme de
l'extrême-droite, de l'extrême gauche et de l'islamisme"4.
Si
la gauche capitule sur la nécessité du'un changement
révolutionnaire et radical, dont les peuples pressentent de plus en
plus le besoin, elle abandonne totalement cette perspective aux
extrémistes réactionnaires de tout poil.
En
lieu et place de leur passé communiste, les deux partis embrassent
un passé beaucoup plus lointain, et bien plus sanglant que le leur,
celui de la social-démocratie. En ce centenaire de la première
guerre mondiale, rappelons que c’est bien elle qui a trahi
l’intérêt des peuples et que les élus sociaux-démocrates qui
s’y sont opposés ont assassinés tout comme ont été fusillés
les ouvriers et paysans qui tentaient de fuir cette boucherie.
Pour
ces deux partis de l'ex-gauche radicale, une réflexion sérieuse sur
l’alternative et les réponses révolutionnaires aux problèmes des
temps modernes (crise généralisée et fascisation du système
capitaliste dans un monde sans camp socialiste, nouvelle situation
internationale, guerres sans fin, fascisme et racisme, terrorisme,
décomposition de la classe ouvrière traditionnelle..) a été
remplacée par l'adoption des vieilles recettes réformistes et par
la formulation d'une sorte de conte de fée, le socialisme éthique
et angélique dont on rêverait tous, connu sous la formule
mystérieuse de Peter Mertens « Socialisme 2.0 ».
Ainsi,
ils ne font que reprendre la place laissée vide par les anciens
partis sociaux-démocrates discrédités, comme le PVDA aux Pays-Bas
ou le SPa/PS en Belgique. Ils reprennent le discours d'avant le grand
tournant libéral de ces vieux partis : protection de nos acquis
sociaux, renforcement du contrôle de l'État, renforcement de l'État
providence, renforcement du rôle du parlement. Le tout accompagné
d'un discours contre l'égoïsme et la soif insatiable de profits des
(super)riches.
La
coopération entre les deux partis est intense. Il suffit de regarder
la manière de mener des campagnes, la communication (la « com »),
la personnalisation à l'extrême de Peter Mertens et de Raoul
Hedebouw (PTB) sur le mode de Jan Marynissen (SP), l'organisation de
milliers de membres passifs pour se rendre compte que ces partis sont
devenus quasi identiques. On se félicite et on se soutient, on se
rencontre à des réunions et à des meetings, on se tient informé,
on s'échange les idées, les symboles, les slogans et les titres. En
réalité, c'est surtout le PTB qui copie le SP. Le slogan électoral
du SP Tegenstemmen »
(votez contre) fut traduit par « Non
au cirque politique » et « la
tomate rouge » du SP s’est
transformée dans « les
nez rouges » du PTB Le
«100% sociaal »
du SP devient le « Super
Social » du PTB. Le
titre du programme du SP de 2003-2007 « Eerste
weg links », devient
littéralement le titre du livre de Raoul Hedebouw « Première
à gauche ».
Même
chose pour le discours sur « l'homme », qui se trouve
désormais en dehors des classes. Dans son livre « Tegenstemmen,
Een rood antwoord op paars », Marynissen avait déjà développé
comme idée centrale dans la lutte contre le libéralisme :
« l'homme n'est pas
égoïste par nature ».
Mertens s’aligne à nouveau.
Pour lui, la société serait un
« sociaal gebeuren » (un événement social), et pour
l'illustrer, il prend à témoin le professeur De Waal. Celui-ci a
comparé le comportement des singes et des humains. Mertens en déduit
qu'on ne peut pas s'en sortir sans travailler ensemble : « A
un certain moment de l'histoire, il faudra réinstaurer le respect
pour ceux qui sont en train de produire en bas, le respect pour les
deux sources de la richesse dans le monde qui sont la force de
travail et la nature »5,
et il enchaîne en dénonçant la manipulation des théories de
Charles Darwin sur « le survival of the fittest ». On est
vraiment retourné aux philosophies d'avant Marx.
Prudences
et réticences
Le
SP maintient une certaine prudence à l’égard du PTB, son nouveau
petit partenaire, qui doit encore fournir la preuve de sa capacité à
percer au niveau parlementaire. Le SP en est au stade de la
participation au pouvoir et réfléchit même ouvertement à changer
son nom « Socialiste » en « Social ». Le PTB
prend également ses précautions : tout en s'exaltant
systématiquement sur le modèle du SP Nederland, il souligne que les
deux partis sont différents et en évolution constante. Il s’agit
de ne pas effrayer ses membres avec certaines positions choquantes du
SP. Ce texte prétend que malgré certaines réticences et
différences, surtout dues au fait que les changements au PTB sont
encore tout récents, la vision politique et l'idéologie de ces deux
partis sont devenues pratiquement identiques. Leur travail au sein
des institutions ne fera que renforcer la tendance parlementariste et
réformiste.
Une
des choses embarrassantes pour le PTB, qui s'est construit une solide
réputation antiraciste pendant les trente premières années de son
existence, est que c’est grâce à ses positions racistes « de
gauche », pendant les années 80, que le SP Nederland a pu se
positionner parmi les grands partis et devenir acceptable. Tout ça
serait du passé, et comme pour tout reste gênant, on n'en parle
plus, on fait disparaître, on efface (comme l’ont été les
archives sur Internet des documents du PTB, y compris son organe
Solidaire !).
Mais
examinons cela de plus près. Non seulement le SP ne s'est jamais
distancié de ses prises de positions racistes (contrairement au
rejet de ses prises de positions communistes). Et pour raison :
sur cette question de fond, il n'a pas changé d'avis. Sur le site du
SP anno 2014 on peut lire : « Le
SP est très réticent quand il s'agit de l'immigration des
travailleurs. Tant qu'il y a des centaines de milliers de personnes
sans emploi ici, il n'est pas souhaitable d'aller chercher des
travailleurs de l'étranger. En outre, leur propre pays a souvent
beaucoup plus besoin de ces gens que nous, la migration peut
provoquer des problèmes dans le pays d'origine ».
Voyons
ce que cette « réticence » du SP veut dire dans la
pratique.
Vous
avez peut-être entendu parler de la vague d'indignation aux Pays-Bas
quand le PVV, le parti de Wilders, a créé un site en 20126
incitant "les citoyens à
rapporter les gênes et nuisances causées par les immigrés venant
de l'Europe centrale et de l'Est".
Or, c'est bien le SP qui a lancé le premier forum de dénonciation
sur son site, bien sûr sous une forme un peu plus civilisée. En
2005, le SP lance en effet un appel "à
dénoncer des cas de fausse concurrence causés par les Européens de
l'Est"7.
Un
article de 2014, paru sur SP
Transparant (un site
d'opposition néerlandais au SP) établit le lien entre le passé
antimarocain, antiturc et anti-islam du SP et ses positions actuelles
: « Dans la brochure
Gastarbeid en Kapitaal (Immigration et Capital, 1983) on retrouve les
mêmes arguments que le SP utilise ces 10 dernières années contre
les nouveaux travailleurs immigrants de l'ex-bloc de l'Est. Avec des
titres criants comme « A l'aide, les Polonais arrivent! »,
des membres du SP décrivent les Polonais, les Roumains et les
Bulgares comme de pauvres barbares venant de pays corrompus, habillés
en short et en pantoufles, et qui rendent nos quartiers dangereux par
leur alcoolisme. Il s'agirait d'une "invasion brutale» et d'un
«tsunami» qui accapare non seulement nos emplois, mais aussi ceux
de nos enfants. Pour stopper cela, le SP a mis en place une ligne de
dénonciation. Surtout le SP Rotterdam est très virulent dans la
propagation de la peur à l’égard des personnes originaires de
l’Est : " Les Polonais seront-ils là demain ? Ils sont
déjà parfois à 24 dans une maison. Lits superposés,
surpopulation, ivresse, l'exploitation et nuisances. Avez-vous une
expérience avec les Polonais ? Venez-nous le dire. " ( Sp.nl )
" Le danger est que les Polonais, les Roumains et les Bulgares
seront utilisés pour augmenter la pression sur les allocataires
sociaux à Rotterdam Nous ne devons pas accepter que tous les
habitants de Rotterdam sans emploi soient obligés d'aller cueillir
des tomates dans les serres" ( sp.nl ).
Et
l'article conclut :
« La
solidarité internationale du SP s'arrête à nos frontières. Ainsi
ce parti se fonde sur le «socialisme stalinien dans un seul pays ».
Quand il s'agit de l'Union européenne, le parti estime que les pays
riches sont les bienvenus, mais les pays pauvres et les nécessiteux
ne doivent pas être admis à l'UE (Dennis de Jong, 2014). Il n'est
donc pas surprenant que la droite et, en particulier, l'extrême
droite citent régulièrement la brochure « Immigration et
Capital » comme un exemple de bonne pratique envers les
musulmans... ».
1
voir le dernier appel de Guy Leboutte
(http://condrozbelge.com/?p=2620
3
Une première vague de dissolutions de partis a eu lieu parmi les
partis maoïstes dans les années 80 avec la dissolution des partis
comme le KPD allemand en 1980, le PCO canadien en 1983 ou encore le
PTE-ORT espagnol en 1980. Après la chute du socialisme en
Union-soviétique et en Europe de l'Est en 1989, c'était le tour
aux partis communistes traditionnels comme le PCI italien, dissous
en 1991 pour devenir le PDS.
4
Pour comprendre cette opération voir des sites comme :
https://www.counterextremism.org/,
http://www.google.com/ideas/projects/network-against-violent-extremism/,
http://www.againstviolentextremism.org/ (Ce dernier « Against
violent extremism » (AVE) a été lancé par Google Ideas au
sommet contre l'extrémisme violent tenu à Dublin en 2011. Un
projet unique entre les partenaires privés : the Institute for
Strategic Dialogue (ISD), ISD, Google Ideas, the Gen Next Foundation
et rehabstudio).
5 http://m.deredactie.be/cm/vrtnieuws.mobile/1.1936717
6
http://meldpuntoverlast.eu/nationaliteiten/polen/
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