Le PTB récolte ce qu’il sème : 80 % de son électorat s’oppose au droit de vote pour les immigrés aux élections régionales.
par Luk Vervaet
(photos de la Marche pour l'égalité et contre le racisme, France, 1983)
D’abord il y eut cet autre sondage : « Le PTB monterait jusque 5,1 % en Flandre, à
7,5 % à Bruxelles et jusque 14,6 % en Wallonie ». Cela a fait trembler
la Belgique, certains parlant d’un « séisme » et fait rêver les
progressistes. Une situation grecque en Belgique, avec une percée historique à
la Syriza, se dessine-t-elle à l’horizon ? Qui sait. Le député fédéral PTB
Marco Van Hees a déjà sorti sa calculette sur Facebook : « Si le sondage La Libre-RTBF d'aujourd'hui se
confirmait dans les urnes, au lieu d'être deux, Raoul Hedebouw et moi, à siéger
à la Chambre, nous serions... dix députés : sept de Wallonie, deux de Flandre
et un de Bruxelles.»
Alors pourquoi casser l’ambiance et parler d’un autre
sondage concernant le PTB, paru peu après ?
Sans doute parce que j’ai été un cadre dirigeant de cet ancien
parti marxiste-léniniste pendant trente ans, de 1973-2003. Où j’ai appris ce vieux
principe, maintenant hors usage, que les ambitions électoralistes et
parlementaristes ne peuvent jamais prendre le dessus sur la défense de la
partie la plus opprimée de la population : les communautés issues de
l’immigration. Or, c’est la politique du
PTB à leur égard qui me fait honte aujourd’hui. Je pourrais faire la liste de
tout ce que ce parti a sacrifié pour arriver dans le cercle des grands et dans
les médias, à commencer par le rejet total de leur passé révolutionnaire. Mais je me limite ici à leurs positions
vis-à-vis de l’immigration de ces derniers mois : celle sur la déchéance
de la nationalité pour les binationaux et la position de son électorat lors du
sondage sur le droit de vote pour les immigrés aux élections régionales.
PTB : Pas de
vote contre la nouvelle loi sur la déchéance de la nationalité pour les
binationaux
On se souvient que le parlement belge, en séance plénière, a
voté la nouvelle loi sur la déchéance de la nationalité belge pour les
binationaux en juillet 2015. [1]
Rappelons que le gouvernement français a essayé d’introduire un même projet de
loi. Ce qui a provoqué un tollé national dans ce pays et une opposition
farouche aussi bien dans ses propres rangs (la ministre Taubira a démissionné)
qu’au sein de l’opposition.
Contrairement à la France où cette loi raciste n’a
pas pu passer et où le gouvernement a dû faire marche-arrière, le parlement
belge a approuvé ce projet de loi avec « pas moins de 96 ‘oui’ et 48
‘abstentions’ (et 6 absents). Pas un seul député n’a voté contre le projet,
signifiant qu’aucun parti de l’opposition (cdH, FDF, Ecolo-Groen, PP, PS,
PTB-go!, sp.a, VB) ne s’y est opposé ».
Sous le feu des critiques, ce vote du PTB a d’abord été
défendu bec et ongles par les militants qui déclaraient que « cette déchéance était uniquement dirigée
contre des terroristes ayant la double nationalité, et non pas contre les
autres citoyens». Cette position devenant intenable, les excuses du
PTB ont commencé à circuler. Sur Facebook d’abord : « on n’a pas assez d’élus pour suivre tous les
dossiers ». Or, comme écrivait La Gauche à juste titre, ce manque de
forces n’a pas empêché les élus du PTB d’approuver « l’appel à l’unité nationale et l’investissement de 400 millions d’Euros
supplémentaires dans les forces de sécurité. Raoul Hedebouw a été tout à fait
explicite à ce sujet.»[2] Ensuite, il y a eu l’article d’une avocate du
PTB, Leila Lahssaini, sous le titre « Jambon
veut étendre la déchéance de nationalité : un terroriste aurait-il peur de la
perdre ? ». En-dessous de l’article un petit encadré sous le
titre : « S’opposer fermement à la déchéance de nationalité » où
le PTB fait son autocritique. Plus question d’un manque de forces mais d’une
attitude erronée : en fait, voyez-vous, par son abstention le PTB voulait
montrer qu’il ne s’opposait pas à la lutte contre le terrorisme, mais voulait
dire que les moyens n’étaient pas les bons. Or,
« l'absention était cependant une
erreur, notamment car la seule mesure concernant la déchéance de nationalité
aurait justifié un vote contre ».
[3].
Même si aucune opposition future contre cette loi n’était annoncée, l’incident
était clos. La chose était réglée en douceur, sans faire trop de bruit -
l’article en français n’est même pas paru du côté néerlandophone -, mais faisait
au moins taire les critiques. Aux immigrés dans et autour du parti consternés
par le vote de leur parti, on pouvait dire que les élus s’étaient trompés et
qu’on en avait fait une autocritique, comme dans le bon vieux temps maoïste.
80% des électeurs du
PTB contre le droit de vote des immigrés aux élections régionales
Philippe Close du PS avait fait une proposition qu’on peut
difficilement taxer de révolutionnaire. Cet échevin du tourisme bruxellois n’avait
comme ambition que de faire briller « la
diversité et l’ouverture de Bruxelles » et de mettre fin à une
situation d’exclusion de 30% de sa population, « en accordant le droit de vote aux élections régionales à tous
ceux qui résident en Belgique depuis plus de 5 ans ». [4]
Un sondage s’ensuivit : à la question faut-il élargir
aux élections régionales le droit de vote des étrangers, les répondants du
sondage RTBF/La Libre/Dedicated ont répondu "non" à 54%. Les chiffres
par région sont : Bruxelles 49% contre. La Flandre 50% contre. La Wallonie 62%
contre. [5]
A Bruxelles, voici le nombre d’électeurs par parti qui sont
contre ce droit de vote : 33% des électeurs d’Ecolo, 52% du PS, 69% du
CDH, 70% du MR, et record absolu : 80% des électeurs du PTB se
prononcent contre ce droit de vote !
En Wallonie, sont contre : 62% des
électeurs d’Ecolo, 68% du CDH, 71% du PS, 77% du PTB, et 78% du MR !
Dans un commentaire sur ce sondage, Henri Goldman
écrit : « La conclusion qui se
dégage est paradoxale : les nouveaux électeurs du PTB apparaissent sensiblement
plus hostiles aux étrangers que la moyenne des électeurs. Cette hypothèse ne me
semble pas absurde. Si l'antiracisme des militants PTB ne doit plus être
démontré, on ne sait rien du cocktail de motivations de cette masse de nouveaux
électeurs qui se portent aujourd'hui sur le PTB en tant que seul parti protestataire
disponible. Pour en faire des électeurs durablement ancrés à gauche et,
notamment, acquis à l'idée d'une véritable égalité des droits de tous les
résidents, il y a encore du travail. »[6]
L’antiracisme du PTB ne doit plus être démontré, le problème
du résultat de ce sondage se situerait chez les nouveaux électeurs qui devraient
être travaillés dans le sens de l’égalité ? J’en doute. Et si le problème
se posait autrement. Si c’était l’abandon d’une politique fermement antiraciste
de ce parti qui avait attiré les nouveaux électeurs ?
Dans la résolution
fondatrice de la nouvelle approche du PTB, ce parti a adopté le double langage,
ce qui signifie explicitement qu’il faut mettre en veilleuse l’opposition à la
guerre et la question du racisme.
Raoul Hedebouw déclarait au printemps 2008 :
« Nous revenons à notre « core business «
: les thèmes sociaux. Mettre en avant notre opposition à la guerre était
peut-être justifié sur le plan des principes mais ce n’est pas ce qui préoccupe
principalement les gens. Ceux qui sont partis à l’époque ne voulaient pas d’une
remise en question de notre façon de fonctionner qui avait été à l’origine de
cette erreur ».[7]
Peter Mertens reprenait cette thèse cinq ans plus tard, en 2013, quand on le
questionne sur l’alliance avec Dyab Abou Jahjah dans la liste Resist : « Le problème est que la campagne allait alors
plus sur la guerre en Irak et au Moyen-Orient que sur les problèmes chez nous.
Dans cette optique, nous nous étions éloignés de notre core business, et cela,
un parti ne peut jamais le faire ».[8]
Voilà, il y a le « core business », et ça, ce sont les problèmes « chez nous ».
La guerre, c’est un problème « chez les autres ». Cela a comme conséquence
dramatique que si demain un parti d’extrême-droite digne de ce nom se présente
en Wallonie et à Bruxelles, il pourrait absorber les 80 % cet électorat opposé
au droit de vote des immigrés.
Le PTB verrait ainsi ses ambitions
parlementaires voler en éclat. Et les rêves des progressistes.
[1] La
déchéance de nationalité : comment un thème de l’extrême-droite s’invite dans
les campagnes électorales, http://analysesdesdiscours.blogspot.be/2016/02/la-decheance-de-nationalite-comment-un.html
[7] Raoul
Hedebouw, porte-parole du Parti du Travail de Belgique, « Le PTB était trop
dogmatique, voire sectaire », Journal du Mardi n°342, 4 mars 2008
[8]
Peter Mertens, De Standaard, 31 janvier 2013
Commentaires
N'étant pas très porté sur la démocratie au sens formel du terme, le PTB n'a sans doute pas correctement perçu la menace que représente pour lui son intégration nouvelle, bref la menace que représente les organes représentatifs pour tout ce qu'il a longtemps tenté lui-même de représenter contre vents et marées.
Il s'agirait de prendre la mesure du problème que posent ce système représentatif et l'unanimisme des médias, ainsi que les fabrications dont ils sont capables.
Nous avons affaire à un système de manipulation de l'opinion. Ce système a des avantages et des inconvénients. Mais il ne peut être sous-estimé.
Bravo à Luk qui ne laisse pas tomber.
https://www.facebook.com/notes/petya-obolensky/la-vérité-à-ses-droits-ce-que-fait-le-ptb-contre-le-racisme/1754761674762589
Le PTB a choisi de mettre les thèmes guerre, racisme, discrimination, ouverture des frontières, en note mineure et "d'unir" sur la lutte pour la pension, contre les taxes et les intérêts notionnels.... Jusqu'à s'abstenir de voter contre la déchéance de la nationalité pour les binationaux, jusqu'à condamner ouvertement Tanguy, un manifestant qui a eu le malheur de donner un coup de poing au commissaire le plus haï de tout Bruxelles, du jamais vu dans l'histoire du PTB. C'est toute la question de devenir un parti "respectable" et de tout ce qu'il faut mettre en sourdine pour cela. x Luk
Mais, bon, ce genre de