Nous sommes tous Dyab Abou Jahjah !
Luk Vervaet
En Belgique, on peut sans problème défendre les assassinats
ciblés systématiques, réalisés avec des drones par le Mossad, le service secret
israélien, contre des dirigeants et des militaires palestiniens.
Ou
l’assassinat par balles, en pleine rue, comme le 15 décembre dernier, il y a à
peine trois semaines: Mohammed Alzoari, un dirigeant du Hamas, abattu près de
sa maison en Tunisie. On a aussi pu applaudir sans souci à l’opération Plomb
durci, dans laquelle Israël a bombardé Gaza sans relâche de décembre 2008 à
janvier 2009. Avec la mort de 1315 Palestiniens, dont 410 enfants et plus de
100 femmes, en 5285 blessés comme bilan…
Mais si vous défendez par contre le droit reconnu
internationalement des Palestiniens à résister par tous les moyens contre cette
machine de guerre et l’occupation illégale de la Palestine, comme Dyab Abou
Jahjah après l’attaque palestinienne sur un groupe de soldats israéliens à
Jérusalem, alors il faut en payer le prix ! Theo Franken et Joods Actueel ont
demandé au Standaard le licenciement de Dyab en tant que chroniqueur du
journal. Quelques heures plus tard, c’était fait.
L’enjeu de la défense de Dyab dans cette affaire, ce n’est
pas seulement la défense du principe libéral de la liberté d’expression, selon
lequel on peut soi-disant dire tout ce qu’on pense.
Ce dont il s’agit, c’est de
savoir si nous avons encore le droit, dans ce pays, de défendre la légitime
résistance d’un peuple et de ses organisations. Les Palestiniens sont plus
maltraités que les Noirs au temps de l’apartheid en Afrique du sud. N’ont-ils
pas le même droit à la résistance que l’ANC de l’époque ?
Radicalisation
Le traitement de Dyab Abou Jahjah dit beaucoup sur la
soi-disant lutte contre la radicalisation à laquelle le gouvernement et les
médias accordent la plus haute priorité. Le scenario de 2002-2003 semble se
répéter. À l’époque, Dyab et la Ligue Arabe Européenne (AEL) ont été réduits au
silence par une longue campagne de calomnies, d’accusations de terrorisme et de
procès (dont ils sont sortis totalement blanchis). Après l’élimination de cette
organisation autonome, démocratique et non religieuse, un autre phénomène est
apparu sur la scène : Sharia4Belgium.
Revivons-nous le même épisode ? Dyab s’est profilé les
dernières années comme un constructeur de ponts. Il a à nouveau offert à nombre
de jeunes une perspective radicale et démocratique. Il les a détournés du piège
du terrorisme. Un des éléments de la lutte contre la radicalisation négative
est d’apprendre à nouveau aux jeunes le sens d’une résistance justifiée et
légitime et les raisons pour lesquelles cette résistance mérite notre soutien.
La criminalisation et le boycott par l’Occident de résistances démocratiquement
choisies par le peuple, comme à Gaza ou en Égypte, ont poussé plus de jeunes
dans un terrorisme aveugle, puisqu’on ne peut quand même rien attendre des
processus démocratiques, qu’ISIS aurait jamais pu le rêver.
Espérons que les progressistes de Flandre et de Belgique
réagiront mieux qu’en 2002-2003, quand ils ont laissé passer l’élimination de
l’AEL. C’est précisément à cause de cela que l’idéologie d’(extrême) droite a
pu gagner du terrain et que l’on voit la peur d’être identifié comme
sympathisant du terrorisme grandir chaque jour.
Je sais de quoi je parle. J’ai perdu mon travail entre autres à cause de
mon soutien à la résistance palestinienne et de ma collaboration avec Dyab.
Récemment, j’ai été attaqué pour ma campagne afin d’arracher Oussama Atar à
l’enfer des prisons irakiennes.
Tout comme en 2003, beaucoup reculent devant les attaques.
Kris Merckx, founding father du PTB, qui avait liké sur
Facebook la publication de Dyab « By any means necessary #FreePalestine »
et qui a pour cela été dénoncé par Theo Franken, a d’ores et déjà présenté ses
excuses. Il argumente sur Facebook qu’il était en train de regarder le
championnat belge de cyclocross lorsqu’il a vu passer le message de Dyab. Il a
pensé que c’étaient des vœux de Nouvel An et l’a donc liké. Si
j’avais su que ce statut avait un rapport avec cet attentat, je ne l’aurais pas
fait, écrit-il.
Heureusement qu’il existe encore d’autres voix, comme celle
de Lieven De Cauter dans son article « De bandbreedte van de vrije
meningsuiting: over Dyab Abou Jahjah » (La largeur de bande de la liberté d’expression).
Nous sommes tous Dyab Abou Jahjah.
(traduction du
néerlandais par Nadine Rosa-Rosso)
Commentaires