Déchéance de la nationalité, expulsions, non-protection consulaire des binationaux… Banalités ou vrais dangers ?
par LukVervaet
Ces dernières années, la discrimination d’État liée à la
nationalité, a été justifiée par la lutte contre le terrorisme et contre la (grande)
criminalité. Pas une seule objection au Parlement belge contre la nouvelle loi
de juillet 2016 sur la déchéance de la nationalité belge de personnes condamnés
pour terrorisme[1]. Pas
de grand bruit non plus quand ce même parlement a voté la nouvelle loi du 9
février 2017 permettant l’expulsion de détenus possédant une autre nationalité.
[2]
Cette nouvelle loi supprime l’interdiction d’expulser les étrangers, nés en
Belgique ou arrivés avant l’âge de douze ans, et elle élargit les motifs pour
les expulsions. Nos autorités se vantent déjà des résultats de cette loi :
si en 2012, il y a eu 378 expulsions, 629 en 2013 et 625 en 2014, les chiffres
ont pris un envol spectaculaire à partir de 2015, avec 1.437 expulsions, puis
1.595 en 2016 et enfin 1.622 en 2017 !
La loi sur la déchéance de la nationalité n’est pas passée
en France. Elle y a même provoqué la démission d’une ministre.
Rien de tout
cela en Belgique : il ne s’agit que de terroristes et de criminels qui
n’ont pas leur place parmi nous. Et surtout, le fait de s’opposer à ces lois
pourrait causer des ennuis, permettre l’accusation d’avoir des sympathies pour
le terrorisme. C’est ainsi qu’on raisonne dans notre pays.
On balaie ainsi toute
réflexion sur le fait que la question de la nationalité n’a rien à voir avec un
délit commis, qu’il s’agit de la réintroduction de la double peine, qui ne vaut
pas pour les belgo-belges et qu’on réalise dans les faits les revendications de
l’extrême droite fasciste.
Après les lois de 2016 et de 2017, la loi du 9 mai 2018 de
Reynders et de Geens franchit un nouveau pas, qui fait partie de la même
logique d’exclusion par la discrimination selon la nationalité. Dorénavant est
inscrit dans la loi que les binationaux seront privés d’une assistance
consulaire, une fois qu’ils se trouvent dans le pays de leur deuxième
nationalité et que ce pays s’oppose à une aide belge.
Bien que cette loi touche
des dizaines de milliers de concitoyens, des raisons pour banaliser cette
mesure sont avancées.
Ça a toujours été comme ça, rien de nouveau, me disent
certains. Que la Belgique n’accorde pas d’aide aux Belgo-Marocains qui se
trouvent au Maroc, le pays de leur deuxième nationalité, est tout à fait
logique et normal, me disent d’autres. Sinon, à quoi ça sert d’avoir une
deuxième nationalité ? Aussi, ce n’est que dans le cas où le pays de la
deuxième nationalité s’oppose à une protection belge. Ou encore, me disent-ils,
ce sont les lois et des accords internationaux qui stipulent les règles à
adopter concernant les binationaux. La Belgique et le Maroc ne font que les
appliquer…
Après le chocolat,
les gaufres et la bière, les footballeurs binationaux comme produit
d’exportation
Mettons les choses en perspective en quelques points.
Et commençons par l’hypocrisie à la Belge. Contrairement à
d’autres pays, comme les Pays-Bas, la Belgique ne veut pas compter ou donner
des chiffres sur le nombre de Belges binationaux. Voyez-vous, en Belgique, on
n’a qu’une seule sorte de citoyens, chez nous tout le monde est égal devant la
loi. Ainsi, les mêmes partis politiques, qui votent les lois citées plus haut,
remplissent leurs listes électorales avec des personnes issues de
l’immigration, binationaux ou non, pour s’assurer de leur place au pouvoir.
Didier Reynders, le co-auteur de la nouvelle loi sur la non-protection,
n’éprouve aucune gêne à utiliser les footballeurs binationaux comme nouveau
produit d’exportation de la Belgique. Dans une nouvelle de l’agence Belga du
11 juillet 2018 on peut lire : « Didier
Reynders, le ministre des Affaires étrangères, veut booster l’image de la
Belgique à l’étranger en utilisant les Diables Rouges… Avant, on me
parlait surtout de chocolats, de gaufres et de bières, mais désormais, les
Diables rouges dépassent tout… Tout comme la famille royale, la présence de
Diables rouges lors de missions économiques aiderait à ouvrir des portes qui
sans cela resteraient fermées, selon M. Reynders. Dans Sudpresse ce mardi,
Didier Reynders précise qu'il a commencé à associer l'Union belge de football
et son président Gérard Linard à un tel projet. Pour M. Linard, il serait même
possible de mettre en place une telle coopération dès la prochaine mission
économique princière, programmée à la fin novembre au Maroc. Et d'évoquer déjà
les noms de Marouane Fellaini et Nacer Chadli. »
Fellaini et Chadli savent-ils qu’ils ne seront pas protégés
par la Belgique une fois en mission ?
Mais quittons le monde des banquiers, des entrepreneurs, des
académiciens, des professeurs d’université, des artistes et des sportifs d’un
niveau international, qui se sont créé un monde où la nationalité ne compte
pas, un monde sans barrières, sans obstacles, avec des possibilités illimitées
de se déplacer, de s’installer et ou de se désinstaller où et quand ils
veulent. Passons au monde de ce qu’on appelle les simples gens.
Et posons-nous
la question si c’est normal que la Belgique refuse par la loi sa protection à
ces dizaines de milliers de Belges issus de l’immigration des pays du Sud, à
cause de leur deuxième nationalité, qui elle, est souvent leur seule richesse ?
C’est-à-dire aux binationaux issus de l’immigration, ayant leur vie en
Belgique, leurs liens familiaux, leur réseau d’amis et de contacts, leurs
enfants à l’école, leur travail, qui paient leurs impôts comme tout le monde,
qui sont obligatoirement appelés à aller voter aux élections dans ce
pays… ? Les situations de détresse extrême, énumérées dans cette nouvelle
loi pour pouvoir jouir d’une protection, tel qu’un cas de décès,
d’incarcération, d’enlèvement d’enfants, de catastrophe naturelle…- font-elles
une distinction entre un Belgo-Marocain visitant sa famille au Maroc, et un
touriste Belgo-Belge ? N’ont-ils pas tous les deux besoin et droit à une
assistance égale de la part de leur état ?
Pour les binationaux, la double
nationalité devient progressivement un danger et un facteur d’incertitude, pour
eux-mêmes et pour leurs enfants. Elle crée un sentiment d’abandon, de
n’appartenir à nulle part, de possibilité d’être expulsé à tout moment si on
met un pas de travers. Pour les autorités, elle est devenue un moyen d’en faire
des citoyens mis sous pression, des citoyens en suspens, des citoyens disposant,
non pas de plus, mais de moins de droits qu’un Belgo-Belge.
Un message politique
dans un climat raciste
Chaque nouvelle mesure ou loi porte un message politique. Ce
message ne peut être détaché du climat raciste en Europe, qui cause autant de
dégâts que le changement climatique. Les réfugiés, les immigrés ou les
personnes issues de l’immigration y sont devenus le premier sujet politique par
lequel le fascisme progresse dans tous les pays. Appartenir ou non à la nation
est devenu l’objet d’un marchandage et d’une surenchère politique entre les
partis, visant à se « défendre contre les étrangers », à purifier la nation de
tout ce qui « étranger au corps sain de la nation » et à forcer la
population venant du Sud de s’assimiler et de soumettre.
Comme le disait la Ligue des droits de l’homme et Alexis
Deswaef dans son rapport annuel de 2015 : « En
vingt ans, les partis démocratiques ont réalisé des grandes parties du
programme de l’extrême droite du Vlaams Blok/Belang ». Ce programme, datant
de 1992, sous un titre qui fait penser à l’endlösung allemand, s’appelle : «
Immigration : les solutions. 70 propositions pour résoudre le problème de
l’immigration ». Le point 31 de ce programme dit : « De dubbele nationaliteit
onmogelijk maken » : rendre impossible la double nationalité. Cette
proposition d’assimilation forcée est aujourd’hui ouvertement reprise par une
grande partie de la classe politique [3].
Au sein du gouvernement, les positions de ceux qui s’opposent
(encore) à la politique qui veut mettre fin à la double nationalité, ne valent
pas mieux. C’est de ce camp-là que vient la nouvelle loi enlevant la protection
consulaire.
Il n’est pas exclu
que « régler le problème de la double nationalité » fasse partie d’un
nouvel accord gouvernemental. Cette politique contre la binationalité
aboutirait inévitablement à de nouvelles mesures discriminatoires et, dans sa
logique extrême, à la perte de la nationalité belge pour des milliers de citoyens
belges qui ne peuvent même pas se défaire de leur deuxième nationalité. On ne
peut que s’inquiéter de ce qui se prépare.
Prenons la position de Reynders, qui, pour freiner une marche
en avant trop rapide, fait remarquer à ses collègues qu’il y a aussi des
citoyens belgo-français : « Nous devons
prendre le temps de la réflexion, dans le calme. De nombreux Belges possèdent
une seconde nationalité, dont la française par exemple ». Cynisme, quand on
sait que les communautés visées par ces mesures sont celles des Belgo-Marocains
et des Belgo-Turcs.
Ou prenons la position du président du CD&V, Wouter
Beke, qui, dans un moment de lucidité, déclare qu’il veut garder la possibilité
d’avoir la double nationalité… parce qu’elle nous permet de renvoyer ces
citoyens dans leur deuxième pays ! Je cite : « On ne peut retirer la nationalité belge qu’aux personnes condamnées
pour terrorisme, à condition qu’ils aient une double nationalité. De la sorte,
ils pourraient également être renvoyés vers l’autre pays. « Si l’on retire la
double nationalité, ils sont Belges et on ne peut plus les renvoyer ». [4]
C’est bien l’affaire du Belgo-Marocain Ali Aarrass, et sa
victoire devant la justice quant à sa protection consulaire pour un binational,
qui ont poussé le gouvernement à introduire la non-protection des binationaux
dans la loi. Ce sera le sujet d’un prochain article.
[3] Zuhal
Demir, (NVA) : « Des gens qui sont nés ici. Ce sont des Belges ou des Turcs?
Maintenant, ils ont encore la double nationalité mais c’est quelque chose que
nous devons revoir ». Bart Dewever, (NVA) : « Nous sommes depuis longtemps en
faveur de l’extinction de la double nationalité. Il y a des obstacles
techniques et pratiques, mais ils ne sont pas insurmontables..Il faudra ouvrir
la discussion « au-delà des partis pour mettre fin à la double nationalité ».
Le parlementaire CD&V Hendrik Bogaert : « La double nationalité ne favorise
pas l'intégration. A long terme, les gens sont plus concernés par la politique
étrangère que par la politique belge ». Il a été rejoint par Ann Brusseel (Open
Vld) et bien sûr par Theo Francken (NVA)..
[4] https://www.lavenir.net/cnt/dmf20160729_00859051/la-n-va-met-en-cause-la-double-nationalite-belgo-turque
Commentaires
Merci à vous pour vos actions humanitaires et de coeur.
Concernant la loi du 9 mai 2018, pourriez-vous me dir quels sont exactement les partis politiques qui ont été contre (ce sera plus simple ainsi je pense) svp ?
En vous remerciant d'avance
Elias
Merci à vous pour vos actions humanitaires et de coeur.
Concernant la loi du 9 mai 2018, pourriez-vous me dire, svp, quels sont exactement les partis politiques qui ont été contre cette loi(ce sera plus simple de savoir "contre" que "pour" trop long malheureusement je pense)?
En vous remerciant d'avance
Elias