De la crise du coronavirus à la crise des prisons : un appel urgent !

 Les mesures prises contre le coronavirus au niveau de toute la société nous rapprochent tous du vécu des personnes détenues dans les lieux fermés : les prisons, les centres de détention pour réfugiés ou les hôpitaux psychiatriques. Cette crise nous apprend en même temps que nous avons créé des formes et des conditions de détention pour les exclus de notre société, qui sont déjà inacceptables en temps normal, mais qui, lors d’une crise comme on la connaît aujourd’hui, ne permettent pas d’assurer la santé des personnes détenues. Ce qui menace à son tour la santé publique au sein de la société dans son ensemble. 
    
Nous savons tous que des milliers de personnes détenues sont aujourd’hui obligées de vivre les unes sur les autres et qu’ils n’ont qu’un accès limité aux soins et aux produits d’hygiène. Aujourd’hui, pour faire face à la crise corona, les autorités prennent des mesures supplémentaires d’isolement, dont l’interdiction des visites des familles ou l’annulation des cours et d’autres activités, déjà extrêmement rares en temps normal. La réaction de désespoir et de révolte contre cet isolement renforcé ne s’est pas fait attendre. 

Désespoir et révolte

En France, le 17 mars, suite à l'annonce de la suspension des parloirs jusqu'au 30 mars, une mutinerie s'est déclenchée à la maison d'arrêt de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Des petits feux ont été allumés et des pierres ont été jetées sur les surveillants. En Italie, il y a dix jours, des révoltes ont éclaté dans au moins une vingtaine de prisons, causant la mort d’au moins douze détenus. Au Brésil, après des émeutes suite à la suspension de visites, 400 détenus se sont échappés des prisons à Managua, 926 de la prison à Mirandopolis et 30 de la prison à Taubate. En Belgique aussi, le 17 mars, une trentaine de détenus de la prison de Nivelles se sont révoltés contre la suppression des visites et la police a dû intervenir pour éteindre le mouvement.

Il y a deux cents ans, ce sont les épidémies de typhus et de choléra qui ont fait partie des raisons pour changer radicalement les formes de détention existantes et qui ont donné naissance de la prison moderne. Les réformateurs, comme John Howard, constataient en effet que les prisons, par leur concentration de personnes et le manque de soins de santé et d’hygiène, étaient les plus grands foyers de contamination aussi bien vers l’intérieur des prisons que vers l’extérieur, ce qui mettait en danger la santé de la société dans son ensemble. Des mesures radicales d’assainissement ont donc été prises.

Aujourd’hui les prisons modernes sont devenues à leur tour des centres de contamination. 

David Hamer, professeur de santé mondiale et de médecine à l'École de santé publique et à l'École de médecine de l'Université de Boston, déclare : « le COVID-19 est transmis par des gouttelettes respiratoires lorsque quelqu'un éternue ou tousse. Une personne peut également être exposée en touchant une surface contaminée puis en touchant son visage. En prison, le risque de transmission est substantiel». 
En prison les détenus courent non seulement un plus grand risque de contracter le virus, il y a aussi le flux constant de personnel et de détenus qui fait que la propagation du virus est extrêmement facile et dangereuse. Les détenus sont également plus susceptibles d'avoir des problèmes de santé sous-jacents pouvant entraîner des complications. Selon l’organisation américaine « Prison Policy Initiative », environ 20% des détenus dans les prisons américaines souffrent d'asthme, contre environ 8% de la population générale. Le même constat est fait par les spécialistes dans les prisons belges. Avec la crise actuelle, les soins de santé et d’hygiène font défaut ou sont même complètement absents, vu le manque de médecins. Parmi la population carcérale, le nombre de détenus âgés a augmenté de manière exponentielle ces dernières décennies, faisant grandir le nombre des personnes à risque.

Des mesures urgentes !

Aux États-Unis, le journal Los Angeles Times écrivait le 16 mars que « 600 détenus dans des prisons de Los Angeles ont été libérés pour donner suite à la crise du coronavirus ». En Irlande, des centaines de prisonniers vont être libérés, d’abord ceux et celles qui ont encore trois mois à faire, puis ceux et celles qui ont encore six mois à faire. En Iran, des dizaines de milliers de prisonniers ont été mis en libération temporaire. 

Rien de tout cela en Belgique.  

La réponse des autorités est en dessous de tout : elles augmentent l’isolement des prisonniers en interdisant les visites. Comme aux États-Unis, elles font produire des masques par les prisonniers qui continuent à travailler à un salaire d’esclave et sans la protection nécessaire.  La surpopulation de nos prisons reste intouchée. La construction de la plus grande prison de Belgique à Haren continue comme si rien n’était.   

Je lance un appel à une réaction collective, en commençant par une consultation urgente des détenus et de leurs familles, ainsi que de tous les acteurs et de toutes les associations actives au sein et en dehors des prisons. 

Proposons des mesures urgentes à prendre. 
En voici une liste non exhaustive 

1. La libération de tous les prisonniers qui n’ont plus qu’un an à faire.
2. La libération des prisonniers en détention préventive (36% de toute la population carcérale en Belgique se trouve en prison sans procès) qui ne constituent pas un danger pour autrui.
3. La libération de toutes les femmes prisonnières qui sont le plus souvent incarcérées pour trafic de drogues ou à cause des problèmes familiaux.
4. La libération de tous les détenus âgés et malades qui ne constituent pas un danger pour la société.
5. L’organisation d’un accueil décent pour les détenus ne disposant pas d’une famille ou d’un logement.
6. Le renforcement des équipes médicales et des mesures de désinfection et d’hygiène dans les prisons aussi bien pour le bien-être les détenus que pour le personnel pénitentiaire.
7. Un salaire minimum prévu par loi pour tous les détenus travailleurs dans les prisons, application des règles d’hygiène et de protection sur les lieux de travail.   
8. L’augmentation des possibilités de contact entre les détenus et familles de manière responsable, par l’autorisation des visites familiales respectant les règles valables pour toute la société, par l’élargissement des possibilités de téléphoner, de vidéoconférence etc.… 
9. L’élection des délégués des prisonniers dans toutes les prisons pour être les porte-parole des besoins des détenus.   
10. La construction de nouveaux hôpitaux et l’arrêt de la construction de nouvelles prisons. 
Nous demandons l’arrêt des travaux de construction de la plus grande prison de Belgique à Haren et sa transformation en hôpital moderne et performant dont Bruxelles et le pays tout entier ont besoin.
11. Un choix à long terme de refuser la prison comme solution à tous les problèmes sociaux dans la société. En choisissant pour une société juste et égalitaire, pour la mise en place de formes de justice réparatrice et transformatrice et des mesures de prévention et d’éducation.   

Luk Vervaet, ancien enseignant dans les prisons

Commentaires

Unknown a dit…
Je partage absolument ton analyse Luk, ainsi que les revendications ! Merci. Je diffuse

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