RIP Daniel Wagner. Rest in Power, mon ami
Daniel et moi. Sur les terrains de la méga-prison de Haren |
Tu vas nous manquer Daniel.
Francine et moi nous étions inscrits sur la liste des visiteurs soigneusement préparée par ta famille. Nous allions venir demain. Je voulais te donner le tout dernier livre de la maison d’éditions Antidote. Il y a sept ans tu l’as fondée avec Eric et moi. Tu as été le correcteur irremplaçable de quasi tous les manuscrits. Avec cet amour et cette gentillesse qui te caractérisent.
Il paraît juste au moment où tu nous quittes. Il s‘appelle : « Welcome ». Sept personnes inculpées pour « trafic d’êtres humains » témoignent ». Je sais qu’il t’aurait plu.
Je te le dédie, comme membre de cette famille qu’on appelle « les délinquants solidaires ». Tu comprenais, tu étais un immigré toi aussi. Avec Chantal vous aussi avez été des hébergeurs.
Aujourd’hui, je ne peux pas être à ton enterrement à cause d’un examen médical impossible à déplacer, tu sais de quoi je parle. Et si c’était un signe ? Que je ne veux pas et que je ne peux pas te dire adieu. Que je veux te cacher mes larmes et ma tristesse de ne plus jamais te revoir. Que je veux garder en mémoire les moments passés avec toi.
Sur un banc, en janvier dernier, devant le home, dehors, dans le froid, Covid oblige. Nous avons parlé de tout et de rien, on a fumé comme des Turcs et parlé du bon goût du whisky de ton papa. Tu essayais de te souvenir des auteures pour qui tu avais travaillé. De Souad , de Marie-Jo. De tes anciennes collègues.
Je veux garder en mémoire les repas qu’on a pris ensemble au Bar du Matin pas loin de la prison de Saint-Gilles.
Je veux garder en mémoire ce moment partagé de janvier 2018, devant l’ambassade américaine pour exiger la fermeture de Guantanamo.
Je veux garder en mémoire ce moment avec toi devant l’ambassade britannique pour nous opposer à l’extradition d’Assange vers les États-Unis.
Il est impossible de saisir une personne par les mots et les événements, mais ces petites actions font ce que nous sommes.
Tu faisais partie de cette génération d’utopistes de mai 68.
À l’assaut du ciel.
De ceux qui ne peuvent pas vivre sans horizon. Les mots d’Oscar Wilde étaient les nôtres, quand il écrivait « Une carte du monde où l'Utopie ne serait pas marquée, ne vaudrait pas la peine d'être regardée, car il y manquerait le pays où l'Humanité pourra atterrir ».
Au lieu d’entamer une carrière professionnelle prometteuse, tu es allé, « Surveiller et punir » de Foucault sous le bras, t’attaquer aux prisons de l’intérieur, pour les abolir ou du moins les transformer en écoles. C’était le titre de ta contribution à mon recueil sur l’univers carcéral: « Et si on mettait les profs en prison ?». Tu y dénonçais son caractère de classe et de race.
Quand j’ai fait ta connaissance, comme collègue prof dans les prisons, tu sentais déjà la fatigue de quelques dizaines d’années de travail, ta déception face aux changements dans la société qui étaient tout le contraire de ce pour quoi on s’était battu..
On parlait parfois, avec nostalgie et tristesse, des défaites du communisme et de notre manque de perspectives. Et en même temps tu fais partie des rares qui n’ont pas tourné leur veste et qui n’abandonnent pas.
Tu nous as quittés en confinement et en isolement, choses que tu as toujours combattues pour les autres, mais jamais tu n’as été loin de nos cœurs.
Ce sont les gens comme toi qui nous font garder espoir et nous encouragent à rêver d’un monde meilleur.
Rest in Power, mon ami.
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