La torture d'Ali Aarrass, troisième partie : les années à Salé II
(photo : une cellule à la prison de Salé II, remarquez : il n'y a ni de table, ni de chaise... Dessin Ali Aarrass)
La torture d’Ali Aarrass, troisième partie
par Luk Vervaet et Ali Aarrass
Après son extradition par l’Espagne au Maroc, Ali Aarrass a été torturé pendant sa garde à vue du 14 au 24 décembre 2010. Depuis le 24 décembre 2010 jusqu’à aujourd’hui, Ali Aarrass et ses avocats mèneront une bataille sans relâche pour que justice lui soit rendue : que la torture soit reconnue, que les responsables et les auteurs de la torture soient punis et mis hors d’état de nuire.
Dans sa lettre de fin mars 2021, Mohamed Ameur, l’ambassadeur marocain à Bruxelles, nie en bloc la torture d’Ali Aarrass. Au cours de sa carrière politique, l’ambassadeur s’est surtout occupé de questions relatives à l’eau et à l’urbanisme, non pas de la question carcérale, monde parallèle et obscur dont il ne connaît rien. Ainsi, en déclarant qu’il s’agit de « thèses fantaisistes », l’ambassadeur n’est rien d’autre qu’une courroie de transmission des messages des services policiers et antiterroristes. Ce faisant, il se rend complice de la protection et de l’impunité des tortionnaires. En même temps, il se protège lui-même, comme font tous ceux au Maroc qui tremblent à l’idée de tomber un jour dans les mains de ces derniers, qui ont un pouvoir absolu de terreur au nom de la lutte antiterroriste.
Prenons ce que l’ambassadeur écrit sur la période de la torture d’Ali Aarrass en décembre 2010, dont il n’a même pas pris la peine de vérifier les dates ou les informations qui lui ont été transmises. Il écrit : « Ali Aarrass se victimise, alors que ses allégations de torture ont été démantelées par la justice ; les allégations de tortures avaient fait l’objet en 2011 d’une expertise médicale ordonnée par le parquet et réalisée par un collège de cinq médecins et qui avait conclu à l’absence de traces de lésions en rapport avec des actes de torture ».
Il n’y a jamais eu en 2011 d’examen portant sur la torture. La justice n’a donc pas « démantelé » les allégations de torture. Bien au contraire. Le 15 septembre 2011, les magistrats au procès d’Ali estiment d’abord qu’il n’y a pas eu de plainte contre la torture. Quand la preuve du contraire leur est présentée, ils disent qu’elle n’a aucune influence sur le procès et refusent d’ouvrir une enquête, malgré les nombreuses demandes des avocats de la défense, maîtres Cohen et Dadsi. En novembre 2011, le tribunal condamne Ali à 15 ans de prison. Ce n’est qu’en 2012, après sa condamnation, qu’un semblant d’examen concernant la torture sera fait.
Voici en quatorze épisodes une reconstitution des faits les plus marquants du calvaire et de la résistance d’Ali Aarrass à la prison de Salé II, où il a été incarcéré pendant les six premières années de sa détention. Comme si vous y étiez.
A. Chentouf, l'homme avec le micro en main, un des cinq chefs de la lutte antiterroriste au Maroc (photo telquel.ma) |
Premier épisode : décembre 2010, premier interrogatoire chez le juge d’instruction
Le vendredi 24 décembre 2010, Ali est conduit devant le juge d’instruction Chentouf, du détachement de la Cour d’appel de Salé. Sans avocat. Il est dans un état pitoyable. Il a le visage gonflé, la lèvre déchirée, ne pouvant à peine parler ou bouger. Le juge procède à l’interrogation préliminaire. Chentouff, un homme qui ne montre aucun signe de compassion ou d’humanité, en voyant l’état d’Ali, s‘adresse d’abord aux policiers : « Qu’est-ce qu’il a celui-là ? ». Quand Ali lui dit : « J’ai été torturé », il répond : « Ici, on ne torture pas. As-tu un avocat ? ». « Je ne sais pas », lui répond Ali. Le juge appuie ensuite sur une sonnette, donnant ainsi l’ordre d’amener Ali à la prison de Salé II. Vu l’état d’Ali, le juge décide de reporter son dossier d’un mois avant de procéder à une interrogation détaillée. Pas sans donner une instruction précise : Ali doit être mis sous surveillance rapprochée et ne peut avoir aucun contact avec d’autres détenus.
Deuxième épisode : décembre 2010-janvier 2011, première rencontre avec l’avocat Dadsi et nouveau passage devant le juge d’instruction
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