La défense de Nizar Trabelsi sous le choc (communiqué des avocats sur la enième condamnation de la Belgique par la justice belge)



 
photo www.thebulletin.be

Affaire Trabelsi - Nouvelle condamnation : « Aucune justification raisonnable et licite n’est prima facie susceptible de justifier » l’attitude du Ministre de la justice, le montant de l’astreinte grimpe en flèche

 


Bruxelles, le 27 mai 2022

 Nizar TRABELSI est torturé aux Etats-Unis. 

Depuis huit ans et demi, il est détenu à l’isolement sensoriel total, en vertu des fameuses SAM (mesure administrative spéciale), dans une section de haute sécurité. Il est toujours seul, dans une petite cellule lugubre, sans lumière du jour, lampe forte allumée 24h/24h, isolée de telle manière qu’il n’entende aucun bruit. 

Ses communications avec sa famille sont entravées (coût, surveillance, censure) de manière absolument drastique. Il lui est interdit de parler avec sa compagne depuis presque quatre ans. 

Les rapports médicaux établissent qu’il présente des symptômes psychotiques, qu’il s’automutile, qu’il souffre d’un PTSD, qu’il « voit des choses », qu’il parle à sa seule compagne, la lumière, que ses convictions paranoïaques entravent ses capacités à sa défendre, qu’il souffre de troubles obsessionnels, de malaise social, de mal de tête chronique, de troubles du sommeil, de crises de panique, de difficultés digestives, d’ulcère chronique, de douleur abdominale, de gonflement des membres inférieurs, etc. Ils établissent également que ses affections psychiques et physiques ne sont ni correctement diagnostiquées, ni adéquatement traitées. Tout ceci est infligé en toute connaissance de cause. Les limites sévères imposées à la simulation sociale et environnementale en isolement cellulaire sont connues depuis des dizaines d’années et associées à une multitude d'effets psychologiques et physiologiques négatifs. Après 15 jours d’isolement, la déprivation sensorielle peut engendrer une incapacité permanente. Les SAM font pourtant partie d’une stratégie carcérale américaine, ne prévoyant aucun recours pour les individus[1]

On le sait, Nizar TRABELSI a été définitivement condamné en Belgique par la Cour d’appel de Bruxelles, le 9 juin 2004, et a purgé la peine maximale d’emprisonnement pour avoir tenté de commettre un attentat suicide, à l’aide d’explosif, sur la base militaire de Kleine-Brogel où était stationné du personnel américain. Après deux ans de détention supplémentaire sous écrou extraditionnel, il a été extradé le 3 octobre 2013 en catimini vers les Etats-Unis d’Amérique en violation d’une interdiction faite par la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui justifié une condamnation très ferme de la Belgique. Pour réaliser cette « opération », 


Nizar TRABELSI a été transporté, drogué, menottes aux pieds et aux mains, rattachées à une ceinture, casque sur les oreilles, yeux bandés ; technique dénoncée de longue date par le Comité de prévention contre la torture du Conseil de l’Europe.

Mais il est apparu que le problème était bien plus profond. Après son extradition, la défense belge de Nizar TRABELSI a reçu des informations, issues du dossier américain, témoignant non seulement de ce que Nizar TRABELSI est poursuivi aux Etats-Unis exactement pour les mêmes faits que ceux punis en Belgique, en violation du principe non bis in idem, mais aussi de ce que l’exécutif belge a et continue à participer activement à la violation de ses droits fondamentaux.

 Dès 2008, en effet, les juges belges avaient interdit que Nizar TRABELSI ne soit extradé pour les infractions s’étant déroulées en Belgique. Après avoir échoué à faire revenir la Justice belge sur cette décision, conforme à la loi, l’exécutif belge a tenté d’obscurcir la situation pour faire croire aux autorités américaines qu’il pourrait être jugé pour n’importe quel fait.

 Nizar TRABELSI a ainsi saisi les juridictions belges en urgence afin que la Belgique, qui jouait  sur les mots, soit tenue de préciser que l’exequatur, soit l’extradition, a été refusée pour les faits de Kleine de Broghel. Le 8 août 2019, la Cour d’appel de Bruxelles lui a donné raison et a enjoint à l’exécutif d’expliquer aux autorités américaines que « l’extradition de l’appelant ne permet pas de le poursuivre aux Etats-Unis pour y être jugé pour (…) les faits liés à la tentative d’attentat à la base militaire de Kleine- Brogel ».

 L’exécutif a envoyé l’arrêt de la Cour d’appel mais, en novembre 2019, a écrit à l’accusation américaine, via note diplomatique, que la Cour d’appel se trompait complètement, courrier prétendument envoyé pour informer les Etats-Unis de l’introduction d’un pourvoi en cassation. 

En raison de cette nouvelle note diplomatique mensongère, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a une nouvelle fois condamné l’exécutif belge, le 26 février 2020, à rappeler aux autorités américaines que Nizar TRABELSI n’avait pas été extradé pour être jugé une deuxième fois pour les faits commis en Belgique. Mais, à nouveau, les manœuvres de l’exécutif ont empêché que le but poursuivi par cette nouvelle injonction ne soit atteint.

 Le 4 mars 2021, la Cour de cassation a rendu son arrêt sur le pourvoi de l’Etat belge. Elle a rejeté tous les arguments de l’exécutif et expliqué que l’extradition de Nizar TRABELSI ne supprimait pas son droit, à l’égard de l’Etat belge, de voir respecter le principe non bis idem

La défense de Nizar TRABELSI a dès lors mis en demeure le nouveau et quatrième Ministre de la justice qui viole les droits de Nizar TRABELSI dans cette affaire à « rectifier le tir ». 

Lors d’une rencontre en juin 2021 avec les Président de la Ligue des droits humains, de la Liga voor mensenrechten et d’Amnesty International, le Ministre s’est déclaré évidemment favorable au respect des décisions de justice. Des mots qui n’ont été suivis d’aucun acte pour protéger effectivement Nizar TRABELSI du risque d’être condamné, une deuxième fois, pour les faits commis et punis en Belgique, sur base de preuves fournies par la Belgique, à une peine inhumaine d’emprisonnement à vie incompressible, à purger dans des conditions cruelles et dégradantes. Le Ministre de la justice a pourtant reçu les rapports médicaux catastrophiques concernant l’état de santé mental et physique de Nizar TRABELSI. Comme les Etats-Unis, il a été interpellé par le Rapporteur spécial des Nations Unis sur la torture et la Rapporteuse spéciale spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste[2]

Rien n’a infléchi la volonté de l’exécutif d’inscrire son action en dehors du cadre de la loi.

 Une autre citation en référé (urgence) a donc dû être introduite. Le 23 mai 2022, la Cour d’appel de Bruxelles y a une nouvelle fois fait droit. L’arrêt rejette tous les arguments de procédure avancés par l’exécutif belge pour tenter d’éviter un débat qui, en réalité, devrait être clos depuis 2009. 

La Cour d’appel constate que « le Ministre de la justice méconnait de manière persistante la loi belge de 1874 sur l’extradition et l’autorité de décisions de justice qui pourtant s’imposent à lui. Aucune justification raisonnable et licite n’est prima facie susceptible de justifier de telles violations et la situation exceptionnelle dans laquelle elles ont placé monsieur TRABELSI ». Alors que les injonctions précédentes faites à l’Etat belge étaient assorties d’une astreinte maximale de 50.000 €, la Cour d’appel augmente cette fois ce montant à 250.000€. 

 

La défense de Nizar TRABELSI reste sous le choc de la complicité de notre pays à la torture et aux violations graves des droits fondamentaux de Nizar TRABELSI. 

Conformément au droit international des droits humains, il est plus que temps que l’exécutif belge prenne ses responsabilités et mette, de bonne foi, tout en œuvre pour rétablir Nizar TRABELSI dans ses droits. 

Après cet arrêt rendu dans le cadre de l’urgence, la Cour d’appel de Bruxelles devrait se prononcer le 12 septembre 2022 sur l’action en responsabilité introduite par Nizar TRABELSI. Cette dernière vise à obtenir la réparation intégrale du dommage subi.

 Les conseils belges de Nizar Trabelsi,

 Me Christophe Marchand   (tweetalig)                                                   

 Me Dounia Alamat

Cabinet JUSCOGENS                                                                                    Cabinet V3avocats

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