Non au procès de Nizar Trabelsi aux États-Unis. Carte blanche de Alexis Deswaef, Olivia Venet, Hélène Debaty, Véronique Laurent, France Blanmailland, Sarah Janssens, Luk Vervaet
Affaire Trabelsi : Peut-on se rendre complice d’un état voyou ? Non, les témoins belges ne devraient pas aider l’accusation américaine
L’affaire TRABELSI a connu de très nombreuses péripéties, que la presse a
régulièrement relatées. Elle demeure extrêmement préoccupante au regard des
enjeux qu’elle soulève pour notre démocratie.
Monsieur TRABELSI est un homme qui a commis des crimes en Belgique, crimes
pour lesquels il a été condamné et a purgé sa peine dans son entièreté. Dans un
Etat de droit, cette peine aurait dû être le seul châtiment auquel il aurait dû
être soumis pour ces infractions. Dans un Etat de droit, tout individu doit
bénéficier de certaines protections, et certainement d’une règle aussi
fondamentale que l’interdiction de la torture.
La Belgique n’a pas respecté ce droit fondamental de Monsieur TRABELSI. Se
soumettant à la pression de son allié, les puissants Etats-Unis d’Amérique,
elle a violé une interdiction de l’extrader ordonnée par la Cour européenne des
droits de l’homme. Plus tard, alors qu’elle savait l’homme torturé, comme relevé
par les experts des Nations-Unis, l’exécutif belge a, selon la Cour d’appel de
Bruxelles, « sans aucune justification raisonnable et licite »
méconnu « de manière persistante la loi belge de 1874 sur l’extradition
et l’autorité de chose jugée »[1].
Monsieur TRABELSI est en effet poursuivi aux Etats-Unis pour les mêmes faits
que ceux pour lesquels il a été condamné en Belgique, en violation du principe non
bis in idem.
Après sa nouvelle condamnation en septembre 2022[2],
on aurait pu penser que le gouvernement prendrait ses responsabilités pour
mettre un terme effectif aux violations des droits de Monsieur TRABELSI.
Malheureusement, le procès de Monsieur TRABELSI se poursuit aux Etats-Unis comme si de rien n’était. Monsieur TRABELSI continue d’être poursuivi pour les faits pour lesquels il a déjà été condamné en Belgique.
Cette situation est atterrante. Elle l’est d’autant plus que la presse a révélé des éléments plus que troublants sur l’historique des poursuites américaines : « Dans ce document du FBI (…) « l’agent spécial O’ Callaghan a demandé des précisions pour savoir quelle partie, le cas échéant, de l’affaire Trabelsi en Belgique pourrait être utilisée pour instruire une affaire contre Trabelsi aux Etats-Unis et permettrait d’extrader Trabelsi hors de la Belgique. Le procureur Yernaux a répondu que si le FBI pouvait établir que Trabelsi avait prévu de mener une attaque contre une cible autre que la base militaire de Kleine-Brogel, Trabelsi pourrait être extradé sur la base de cette charge ». On lit aussi que ledit procureur fédéral Yernaux stipule qu’il « ferait tout son possible pour extrader Trabelsi » »[3].
Depuis le début, les autorités belges semblaient donc savoir que l’extradition
était demandée pour les mêmes faits que ceux pour lesquels Monsieur TRABELSI
venait d’être condamné en Belgique.
Dans cette affaire, nos représentants se sont manifestement engagés dans
une voie illégale de laquelle ils se refusent toujours à sortir.
Dans son arrêt du 12 septembre 2022, la Cour d’appel de Bruxelles avait
constaté les graves violations des droits de Monsieur TRABELSI par l’Etat belge.
Elle avait aussi décidé que les Belges appelés à témoigner aux Etats-Unis, par
et pour l’accusation américaine, devaient être informés de la violation du
principe non bis in idem. La Cour d’appel avait jugé que cette mesure
permettrait à ces personnes, qui ne peuvent en aucun cas être contraintes à
témoigner, d’être dument informées et d’ainsi, refuser d’être complice des
fautes de notre Etat envers cet homme.
Pour que les droits de Monsieur TRABELSI soient respectés, la Cour d’appel
a ainsi compté sur la bonne foi et l’intégrité de ces individus.
Cependant, la presse a révélé récemment que l’ex-chef d’enquête et l’ex-Juge
d’instruction, M De Valkeneer,
ont, semblent-ils, décidé de répondre favorablement à l’appel des autorités
américaines. De quoi ces officiers peuvent-ils bien témoigner si ce n’est du
fruit de leurs investigations, des éléments qui ont amené la Justice belge à
condamner Monsieur TRABELSI en 2004 ? Alors que Monsieur TRABELSI est
poursuivi pour les mêmes faits que ceux pour lesquels il a été condamné ici,
comment justifier d’apporter aux autorités américaines la preuve testimoniale
de sa culpabilité ? Ne s’agit-il pas de se rendre complice de la violation
systématique des droits de Monsieur TRABELSI par notre l’Etat ?
Le respect des valeurs démocratiques n’est pas un acquis.
Il constitue un
objectif auquel chaque membre de notre société devrait tendre. Dans l’affaire
TRABELSI, il ne fait absolument plus aucun doute que l’Etat belge viole depuis
des années les droits fondamentaux de cette personne. Les témoins belges,
acteurs judiciaires belges, n’ignorent ni les faits, ni la loi. Dans
cette mesure, et puisque notre Etat affiche une soumission coupable envers les
Etats-Unis, ils devraient refuser d’entrer dans ce jeu de dupe, refuser de se
rendre complices d’un Etat voyou.
***
Alexis DESWAEF, avocat et
vice-président de la FIDH - Fédération Internationale pour les Droits Humains
Olivia VENET, avocate au Barreau
de Bruxelles
Hélène DEBATY, avocate au Barreau
de Bruxelles, présidente de l'A.S.B.L. Syndicat des Avocats pour la Démocratie
Véronique LAURENT, avocate au Barreau
de Bruxelles, administratrice du SAD
France BLANMAILLAND, avocate au
Barreau de Bruxelles, administratrice du SAD
Sarah JANSSENS, avocate au
Barreau de Bruxelles, administratrice du SAD
Luk VERVAET, auteur de
"Guantanamo chez nous ? L'affaire Nizar Trabelsi" (2014)
[1] Cour d’appel de Bruxelles (référé),
Trabelsi c. Etat belge, 23 mai 2022
[2] Cour
d’appel de Bruxelles (responsabilité), Trabelsi c. Etat belge, 12 septembre
2022
[3] B. LOOS, « Affaire Nizar Trabelsi:
des témoins belges iront au procès aux Etats-Unis »,Le Soir, 4 mai 2023, https://www.lesoir.be/511393/article/2023-05-04/affaire-nizar-trabelsi-des-temoins-belges-iront-au-proces-aux-etats-unis
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