Comment les autorités ont transformé la prison-musée de Tongres en cages pour 45 prisonniers oubliés, isolés et rejetés

Manifesation à Tongres pour le maintien
de la prison-musée  
Le CCSP (conseil central de surveillance des prisons) et Myria (le centre fédéral migration) viennent de publier un rapport sur la situation catastrophique à la prison de Tongres après leur visite commune de trois jours en août 2023. 

Quarante-cinq détenus, sans droit de séjour, y purgent de courtes peines. Ils sont le plus souvent sans visite ou aide de l’extérieur. Traités comme des déchets, ils sont enfermés 23 heures par jour dans des cellules minuscules. La plupart de ces détenus n’ont aucune possibilité de travailler ou de suivre une formation ou autre activité.(1) 

Dans l’introduction du rapport on peut lire : « L’établissement pénitentiaire de Tongres a été inauguré en 1844 comme première prison cellulaire de Belgique. En 2005, les derniers détenus ont été transférés vers la nouvelle prison de Hasselt , mais en 2008, la prison de Tongres a été réouverte. Aujourd’hui, elle sert de maison de peine pour les condamnés à de courtes peines, à savoir à des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à trois ans et héberge, au sein de ce groupe, uniquement des hommes sans droit de séjour en Belgique ». (2)

Voici quelques faits importants qui manquent dans cette présentation et qui illustrent bien la politique carcérale belge qu’on peut taxer de criminelle. 

la prison de Tongres

De la prison-musée de Tongres en 2005...

Après sa fermeture, la prison de Tongres, la plus ancienne de Belgique, avait été transformée en musée pédagogique, non pas par des autorités mais à l’initiative d’une art designer qui travaillait pour le Musée Gallo-romain de Tongres. 

De 2005 à 2008, cette prison transformée en musée pédagogique a accueilli 300 000 visiteurs, dont énormément de jeunes, qui venaient par classe entière avec leurs enseignants, d’autres jeunes qui venaient des IPPJ ou des écoles supérieures. 

C’était un véritable outil de prévention et d’éducation avec visites guidées, du théâtre, etc. Jean-Marc Mahy, ex-détenu et éducateur y guidait des jeunes dans la découverte du monde carcéral. Le fait que des ex-détenus y faisaient le guide donnait à ce musée un caractère hors du commun supplémentaire.

la prison de Tongres

à la prison pour jeunes délinquants...

En 2008, coup de tonnerre, quand l’ancien ministre de la Justice Vandeurzen, les autorités pénitentiaires, soutenues par le bourgmestre de Tongres, l’ancien président du parlement fédéral Patrick Dewael, annoncent la fermeture du musée et sa réouverture comme prison pour jeunes délinquants ! Une décision jugée complètement irresponsable par des défenseurs des droits de l’enfant. 

Aidés par La Revue nouvelle et Joëlle Kwashin, nous avons lancé un Appel pour Sauver le musée de Tongres, signés par quelques centaines d’éducateurs, de professeurs, de magistrats, d’acteurs de terrain en prison et de militants des droits de l’enfant. L’Appel a été suivi par des lettres ouvertes, des cartes blanches et des articles dans les journaux, une conférence de presse et une manifestation à Tongres. Rien n’y fit. (3)

la prison de Tongres

à la prison pour détenus sans droits...

Dix ans plus tard, les mêmes autorités (il n’y a qu’un changement de noms à la tête des institutions, mais ces dernières ne changent pas) annoncent à nouveau la fermeture de cette vieille prison parce que, nous disent-ils/elles cyniquement : « Elle n’est quand même pas adaptée pour y enfermer des jeunes. Sa fermeture est prévue pour fin 2019. »  Nous avons immédiatement relancé l’appel « Pour la réouverture de la prison-musée de Tongres »(4). À nouveau les autorités refusent de nous écouter. Cette fois-ci, ce monument historique qu’est la plus ancienne prison de Belgique sera réservé à l’enfermement des détenus au plus bas de l’échelle carcérale.


la prison de Tongres

La nouvelle politique carcérale belge

Voici  donc la nouvelle politique carcérale belge : « l’éducation et la prévention » se feront par la prison et non pas avant ou à l’extérieur des prisons. D’un côté par l’élargissement de la détention (toutes les petites peines doivent être exécutées en prison, « l’effet de la prison peut avoir un effet dissuasif »- mais on se demande, si c’était le cas, pourquoi les prisons sont pleines à craquer, et, de l’autre, par le travail des accompagnateurs de détention (une nouvelle fonction créée au sein des prisons). Ces derniers devront jouer un rôle d’Actiris au sein des prisons.

Quant à la construction de nouvelles prisons, malgré les promesses faites depuis 2008 (le lancement du Masterplan pour une détention humaine), les nouvelles prisons ne mènent pas à la fermeture d’anciennes prisons (voir Tongres, Saint-Gilles, Berkendael, l’ancienne prison de Termonde ou de Gand qui continuent à exister), mais elles élargissent le parc carcéral et provoquent une augmentation de la détention. Elles créent la possibilité de classifier les prisonniers en deux catégories. Les plus démunis (sans-papiers à expulser, les internés...) se retrouvent dans les vieilles prisons, les autres dans les nouvelles.

Mais qui, après tant d’années de promesses non-tenues, peut encore prendre au sérieux ces beaux titres des journaux comme « Nouveau Code pénal: La prison devient une alternative, là où elle a toujours été pensée comme peine principale »(6) ou « Un nouveau code pénal, entre équilibre et réparation des dommages » (7) ? 


Notes

(1) https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/2024/02/27/la-prison-de-tongres-un-trou-noir-pour-45-detenus-oublies-la-plupart-dentre-eux-passent-jusqua-23-heures-par-jour-en-cellule-NKML2OD2KBFFFCEXO7IW34ECNE/

(2) Entre temps, cette nouvelle prison de Hasselt compte déjà 603 prisonniers pour 420 places ! https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2024/02/26/directeur-dauwe-van-gevangenis-in-hasselt-met-3-in-een-cel-voo/

(3) https://www.myria.be/fr/publications/le-ccsp-et-myria-publient-leur-rapport-conjoint-sur-la-prison-de-tongres

(4)  Le livre « Le musée de Tongres est mort ! vive la prison ? » par Jean-Marc Mahy et Luk Vervaet (Éditions Academia/L’harmattan 2019) retrace la lutte pour la sauvegarde dela prison-musée de Tongres. Avec les contributions de Joëlle Kwashin, Marcus, Philippe Landenne, Christophe Dubois, Peter Boelens, Fabienne Brohée, Marie-Hélène Duvivier, Linde Hermans, Françoise Ligot, Daniel Nokin, Jean-Robin Poitevin, Christophe Rémion, Bruno Vanobbergen et  Jean-Claude Vimont.

(5) https://lukvervaet.blogspot.com/2019/11/nous-voulons-la-reouverture-de-la.html

(6) https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/2024/02/22/nouveau-code-penal-la-prison-devient-une-alternative-la-ou-elle-a-toujours-ete-pensee-comme-peine-principale-HFXNH45W4FC4ZDIP7XAQQR76G4/  

(7) https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/un-nouveau-code-penal-entre-equilibre-et-reparation-des-dommages/10528776.html 




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