Des vœux d'enfants pour la nouvelle année, en temps de génocide

Mohammad Al-Sawalhi/CNN
 L'un des plus beaux messages de Noël et de Nouvel An 2024 que j'ai eu le plaisir de lire, je l’ai découvert dans la lettre vidéo que les enfants de l'école Sancta Maria de Louvain ont écrite au roi Filip[1].

 Les jeunes initiateurs, Hebe Gestels et Rahaf Ghorafi, y témoignent, avec leurs camarades de la classe 1A5, du quasi-désespoir des enfants face à ce qui se passe dans le monde d'aujourd'hui : « On a parfois l'impression que les grandes personnes se sont habituées aux enfants défavorisés ou décédés. Vous pouvez nous traiter de naïfs, mais nous croyons vraiment que les choses peuvent s'améliorer à l'avenir ». 

Un enseignant de l'école a déclaré : « J'entends beaucoup de désespoir dans la voix de nos élèves et c'est l'émotion la plus effrayante à laquelle un enfant de douze ans puisse être confronté. Mais heureusement, ils ont transformé leur désespoir et leur colère en action ». 

Félicitations aux enfants et aux enseignants qui n'ont pas été intimidés par le message : et surtout, n'importez pas de conflits étrangers chez nous. Vous pourriez envisager de poursuivre la lutte pour la paix avec d'autres classes en 2025, comme Greta Thunberg l'a fait pour le climat, et penser à des journées d'action pour les enfants de la guerre en Palestine et ailleurs.

Votre lettre m'a rappelé les paroles de Denis Edney, l'avocat canadien d'Omar Kadr, 15 ans, le plus jeune prisonnier de Guantanamo, qui a parcouru le monde à la recherche de soutiens pour la libération de son jeune client. Il m'a dit qu'il était particulièrement écouté par les jeunes. « Parmi la jeune génération, a-t-il dit, qui est encore sensible à l'injustice et qui peut encore rêver et croire en un monde différent. Ce que l'ancienne génération ne peut apparemment plus faire ».

Le roi a répondu à la lettre des enfants dans son message de Noël. Un beau geste, mais avec le même contenu que les autres hommes politiques : nous faisons ce que nous pouvons. C'est-à-dire rien. Ce sera d’un grand réconfort pour les enfants. Ils se posent des questions telles que : comment est-il possible qu'un génocide ait lieu en Palestine occupée depuis plus d'un an, en notre nom, avec notre soutien total, tous les jours, sans que les cercles dirigeants de nos sociétés, depuis les maisons royales, les gouvernements et les parlements jusqu'aux syndicats et aux institutions culturelles, ne bronchent ou ne s'émeuvent ?

Une question qui nous concerne tous

Ce n'est pas seulement une question pour le roi. C'est une question qui m'est posée, qui nous est posée, nous qui sommes nés après la guerre. Les enfants d'aujourd'hui ne peuvent s'empêcher de nous regarder avec incrédulité lorsqu'ils commencent à prendre conscience des guerres, de la misère et du chaos dans le monde que nous leur avons laissé.

Je ne peux que leur donner raison : vous mettez le doigt sur la plaie. Nous, adultes, ne croyons plus à la possibilité et au bien-fondé d'un autre monde. Nous sommes devenus une génération effrayée, collectivement emportée par l'idéologie dominante qui dit que nous vivons dans le meilleur système imaginable et surtout, pour reprendre les mots de Margaret Thatcher (cette première-ministre britannique dont vous apprendrez certainement l'histoire plus tard), nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'alternative. 

Nous, vos grands-parents, avons eu beaucoup de chance pendant notre enfance. Nous étions la première génération qui, contrairement à nos parents et à nos grands-parents, n'a pas eu à connaître une seule guerre. Celles-ci se sont déroulées ailleurs. Nous avons grandi dans le mouvement ascendant du capitalisme, où tout allait de mieux en mieux sur le plan matériel. Et dans le Sud, les révolutions anticoloniales se sont succédé. La libération et la révolution étaient les idées dominantes parmi les plus radicaux d'entre nous. Il y avait de la rébellion et de la révolte sur tous les fronts. Impossible ne faisait pas partie de notre vocabulaire. La voie vers plus d'égalité et de justice dans le monde nous était ouverte.

Mais le vent a tourné. La majorité de ma génération rebelle a opté pour la sécurité, pour des postes et des positions au sein du système capitaliste autrefois détesté. Nous crions toujours « Pas en notre nom », « Paix, pas de guerre », mais nous ne sommes plus d'humeur à tenter de l’imposer, que ce soit pas par des grèves, des occupations ou en faisant tomber des gouvernements. Seuls les étudiants (encore une fois, les jeunes !) ont joint le geste à la parole et ont occupé leurs universités. Des dizaines de ces jeunes militants courageux sont aujourd'hui poursuivis en justice pour cela[2].

Pendant ce temps, le système a produit sans entrave des milliardaires, des guerres, des millions de réfugiés et d'autres misères. En 2024, nous avons ainsi battu non seulement le record mondial du réchauffement climatique. Mais aussi celui de la production d'armes. Un ami irlandais, Laurence Mckeown, l'a résumé ainsi : « Le capitalisme est un système qui produit suffisamment d'armes pour faire exploser le monde entier, mais qui n'arrive pas à éteindre les incendies ». Ce qui s'est passé à Gaza en 2024 a battu tous les records de brutalité et d'impunité coloniales occidentales, réduisant tous les traités, accords et lois humanitaires adoptés après la Seconde Guerre mondiale à des chiffons de papier sans valeur.


 Absence de réaction

Vous avez raison en ce qui concerne notre manque de réaction. Pendant les semaines de Noël et du Nouvel An, le monde journalistique et culturel de ce pays aurait pu s'attendre à une édition spéciale d'un journal ou d'un magazine avec la formule « Je suis Gaza ». Ou à un méga concert de solidarité ou à un grand événement littéraire pour les enfants de Gaza. Et non, je ne parle même pas de l'organisation d'une sorte de « concert du Mandela Day » qui eut lieu au stade de Wembley en 1988 pour marquer le 70ème anniversaire du « terroriste » sud-africain Nelson Mandela, alors emprisonné. Un concert de solidarité avec la résistance palestinienne légitime, avec ses dirigeants emprisonnés depuis aussi longtemps que Mandela et pour exactement les mêmes raisons, est devenu impensable et inadmissible depuis vingt ans. À l'évocation des mots « résistance » et « terroriste », toutes les portes se ferment. Au moment où tout le monde était réuni autour d’une table et où nous nous souhaitions la paix sur terre, on aurait au moins pu organiser quelque chose de symbolique pour les enfants palestiniens, une sorte de Live Aid, un Tomorrowland pour la Palestine. Cela aurait été un moment d'espoir pour tous les enfants. Mais cela n’a pas été le cas. 


La moindre des choses à laquelle nous pourrions nous engager, en tant qu'aînés, pour 2025, c'est de nous joindre aux jeunes pour lutter pour les enfants de Gaza, tout en protégeant tous les jeunes activistes, leur idéalisme et leur engagement.


Que dire de plus sur Gaza après décembre 2024 ?

Pour tous ceux qui avaient encore des doutes sur ce qui se passe à Gaza depuis le 7 octobre 2023, pour tous ceux qui avaient besoin de plus que les condamnations d'Israël par la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI), le dernier mois de l'année 2024 a été le mois du bilan, le mois où tout est devenu clair dans toute son horreur. En décembre, il y a eu les rapports d'Amnesty International et de Human Rights Watch. La première a publié un rapport détaillé et accablant de 300 pages sur neuf mois de génocide à Gaza[3]. Quelques semaines plus tard, Human Rights Watch a publié un rapport tout aussi accablant de 179 pages sur « l'extermination délibérée et le génocide des Palestiniens » par la coupure de l'approvisionnement en eau à Gaza[4]. Le 23 décembre, l'Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB) a également décidé de parler désormais de génocide à Gaza.

Je n'aime pas particulièrement les chiffres car ils cachent souvent l'image de la personne et de l'enfant derrière le chiffre et font disparaître les cas individuels derrière les statistiques. Mais nous devons connaître les chiffres du génocide des enfants à Gaza. À l'école, nous pourrions les illustrer par une photo et l'histoire de l’enfant qui se cache derrière les chiffres.

Le génocide des enfants 

Depuis le début de la guerre contre Gaza, près d'un million d'enfants et leurs familles ont été chassés d'un coin à l'autre de cette petite bande de terre. Beaucoup vivent sous des tentes, mais sur les 135 000 tentes dans lesquelles vivent les familles palestiniennes déplacées et chassées à Gaza, plus de 100 000 sont soit inutilisables, soit complètement endommagées [5].

17 492 enfants ont été tués. 21 000 enfants sont portés disparus. 35 000 enfants ont perdu l'un de leurs parents ou les deux [6]. Plus de 4 000 enfants ont été amputés d'au moins une jambe ou d'un bras depuis le début de la guerre contre Gaza [7]. 

« Au niveau mondial, Gaza compte aujourd'hui le plus grand nombre d'enfants amputés par habitant. Ils subissent des opérations sans anesthésie, a expliqué Louise Wateridge de l'UNRWA dans une vidéo du 13 décembre 2024, ajoutant qu’ au cours des quatre derniers mois, près de 19 000 enfants ont été hospitalisés en raison de la malnutrition »[8].

Au cours de la dernière semaine de décembre, six bébés sont morts du froid glacial à Gaza. D'autres ont suivi début janvier. Selon le Dr Ahmed al-Farra, chef du service de pédiatrie de l'hôpital Nasser, son service reçoit chaque jour plus de cinq cas d'enfants souffrant d'hypothermie. « La plupart d'entre eux peuvent être sauvés, a-t-il déclaré dans une interview accordée à Electronic Intifada, mais ceux qui arrivent tardivement et dans un état critique peuvent mourir à tout moment ».

Le 11 décembre 2024, on pouvait lire qu'une enquête menée auprès de 500 enfants, parents et soignants de Gaza a montré que 96% d'entre eux vivent avec le sentiment que leur mort est proche [9]. 49 % d'entre eux ont déclaré qu'ils voulaient mourir à cause de la guerre. Presque tous sont gravement atteints psychologiquement et souffrent de graves crises d'angoisse et de cauchemars. La situation des enfants était déjà dramatique avant le début de la dernière guerre contre Gaza. À l'époque, environ 75 % de tous les enfants de Gaza (quelque 800 000) avaient besoin d'une aide psychosociale et de santé mentale. Aujourd'hui, selon l'UNICEF, tous les enfants de Gaza ont besoin d'une telle aide : « en résumé, il n'est plus possible d'être un enfant en bonne santé à Gaza » [10].Depuis plus d'un an, 659 000 enfants sont privés d'école et les jeunes d'université.

Le vendredi 27 décembre, le dernier hôpital en activité, l'hôpital Kamal Adwan, dans le nord de Gaza, a été attaqué et fermé. Alors que des parties de l'hôpital ont été incendiées par les soldats israéliens, les plus de 350 patients et membres du personnel ont été chassés [11]. Le directeur de l'hôpital, le Dr Hussam Abu Safiya, a été arrêté et déporté à SdeTeiman, le Guantanamo israélien[ 12]. « Il est clair depuis le début qu'Israël extermine toute une génération de travailleurs de la santé à Gaza afin d'augmenter le nombre de morts parmi la population, mais aussi pour rendre Gaza définitivement inhabitable », a déclaré dans un commentaire le Dr Ghassan Abu-Sittah, chirurgien britannico-palestinien et recteur de l'université de Glasgow. Le 30 décembre 2024, il déclare dans une interview à Democracy Now que « littéralement et mathématiquement », nous avons affaire à un projet génocidaire : le nombre réel de morts palestiniens, dit-il, devrait être estimé à 300 000 [13].


 Pour le professeur américain Henry Giroux, à Gaza, on a affaire à l’élimination délibérée des enfants. Ils sont, écrit-il, la cible d'une idéologie brutale qui cherche à éradiquer la possibilité d'un avenir palestinien. L'attaque contre les plus vulnérables vise non seulement à tuer physiquement les enfants, mais aussi à anéantir la Palestine en tant qu'idée et à détruire la mémoire et la résilience du peuple palestinien. Si nous ne défendons pas l'inviolabilité des enfants et l'universalité des droits de l'homme, nous risquons de perdre ce que signifie être humain - ainsi que les idéaux, les promesses et les espoirs d'une démocratie radicale[14].

Conclusion préliminaire :

Vous pouvez soutenir les occupants des universités, notamment ceux de l'ULB, dans leur action en justice en faisant un don au Fonds Marius Jacob, numéro de compte BE65 5230 8110 3896 avec la mention : Fonds de solidarité.

Vous pouvez soutenir Palmed, une association de médecins palestiniens en Europe,(https://palmedeurope.fr/index.php) qui effectue des missions à Gaza et en Palestine occupée, en faisant un don à l'une de ses antennes ou directement au numéro de compte de son siège Rassemblement des médecins palestiniens en Europe : FR76 3000 4013 7600 0100 2795 484

[1]https://www.sml.be/brief-aan-koning

[2] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2024/12/14/repression-de-l-universite-populaire-de-bruxelles-non-soutenir-la-palestine-nest-pas-un-crime/

[3]https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/8668/2024/en/

[4]https://www.hrw.org/report/2024/12/19/extermination-and-acts-genocide/israel-deliberately-depriving-palestinians-gaza

[5]https://countercurrents.org/2024/12/gaza-sixth-infant-dies-from-cold-amid-israels-ongoing-genocide/

[6]https://www.youtube.com/watch?v=hXyoUfeVUYo; https://sarajevotimes.com/israeli-attacks-on-gaza-leave-35000-children-orphaned-or-without-one-parent/

[7]https://www.thenationalnews.com/news/mena/2024/10/03/gaza-children-lost-limbs-israel/

[8] Facebook - UN Geneva Situation catastrophique à Gaza : « Gaza compte désormais le plus grand nombre de ...

[9]https://www.warchild.org.uk/news/war-child-shares-first-study-psychological-impact-war-vulnerable-children-gaza

[10]https://www.counterpunch.org/2024/10/23/the-global-war-on-children/

[11]https://www.dewereldmorgen.be/artikel/2024/12/30/elk-uur-sterft-er-een-kind-dit-is-nu-de-stand-van-zaken-in-gaza/

[12] Vous pouvez signer la pétition pour sa libération ici https://www.change.org/p/israel-must-free-dr-hussam-abu-safiya

[13] « Un projet génocidaire » : le Dr Ghassan Abu-Sittah sur la destruction par Israël du système de santé de Gaza, sur DemocracyNow: https://www.youtube.com/watch?v=NZoQP3kOj2o&t=161s

[14] Henry Giroux Israel'sWar on Gaza Is a War on Children (La guerre d'Israël contre Gaza est une guerre contre les enfants), https://truthout.org/articles/israels-war-on-gaza-is-a-war-on-children/


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