Violence dans les prisons belges ? Désolé, pas de chiffres disponibles...
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Je n'aime pas beaucoup les chiffres, car ils sont dénués d'émotion et rendent souvent les gens invisibles. Mais le contraire ne serait-il pas vrai ? Si les chiffres sont parfois cachés, c’est qu’ils dévoilent des réalités. Ils nous permettent de voir les évolutions, de tirer des conclusions et de faire des prévisions sur ce que l'avenir nous réserve.
Ce troisième article est une contribution sur l'absence de chiffres et de statistiques relatifs à la violence en prison. Cette absence révèle le déni ou l'indifférence des responsables politiques et des autorités pénitentiaires face à cette violence et l’absence totale de vision quant à l'avenir.
Circulez, y a rien à voir
Dans un pays capitaliste hautement développé comme la Belgique, il existe des statistiques sur tout et n'importe quoi. Du nombre de kilos de frites consommés par les Belges chaque année au nombre de personnes souffrant de surpoids. Du nombre de litres d'alcool ou de paquets de cigarettes consommés par les Belges chaque année au nombre de cancers diagnostiqués au cours de la même période. Sur le site web de la police (1), vous trouverez le nombre de crimes enregistrés chaque année, au niveau national, par région, par infraction, dans les moindres détails. Le Gun Violence Incident Monitor (GVIM) recense le nombre d'incidents impliquant des armes à feu : l'année dernière, on en a dénombré 184, dont 13 morts et 44 blessés à Bruxelles. « Une courbe ascendante et une évolution inquiétante du niveau de violence », a écrit un institut pour la paix (2).
Mais lorsqu'il s'agit de la violence dans les 38 prisons belges, nous ne disposons pas de statistiques, et donc pas non plus de « courbes ou de changements dans le modèle de violence ». Ni la direction de l'administration pénitentiaire, la DGEPI (Direction générale des établissements pénitentiaires), ni le ministère de la Justice ne les ont, et nous non plus. Y a-t-il plus de violence dans les prisons que dans la société libre et, si oui, dans quelle mesure ? Les nouvelles prisons donnent-elles de meilleurs résultats que les anciennes ? Y a-t-il un lien entre l'augmentation de la population carcérale, le manque de soins et la recrudescence de la violence ? Si tel est le cas, ne devrions-nous pas réduire à tout prix la population carcérale au lieu de l'augmenter systématiquement ? Au lieu d'obtenir des réponses à ces questions, nous continuons sur la voie de la construction de toujours plus de prisons avec toujours plus de détenus.
Déni et désintérêt
Revenons à l'année 2009, lorsque le premier Masterplan pour une détention humaine a été annoncé. Un sénateur libéral avait alors posé pas moins de 14 questions pertinentes (voire abolitionnistes) au ministre de la Justice Stefaan Declerck.(3) Le sénateur a commencé par constater que pour lutter contre la grave surpopulation carcérale, le gouvernement « allait créer 2 552 nouvelles places et construire sept nouvelles prisons ». Mais, selon le sénateur : « Le ministre est-il d'accord avec l'affirmation selon laquelle, dès que les prisons seront ouvertes, elles seront pleines, sans pour autant garantir une société plus sûre ? » Et encore : « A-t-il connaissance de procédures disciplinaires à l'encontre de gardiens de prison à la suite d'interventions violentes contre des détenus ? Si oui, combien de tels incidents se sont-ils produits en 2008 ? Peut-il présenter en détail l'évolution, sur une période de dix ans, des incidents violents entre détenus et des incidents impliquant des gardiens ? Selon lui, quel est le lien avec la surpopulation ? »
Vous pouvez lire la réponse du ministre à toutes ces questions dans le rapport parlementaire. Je me limiterai ici à la réponse du ministre à la question sur la violence dans les prisons : « Les procédures disciplinaires à l'encontre du personnel pénitentiaire pour violence physique à l'égard de détenus sont très rares. Il n'y a pas eu de cas de ce type en 2008. Il n'existe pas de chiffres disponibles qui reflètent l'évolution sur une période de dix ans. En 2008, l'enregistrement systématique des incidents d'agression dans les prisons a été mis en place. Ceux-ci sont enregistrés à l'aide d'un « formulaire de signalement de comportement agressif ». Étant donné que les données ne portent que sur une seule année et ne concernent que quelques établissements, aucune évolution ne peut être constatée et les données relatives à la répartition des incidents entre les prisons doivent donc être interprétées avec la prudence qui s'impose. »
Donc rien. Et il n'y a absolument rien à dire sur les sanctions à l'encontre du personnel pénitentiaire ou de la police. Je vous invite à relire, à titre d'exemple, les deux articles (4) que j'ai rédigés à l'époque sur la violence dans la prison de Forest pour constater qu'il n'y a « aucune violence physique à l'encontre des détenus ».
La prudence est de mise, a déclaré le ministre, tout ira mieux dans dix ans.
Dix ans plus tard
En mai 2020, un autre sénateur libéral a posé la question suivante à un autre ministre de la Justice : « Combien de tentatives de suicide ont eu lieu au cours des trois dernières années (2017, 2018 et 2019) dans un établissement pénitentiaire ? Peut-il, si possible, ventiler ces chiffres selon que les personnes concernées étaient des prévenus ou des condamnés ? » Réponse du ministre : « Ces données ne sont pas disponibles. » (5)
Quinze ans plus tard
Et nous faisons un nouveau bond en avant, jusqu'en 2025, où nous entendons à nouveau la question des chiffres sur la violence dans les prisons belges, cette fois posée par Alain Yzermans, un représentant socialiste. Je lui ai envoyé un e-mail pour lui demander s'il avait obtenu une réponse à sa question. « Eh bien, m'a-t-il répondu, il n'existe pas de statistiques au niveau belge. On travaille à la mise en place d'un outil, mais pour l'instant, il n'y a pas de chiffres systématiques ». Un journal (6) a écrit à ce sujet : « Il n'existe pas de système central ou de base de données où ces données sont enregistrées. Il n'y a aucune statistique au sein du système pénitentiaire sur la nature, la gravité et le nombre d'actes de violence » .
D'où vient ce silence ? Comment se fait-il que les autorités ne soient pas tenues de rendre des comptes sur la violence dans leurs institutions et, par conséquent, sur leur obligation légale d'assurer la protection des personnes qu'elles incarcèrent ?
Il ne s'agit pas de chiffres, mais de politique et d'idéologie
« La violence en détention est souvent normalisée – elle est considérée comme une partie inévitable de la vie en détention, qu'il s'agisse de mauvais traitements infligés par le personnel pénitentiaire ou par des codétenus. C'est pourquoi la violence n'est souvent pas signalée et ne suscite pas la réaction qu'elle mérite de la part du monde extérieur ».(7) Cette citation de Fairtrials résume avec prudence l'attitude des autorités, des médias et du public : la violence en prison est tout à fait normale. Elle fait partie intégrante de la prison et du « type » de personnes qui y sont incarcérées.
Je dirais qu'en Belgique, personne ne se soucie de la violence subie par ceux que la société considère comme des « déchets humains », des vies perdues, des rebuts de l'humanité.
Le même gouvernement qui ne dispose pas de statistiques sur la violence en prison n'en a pas non plus sur les soins de santé prodigués aux détenus, comme l'a récemment révélé le rapport de plusieurs médecins qui a déclenché une tempête médiatique (8). Dans le magazine Fatik (9), on peut lire à ce sujet : « La santé physique et mentale des détenus est nettement moins bonne que celle de la population générale... Bien que la population carcérale ait des besoins importants en matière de soins, l'offre de soins au sein du système pénitentiaire est insuffisante et inadaptée. Cela n'a rien de surprenant : une partie importante de la population carcérale est confrontée à de multiples problèmes sociaux et vulnérabilités tels que la pauvreté, le chômage, l'instabilité du logement et le faible niveau d'éducation... Ces déterminants sociaux déterminent dans une large mesure l'état de santé général des personnes qui se retrouvent en prison, et en même temps, ils déterminent également qui se retrouve en prison... »
Y a-t-il une excuse ? Ne disposons-nous pas de chiffres sur la violence parce que la collecte de toutes ces données est une tâche impossible ? Jetons un coup d'œil de l'autre côté de la frontière pour voir où cet enregistrement est bien effectué.
L'enregistrement de la violence en prison en Grande-Bretagne (Angleterre et Pays de Galles)
Il ne fait aucun doute que la Grande-Bretagne (GB) est le pays européen le plus proche du modèle de société antisociale et du goulag des États-Unis (10) , où près de deux millions de personnes sont derrière les barreaux. Mais contrairement à la situation en Belgique, nous avons accès aux chiffres de la violence en prison en GB. Attention, là encore, nous ne pouvons pas connaître tous les chiffres. Ici aussi, la violence du personnel pénitentiaire à l'égard des détenus n'apparaît pas dans les statistiques.
Violence in numbers
La Grande-Bretagne (Angleterre et Pays de Galles) connaît la même explosion carcérale que la France. Avec des chiffres records jamais vus auparavant.
En France, en mai 2025, 83 681 personnes étaient derrière les barreaux pour 62 570 places. En juillet 2025, il y avait déjà 1 500 détenus de plus : 84 951, un nouveau record, avec 22 442 places manquantes.(11)
En Grande-Bretagne, on compte 87 835 détenus (chiffre au 30 juin).(12) Par habitant, l'Angleterre et le Pays de Galles ont la population carcérale la plus élevée d'Europe occidentale, avec un taux de surpopulation carcérale moyen de 25 %. Un détenu sur quatre partage une cellule individuelle avec un autre détenu, généralement équipée de toilettes à la turque.
En 2024, le ministère britannique de la Justice a recensé 30 490 cas de violence dans les prisons d'Angleterre et du Pays de Galles. Cela représente une augmentation de 13 % par rapport à 2023.(13)
Dans 3 390 (11 %) de ces cas, il s'agissait d'incidents violents graves, dont 3 096 ont entraîné des blessures graves. Il s'agit, selon le rapport, d'une augmentation de 14 % de la violence à l'encontre du personnel et de 10 % de la violence entre détenus.
Au cours de la même période, 79 027 cas d'automutilation ont été enregistrés, soit une nouvelle augmentation de 11 %.
La mortalité en prison a atteint 342 personnes, ce qui représente une augmentation de 10 % par rapport aux 311 décès enregistrés en 2023. Dans 89 cas, il s'agissait de suicides.
Ce que nous apprennent les chiffres
Les chiffres ne disent pas tout, mais cela n'empêche pas que les chiffres britanniques nous font réfléchir à la réalité choquante de la prison et à l'augmentation de la violence derrière les murs. Ainsi, les chiffres des différentes années montrent que la violence augmente à mesure que le nombre de détenus augmente et que les conditions de détention se détériorent.
En 1980, l'Angleterre et le Pays de Galles comptaient 43 109 détenus. En 1990, ils étaient 45 000. À partir de cette date, on a assisté à une véritable explosion, avec 65 000 détenus en 2000 et près de 88 000 aujourd'hui. La violence carcérale a suivi la même tendance : année après année, le nombre d'incidents violents entre détenus, d'agressions contre le personnel et d'automutilations augmente. (14)
Pas de surpopulation, mais une détention massive
Le ministère britannique de la Justice a annoncé que le nombre de détenus en Angleterre et au Pays de Galles pourrait atteindre 105 000 d'ici à 2027 ! (15) Soit environ 20 000 détenus de plus qu'aujourd'hui. Selon le ministère, cela s'explique par différents facteurs, tels que le retard dans le traitement des affaires judiciaires et l'allongement des peines de prison. Le ministère ne mentionne pas dans quelle mesure la violence va exploser. Mais avez-vous déjà entendu de telles prévisions de la bouche d'un ministre belge de la Justice ? Celui-ci parle de créer des places supplémentaires (2 000 de plus) pour faire face à la surpopulation carcérale actuelle, mais ne mentionne jamais la croissance prévue de la population carcérale.
Les chiffres hallucinants sur la violence et l'annonce brutale du ministère britannique de l'Intérieur de vouloir emprisonner encore plus de personnes ont l'avantage d'être clairs. Quand on parle de prisons, supprimons dès maintenant le mot « surpopulation » ou mettons-le entre guillemets. Parlons plutôt d'une politique de détention de masse. C'est la logique même qui veut que les évolutions répressives de nos sociétés conduisent à toujours plus de prisonniers, à des prisons qui resteront en permanence surpeuplées, à des prisons qui connaîtront toujours plus de violence.
C'est le cas en Grande-Bretagne et en France, c'est le cas en Italie (62 000 prisonniers pour 47 000 places), et même en Scandinavie, dont le modèle carcéral était autrefois si populaire dans tous les milieux réformistes.(16) C'est également le cas en Belgique où, par rapport à la fin des années septante, « le nombre de peines supérieures à trois ans a augmenté de 3 500 % ». Et où l'on enregistre en outre « un taux de récidive de 70 % ». Vous pouvez lire tout cela dans l'intervention de la directrice générale de l'administration pénitentiaire belge lors des auditions sur la surpopulation carcérale au Parlement belge.(17)
Les peines n'ont jamais été aussi populaires, tout comme les solutions pour stocker tous ces prisonniers. Oui, stocker. En construisant encore plus de nouvelles prisons, ici et si possible à l'étranger. En maintenant ouvertes d'anciennes prisons dont on prétendait qu'elles devaient être fermées de toute urgence. En cherchant des lieux d'exil pour les prisonniers sans papiers, une version moderne des anciennes colonies pénitentiaires. En élargissant le parc pénitentiaire avec des centres de détention et de transition à petite échelle et en étendant la détention aux domiciles privés grâce aux bracelets électroniques. Non seulement il y a un nombre record de 13 000 prisonniers derrière les barreaux, mais il y a aussi 4 000 personnes en attente d'incarcération, près de 7 000 prisonniers équipés de bracelets électroniques rien qu'en Belgique néerlandophone, et 10 000 personnes par an qui se voient infliger une peine de travail d'intérêt général.
Et pour maîtriser la violence liée à la détention massive dans les prisons, on continue de construire des quartiers et des prisons ultra-sécurisés en introduisant le régime d'isolement italien 41bis. À cet égard, il suffit de voir l'enthousiasme des ministères belges et français de la Justice pour ce système italien. Ou encore l'ouverture récente des premières prisons d'isolement en France par le ministre français de la Justice, Darmanin. Le retour des Quartiers de Haute Sécurité (QHS), interdits en France depuis février 1982 par décret, est ainsi devenu une réalité.
Trump impose des droits de douane sur les produits européens, mais le modèle carcéral américain est importé gratuitement et sans aucune restriction dans nos pays. Le goulag américain, avec ses détentions massives et ses violences, ses prisons ultra-sécurisées, sa surreprésentation des Noirs et des non-Blancs, a définitivement trouvé le chemin de l'Europe.
Une évolution qui peut encore être stoppée. Mais le temps presse.
Notes
[1]
Tableau des statistiques sur les infractions pénales | Statistiques
[2] Institut flamand pour la paix
[3]
SÉNAT Question écrite n° 4-3154
[4]
Retour à la prison de Forest (première partie) Retour
à la prison de Forest (deuxième partie) Bad lieutenants : le procès contre 9 policiers
bruxellois commence le 23 avril, dans un climat d’impunité et de militarisation
de la police
[7]
https://www.fairtrials.org/articles/publications/rights-behind-bars/
[9]
Fatik – Revue sur la politique pénale et le système carcéral https://fatik.mensenrechten.be/
[10] Mass Incarceration: The Whole Pie 2025 |
Prison Policy Initiative
[12]
Bulletin sur les statistiques relatives à la gestion des délinquants,
Angleterre et Pays de Galles
[14]Crise
carcérale : le système judiciaire risque la paralysie totale en 2026... https://committees.parliament.uk/work/8589/prison-estate-capacity/news/205761/prisons-crisis-as-justice-system-faces-total-gridlock-in-2026-pac-calls-for-rapid-action/
[16]
La Suède s'éloigne de la réinsertion des criminels au profit d'un système
carcéral de masse à l'américaine, selon des experts, alors que le pays
s'apprête à louer des places dans des prisons estoniennes pour aider à
accueillir sa population carcérale en forte expansion. https://www.theguardian.com/world/2025/jul/12/sweden-set-to-rent-cells-in-estonian-jails-as-it-runs-out-of-room-for-its-prisoners
[17]
Chambre des représentants de Belgique, 15 avril 2025 LA CRISE CAUSÉE PAR LA
SURPOPULATION DANS LES PRISONS Auditions
Article suivant : le bannissement des indésirables
La violence de la prison, partie 4.
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